Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du mardi 25 septembre 2018 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Quoi qu'il en soit, c'était bien tard. Introduire une telle évolution de cette façon n'est pas une bonne méthode. Surtout, que fait cet amendement dans ce texte ? C'est la preuve qu'il s'agit d'une loi fourre-tout.

La loi PACTE est également une nouvelle loi de simplification. Ni la première, ni la dernière... Comme toute loi de cette nature, elle comporte des avancées que nous approuvons – d'où la tribune de ce matin, monsieur le ministre. Ces avancées ont été largement évoquées par la majorité. Je n'y reviens donc pas, sauf pour regretter que, dans le même temps que vous proposez des simplifications, vous imposiez le prélèvement à la source, qui va considérablement compliquer la tâche des petites entreprises que vous entendez soutenir avec votre loi. Il y a là une certaine contradiction.

Le volet consacré à la simplification comporte du reste d'importantes lacunes. Comment dire sérieusement que ce texte doit faire entrer l'économie française dans le nouveau siècle alors qu'il ignore complètement l'économie numérique ? Rien ou presque sur l'intelligence artificielle – le véhicule autonome, c'est un peu court ; rien ou presque sur la blockchain ; rien ou presque sur les cryptomonnaies ; rien ou presque sur les plateformes. Il semble que vous soyez passés à côté de l'essentiel, monsieur le ministre, s'agissant d'un texte qui devait nous faire entrer dans le nouveau siècle et probablement dans le nouveau monde.

Dans ce champ trop étroit que vous avez choisi, le projet de loi se montre en outre insuffisant et lacunaire sur plusieurs points : faiblesse des mesures en matière de transmission d'entreprises et de soutien à l'export ; brutalité des mesures visant les commissaires aux comptes ; rien ou presque rien pour mettre de l'ordre dans les trop nombreux statuts juridiques proposés aux créateurs d'entreprises ; rien sur la sous-traitance ; rien sur l'épargne réglementée ; rien sur la possibilité de libérer tout ou partie de la participation ou de l'intéressement ; rien surtout sur l'amélioration des marges des entreprises.

La question du poids de la fiscalité a d'ailleurs vite été évacuée, l'examen des amendements, issus d'ailleurs de tous les bancs, ayant été repoussé de façon assez cavalière au projet de loi de finances, dans une partie qui sera, nous dit-on, réservée au projet de loi PACTE. Nous savons pourquoi. Nous savons surtout qu'il ne se passera rien dans le PLF pour 2019, faute d'une véritable politique d'économies pour mettre fin au gaspillage de l'argent public dans notre pays. Bien au contraire, vous faites financer par les entreprises les mesures en leur faveur – suppression des seuils et du forfait social. Bref, vous faites des cadeaux aux entreprises avec leur argent : c'est un peu facile. Imaginez que je propose à chacun de lui faire un cadeau avec l'argent qu'il me donnera pour le payer... Avouez que c'est une drôle de manière d'adresser un message positif aux entreprises !

Le projet de loi PACTE déçoit à raison de ce qu'il ne contient pas, mais aussi, malheureusement, de ce qu'il contient. La simplification des seuils et la suppression du forfait social méritent sans aucun doute d'être approuvées, mais vous n'allez pas assez loin, comme cela a été dit avant moi.

Certes, vous supprimez le seuil de 20 salariés, mais vous en laissez intacts deux autres, celui pour les TPE de 11 salariés et celui pour les PME de 50, qui sont régulièrement dénoncés sur le terrain par ces entreprises. Surtout vous ne modifiez pas les seuils fixés dans le code du travail. Au total, le paysage français reste très compliqué. Le travail a été fait, mais à moitié seulement. C'est dommage, mais vous pouvez encore vous rattraper, monsieur le ministre, en retenant les amendements proposés par Les Républicains.

Concernant le forfait social, c'est pareil : non seulement le forfait n'est pas supprimé pour toutes les entreprises, mais sa seule suppression ne suffira pas à développer l'intéressement et la participation, alors que les chiffres montrent que la part des bénéfices reversés aux salariés n'a cessé de diminuer dans notre pays depuis plus de vingt ans.

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Cela se vérifie encore avec vos propositions en matière de création d'entreprises. Alors que la France dispose d'un système qui peut être amélioré mais qui fonctionne bien, vous allez le démanteler, créant de l'insécurité pour les créateurs d'entreprises et, très certainement, des coûts supplémentaires. Je vise ici la suppression des centres de formalités des entreprises et des stages préalables à l'installation, qui est redoutée sur le terrain. L'insécurité juridique ne concernera malheureusement pas seulement les créateurs d'entreprises. En tripatouillant – je n'ai pas trouvé d'autre mot car, malheureusement, c'est celui qui convient – les dispositions du code civil et du code de commerce sur l'objet social, notamment par un amendement du groupe LaREM introduit à la dernière minute, vous ouvrez la voie à un important contentieux sur la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, dont vous ne mesurez malheureusement pas les conséquences.

Autre point de fragilité et d'incompréhension : le montage que vous avez imaginé autour de la Caisse des dépôts et consignations. Pourquoi vouloir modifier sa gouvernance, si ce n'est pour renforcer l'emprise de Bercy au détriment du Parlement ? Fort heureusement, les réactions des parlementaires sur tous les bancs semblent vous faire reculer sur ce point, je ne peux que m'en féliciter.

Par ailleurs, avez-vous bien mesuré les conséquences du rapprochement avec La Poste – et, donc, La Banque postale – et CNP Assurances ? Avez-vous conscience que vous prenez le risque, à trop banaliser la Caisse des dépôts, de lui faire perdre son statut dérogatoire, notamment au regard du droit européen, et de la faire entrer dans le droit commun des établissements bancaires ?

On peut faire la même remarque concernant Aéroports de Paris et La Française des jeux. Pourquoi se débarrasser d'infrastructures aussi essentielles que des aéroports, qui plus est ceux de Paris, plateformes internationales et principaux points d'entrée sur notre territoire, alors qu'aucun aéroport n'a été privatisé aux Etats-Unis et que l'organisation internationale qui réunit l'ensemble des compagnies aériennes a encore recommandé, en juin dernier à Sydney, de ne pas privatiser les aéroports ? Et concernant La Française des jeux, quelles garanties avez-vous que la France pourra garder ce monopole entre les mains de l'opérateur qu'elle aura choisi ?

Et tout cela pour quoi ? Un fonds de 10 milliards d'euros, certes, mais qui ne va générer que 250 millions par an ! Qui peut sérieusement penser que l'on pourra financer demain, dans ces conditions, l'innovation de rupture en France ?

Dernier point avant de conclure : la protection de nos intérêts stratégiques. Quel crédit accorder, à ce sujet, à celui qui, quand il était ministre de l'économie, a bradé et lâché Alstom, l'un de nos fleurons industriels ? Quel crédit accorder à un texte de loi qui promet de meilleures sanctions en cas de non-application de conditions qui ne sont, on le sait, presque jamais posées, alors qu'il aurait justement fallu les préciser et les renforcer dans ce texte ?

En conclusion de nos débats en commission spéciale, vous avez, madame la présidente, donné des statistiques : plus de 2 000 amendements étudiés pour cinquante heures de discussion. Je profite de l'occasion pour compléter ce tableau.

Tout d'abord, je regrette que l'examen en commission spéciale ait eu lieu en même temps que celui du projet de loi Égalim en nouvelle lecture dans l'hémicycle, alors que nous avions été nombreux à suivre la discussion de ce dernier en première lecture. Je proteste quant à ces conditions de travail. La commission spéciale s'est bien passée et vous l'avez parfaitement présidée, madame la présidente – je me suis joint aux félicitations qui vous ont été adressées – mais reconnaissez tout de même que nous avons dû examiner ce texte au coeur de l'été et que, pendant une partie du travail, nous devions être présents en même temps dans l'hémicycle et en commission spéciale. Dès lors, un certain nombre de nos collègues ont été privés de commission spéciale parce qu'ils avaient privilégié le texte Égalim, et inversement pour les autres. Ce n'étaient pas de bonnes conditions de travail.

Ensuite, je constate que, en cinquante heures, à peine cinq amendements – et encore, je compte des amendements de pure forme – du groupe les Républicains ont été votés par la majorité, qui s'est arc-boutée sur les dispositions les plus critiques du texte.

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