Intervention de Emmanuel Macron

Séance en hémicycle du lundi 3 juillet 2017 à 15h00
Déclaration de m. le président de la république

Emmanuel Macron, Président de la République :

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, en son article 18, la Constitution permet au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès.

Il est des heures qui, de cette possibilité, font une nécessité. Les heures que nous vivons sont de celles-là.

Le 7 mai dernier, les Français m'ont confié un mandat clair. Le 18 juin, ils en ont amplifié la force en élisant à l'Assemblée nationale une large majorité parlementaire. Je veux aujourd'hui vous parler du mandat que le peuple nous a donné, des institutions que je veux changer et des principes d'action que j'entends suivre.

Ce sont mille chemins différents qui nous ont conduits ici aujourd'hui, vous et moi, animés par le même désir de servir. Et même si ce désir n'a pas le même visage, pas la même forme, même s'il n'emporte pas les mêmes conséquences, nous en connaissons vous et moi la source : ce simple amour de la patrie.

Certains font de la politique depuis longtemps. Pour d'autres, au nombre desquels je me range, ce n'est pas le cas. Vous soutiendrez ou vous combattrez selon vos convictions le gouvernement que j'ai nommé, mais à la fin, nous savons tous que quelque chose de très profond nous réunit, nous anime et nous engage : oui, le simple amour de la patrie, que celle-ci s'incarne dans la solitude des collines de Haute-Provence ou des Ardennes, dans la tristesse des grands ensembles où une partie de notre jeunesse s'abîme, dans la campagne parfois dure à vivre et à travailler, dans les déserts industriels, mais aussi dans la gaîté surprenante des commencements.

De cet amour, nous tirons tous, je crois, la même impatience, qui est une impatience d'agir. Elle prend parfois les traits de l'optimisme volontaire, d'autres fois ceux d'une colère sincère. Toujours elle découle de cette même origine.

Nous avons, vous et moi, reçu le mandat du peuple. Qu'il nous ait été donné par la nation entière ou par les électeurs d'une circonscription ne change rien à sa force. Qu'il ait été porté par le suffrage direct ou par le suffrage indirect ne change rien à sa nature. Qu'il ait été obtenu voici un certain temps déjà ou bien récemment, à l'issue d'une campagne où toutes les opinions ont pu s'exprimer dans leur diversité, et que vous incarniez ces opinions différentes ici, aujourd'hui, ne change rien à l'obligation collective qui pèse sur nous.

Cette obligation est celle d'une transformation résolue et profonde, tranchant avec les années immobiles ou les années agitées, toutes au résultat également décevant. C'est par cette voie que nous retrouverons ce qui nous a tant manqué : la confiance en nous, la force nécessaire pour réaliser nos idéaux. Ce qui nous est demandé par le peuple, c'est de renouer avec l'esprit de conquête qui l'a fait, pour enfin le réconcilier avec lui-même.

En vous élisant, dans votre nouveauté radicale, à l'Assemblée nationale, le peuple français a montré son impatience à l'égard d'un monde politique trop souvent fait de querelles ou d'ambitions creuses, où nous avions vécu jusqu'alors. C'est aussi à une manière de voir la politique qu'il a donné congé.

En accordant leur confiance à des femmes et des hommes ici réunis, les Français ont exprimé une impérieuse attente, la volonté d'une alternance profonde, et je suis sûr que vous en êtes, ici, tous aussi conscients que moi. Et je sais bien aussi que les sénateurs en ont une pleine conscience, bien que leur élection soit plus ancienne, parce qu'ils ont perçu, eux si attentifs par nature aux mouvements du temps, les espoirs nouveaux que l'expression du suffrage universel direct a fait naître.

Être fidèle à ce que le peuple français a voulu suppose donc une certaine forme d'ascèse, une exigence renforcée, une dignité particulière, et sans doute plus encore aujourd'hui qu'hier.

Les mauvaises habitudes reviennent vite, marquées par une époque de cynisme, de découragement et – j'ose le dire – de platitude. Nombreux encore sont ceux qui spéculent sur un échec qui justifierait leur scepticisme. Il vous appartiendra, il nous appartiendra de les démentir ; et il nous appartiendra aussi de convaincre tous ceux qui attendent, qui nous font confiance du bout des lèvres, tous ceux qui n'ont pas voté, tous ceux aussi que la colère et le dégoût devant l'inefficacité, notre inefficacité bien souvent, ont conduits vers des choix extrêmes, d'un bord ou de l'autre de l'échiquier politique, et qui sont des choix dont la France, dans sa grandeur comme dans son bonheur, n'a rien à attendre.

Ce mandat du peuple, que nous avons reçu, quel est-il exactement ?

Pour le savoir, il faut sortir de ce climat de faux procès dans lequel le débat public nous a enfermés trop longtemps. Il nous faut retrouver de l'air, de la sérénité, de l'allant. Il y faut un effort, parce que ces faux procès sont nombreux.

S'agit-il de réformer le droit du travail pour libérer, dynamiser l'emploi au bénéfice d'abord de ceux qui n'en ont pas ? On nous dira qu'il s'agit d'adapter la France aux cruautés de l'univers mondialisé ou de satisfaire au diktat de Bruxelles.

S'agit-il de réduire nos dépenses publiques pour éviter à nos enfants de payer le prix de nos renoncements ? On nous dira que nous remettons en cause notre modèle social.

S'agit-il de sortir de l'état d'urgence ? On nous dira d'un côté que nous laissons la France sans défense face au terrorisme, et de l'autre que nous bradons nos libertés.

Eh bien, rien, rien de tout cela n'est vrai.

Derrière tous ces faux procès, on trouve le même vice, le vice qui empoisonne depuis trop longtemps le débat public : le déni de réalité, le refus de voir le réel en face dans sa complexité et ses contraintes, l'aveuglement face à un état d'urgence qui est autant économique et social que sécuritaire.

Là-dessus, j'ai toujours considéré que le peuple français était plus sage et plus avisé que beaucoup ne le croient. Si bien que je pense profondément que le mandat que nous avons reçu du peuple est un mandat à la fois exigeant et profondément réaliste, et que pour l'accomplir nous devons nous placer au-delà de la stérilité de ces oppositions purement théoriques et qui, si elles garantissent de beaux succès de tribune, n'apportent rien.

Notre premier devoir est tout à la fois de retrouver le sens et la force d'un projet ambitieux de transformation de notre pays et de rester arrimés au réel, de ne rien céder au principe de plaisir, aux mots faciles, aux illusions, pour regarder en face la réalité de notre pays sous toutes ses formes.

Ce mandat du peuple français, donc, quel est-il ?

C'est d'abord le mandat de la souveraineté de la nation. C'est de pouvoir disposer de soi-même, malgré les contraintes et les dérèglements du monde.

Voyons la réalité en face. Les forces de l'aliénation sont extrêmement puissantes.

Aliénation à la nouvelle division du travail, qui s'esquisse dans un univers en transformation profonde, où le numérique recompose des secteurs entiers de l'économie, bouscule des équilibres et des emplois.

Aliénation à la misère, à la pauvreté, si nous ne permettons pas à chacun de trouver un travail qui lui corresponde et qu'il soit heureux d'accomplir, une place et une dignité qui soient les siennes dans la société.

Aliénation à la contrainte financière, si nous ne rétablissons pas notre budget, si nous ne réduisons pas notre dette publique.

Aliénation à la volonté d'autres pays, dans l'Europe comme au sein de nos alliances, si nous ne remettons pas nos affaires en ordre.

Aliénation à la terreur islamiste, si nous ne trouvons pas le moyen de la détruire sans rien lui céder de nos valeurs, de nos principes.

Aliénation de notre avenir, si nous ne parvenons pas à organiser la transition écologique, à protéger la planète.

Aliénation de notre vie dans ce qu'elle a de plus quotidien, si les aliments que nous mangeons, l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons nous sont imposés, et pour le pire, par les seules forces d'une compétition internationale devenue anarchique.

Je crois fermement que, sur tous ces points, le peuple nous a donné le mandat de lui rendre sa pleine souveraineté.

Mais c'est aussi le mandat du projet progressiste, d'un projet de transformation et de changement profonds, qui nous est donné. Nos concitoyens ont fait le choix d'un pays qui reparte de l'avant, qui retrouve l'optimisme et l'espoir. Ils l'ont fait parce qu'ils savent bien, parce que nous savons bien que, dans un monde bouleversé par des changements profonds, sans ce mouvement, sans cette énergie créatrice, la France n'est pas la France. Ils savent, parce que cela a été notre expérience commune de ces dernières années, qu'une France arrêtée s'affaisse, se divise, qu'une France apeurée, recroquevillée et victime, s'épuise en querelles stériles et ne produit que du malheur, malheur individuel et malheur collectif.

Elle est là, notre mission historique. Cette mission, la mienne, celle du Gouvernement, la vôtre, n'est pas dévolue à un petit nombre. Elle est dévolue à tous, car chacun y a sa part. La France possède des trésors de créativité, des ressources inépuisables. Mais je ne pense pas simplement là à tous nos talents, je pense à chaque Française, à chaque Français, soucieux de bien faire et de mener une vie digne de lui.

Elle est là, la vraie richesse d'un pays et le mandat qui nous est donné, c'est de créer de l'unité où il y avait de la division, de redonner à ceux qui sont exclus la simple dignité de l'existence, leur juste place dans le projet national, de permettre à ceux qui créent, inventent, innovent, entreprennent, de réaliser leurs projets, de rendre le pouvoir à ceux qui veulent faire – et font. Le mandat du peuple, ce n'est pas d'instaurer le gouvernement d'une élite pour elle-même, c'est de rendre au peuple cette dignité collective qui ne s'accompagne d'aucune exclusion.

Seulement voilà : jusqu'ici, trop souvent, nous avons fait fausse route. Nous avons préféré les procédures aux résultats, le règlement à l'initiative, la société de la rente à la société de la justice. Et je crois profondément que, par ses choix récents, notre peuple nous demande d'emprunter une voie radicalement nouvelle.

Je refuse pour ma part de choisir entre l'ambition et l'esprit de justice. Je refuse ce dogme selon lequel, pour bâtir l'égalité, il faudrait renoncer à l'excellence, pas plus que, pour réussir, il ne faut renoncer à donner une place à chacun. Le sel même de notre République est de savoir conjuguer ces exigences, oui, de faire tout cela, en quelque sorte, en même temps.

Cette voie désoriente, je l'entends bien, tous ceux qui s'étaient habitués à faire carrière sur les schémas anciens. Il en est ainsi à chaque période, lorsque le renouveau s'impose et que l'inquiétude, à certains endroits, peut naître. Mais nous avons à prendre la mesure des efforts que va nous imposer cette formidable soif de renouvellement dont nous sommes, vous et moi, les porteurs.

Le mandat du peuple, c'est aussi le mandat de la confiance et de la transparence. Nous sommes un vieux peuple politique. La politique est importante pour nos concitoyens. On lui demande tout, parfois trop ; on lui en veut souvent, parfois trop aussi. Et c'est parce qu'elle est essentielle à ce point que les Français avaient fini par s'exaspérer de voir l'espérance confisquée. Mais vous êtes ici, tous et toutes, les dépositaires de ce désir de changement qu'il nous est interdit de trahir. Et ce changement doit aussi porter sur les comportements. Il ne peut y avoir de réforme sans confiance. Il ne peut y avoir de confiance si le monde politique continue d'apparaître, même si c'est la plupart du temps injuste, comme le monde des petits arrangements, à mille lieues des préoccupations des Français. La loi que le Gouvernement proposera à vos suffrages n'a pas d'autre but.

Nous avons déjà changé depuis plusieurs années, et nous avons changé en bien. Nous avons cessé de supporter ce qui semblait presque normal autrefois – l'opacité, le clientélisme, les conflits d'intérêts, tout ce qui relève d'une forme de corruption ordinaire, presque impalpable. Pour autant, nul n'est irréprochable. Car si l'exigence doit être constante, si nous sommes tous dépositaires de la dignité qui sied à nos fonctions et chaque jour nous oblige, la perfection n'existe pas.

Oui, nous voulons une société de confiance, et pour cela, une loi ne suffit pas. C'est un comportement de chaque jour. Mais nous voulons aussi cette confiance parce que la société de la délation et du soupçon généralisés, qui était jusque-là la conséquence de l'impunité de quelques puissants, ne nous plaît pas davantage. La loi du Gouvernement sera votée, je n'en doute pas. Mais après qu'elle l'aura été, j'appelle à la retenue, j'appelle à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d'innocence, avec cette chasse à l'homme où parfois les réputations sont détruites, et où la reconnaissance de l'innocence, des mois, des années plus tard, ne fait pas le dixième du bruit qu'avait fait la mise en accusation initiale. Cette frénésie, qui a touché tous les camps depuis tant de mois et parfois tant d'années, est indigne de nous et des principes de la République.

Le mandat du peuple, c'est enfin le mandat de la fidélité historique. Les Français demandent à leur gouvernement de rester fidèle à l'histoire de la France. Encore faut-il s'entendre sur le sens que l'on donne à ces mots. Ces dernières années, l'histoire a été prise en otage par le débat politique. Nous avons vu fleurir l'histoire pro-coloniale et celle de la repentance, l'histoire identitaire et l'histoire multiculturelle, l'histoire fermée et l'histoire ouverte. Il n'appartient pas aux pouvoirs, exécutif ou législatif, de décréter le roman national, que l'on veuille lui donner une forme « réactionnaire » ou une forme « progressiste ».

Cela ne signifie pas que l'histoire de France n'existe pas ; qu'il ne faut pas en être fier, tout en regardant lucidement ses parts d'ombre, ses bassesses. Mais pour nous, elle doit prendre la forme, non d'un commentaire, non d'une revendication ou d'une transformation, mais d'une action résolue en faveur du meilleur. Parce que c'est dans cette action que nous pouvons retrouver les grands exemples du passé, nous en nourrir et les prolonger. Et à la fin, nous aussi, nous aussi nous aurons fait l'histoire, sans nous être réclamés abusivement de ce qu'elle pourrait être, mais en regardant le réel et en gardant nos esprits et nos volontés tendus vers le meilleur.

C'est ce que nous appelons le progressisme. Ce n'est pas de penser que toute nouveauté est forcément bonne. Ce n'est pas d'épouser toutes les modes du temps. C'est, à chaque moment, pas après pas, de discerner ce qui doit être corrigé, amendé, rectifié, ce qui, à certains endroits, doit être plus profondément refondé, ce qui manque à la société pour devenir plus juste et plus efficace ou, plus exactement, plus juste parce que plus efficace, plus efficace parce que plus juste. C'est une éthique de l'action et de la responsabilité partagée. C'est la fidélité à notre histoire et à notre projet républicain en acte. Car la République, ce n'est pas des lois figées, des principes abstraits ; c'est un idéal de liberté, d'égalité, de fraternité, chaque jour resculpté et repensé à l'épreuve du réel.

L'action politique n'a de sens que si elle est précisément accomplie au nom d'une certaine idée de l'homme, de son destin, de sa valeur indépassable et de sa grandeur. Cette idée, la France la porte depuis longtemps. Rien d'autre ne doit compter à nos yeux. Ce n'est pas la société des entrepreneurs que nous voulons, ou la société de l'équilibre des finances publiques, ou la société de l'innovation. Tout cela est bien, tout cela est utile. Mais ce ne sont que des instruments au service de la seule cause qui vaille, une cause à laquelle le nom de la France est attaché depuis bien longtemps. Et cette cause est la cause de l'homme. Nous différons entre nous, et ici même, sur les moyens. Mais je suis sûr que nous ne différons pas sur ce but, et le savoir, et nous le rappeler sans cesse, parfois dans les pires moments, devrait rendre à notre débat public cette dignité, cette grandeur qui, sur fond de tant d'abandons et d'échecs collectifs, lui ont cruellement manqué ces dernières années.

C'est à l'aune de ce mandat du peuple que nous avons à construire notre politique pour les cinq ans qui viennent. Vous l'aurez compris, et vous le savez déjà, intimement, nous n'avons pas devant nous cinq ans d'ajustements et de demi-mesures. Les Français sont animés non pas par une curiosité patiente, mais par une exigence intransigeante. C'est la transformation profonde qu'ils attendent. Qu'ils espèrent. Qu'ils exigent. Ne la redoutons pas. Embrassons-la, bien au contraire. La charte de notre action a été fixée durant la campagne et vous en connaissez les jalons, sur lesquels je ne reviendrai pas. Les engagements seront tenus. Les réformes et ces transformations profondes auxquelles je me suis engagé seront conduites. Le Premier ministre, Édouard Philippe, que j'ai nommé afin qu'il soit le dépositaire, à la tête du Gouvernement, de ces engagements, en présentera la mise en oeuvre dans son discours de politique générale.

Mais tout cela ne sera possible que si nous avons une République forte, et il n'est pas de République forte sans institutions puissantes. Nées de temps troublés, nos institutions sont résistantes aux crises et aux turbulences. Elles ont démontré leur solidité. Mais comme toutes les institutions, elles sont aussi ce que les hommes en font. Depuis plusieurs décennies maintenant, l'esprit qui les a fait naître s'est abîmé au gré des renoncements et des mauvaises habitudes.

En tant que garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics, j'agirai en suivant trois principes : l'efficacité, la représentativité et la responsabilité.

L'efficacité d'abord. Il nous faut du temps pour penser la loi. Du temps pour la concevoir, la discuter et la voter. Du temps aussi pour s'assurer des bonnes conditions de son application. Souhaiter que nos institutions soient plus efficaces, ce n'est donc pas sacrifier au culte de la vitesse, c'est rendre la priorité au résultat.

Sachons mettre un terme à la prolifération législative. Cette maladie, nous la connaissons : elle a été tant et tant nommée, et je crains moi-même, dans une vie antérieure, d'y avoir participé. Elle affaiblit la loi, qui perd dans l'accumulation des textes une part de sa vigueur et, certainement, de son sens. Telles circonstances, tel imprévu, telle nouveauté ne sauraient dicter le travail du législateur. Car la loi n'est pas faite pour accompagner servilement les petits pas de la vie de notre pays. Elle est faite pour en encadrer les tendances profondes, les évolutions importantes, les débats essentiels, et pour donner un cap. Elle accompagne de manière évidente les débuts d'un mandat, mais légiférer moins ensuite, c'est consacrer plus d'attention aux textes fondamentaux, à ces lois venant répondre à un vide juridique, venant éclairer une situation inédite. C'est cela, le rôle du Parlement.

Légiférer moins, c'est mieux allouer le temps parlementaire. C'est, en particulier, réserver de ce temps au contrôle et à l'évaluation. Je sais que nombre d'entre vous y ont déjà beaucoup réfléchi, et je ne mésestime pas les progrès faits ces dernières années en la matière, mais nous devons aller plus loin encore, car voter la loi ne saurait être le premier et le dernier geste du Parlement.

Nos sociétés sont devenues trop complexes et trop rapides pour qu'un texte de loi produise ses pleins effets sans se heurter lui-même au principe de réalité. La voix des citoyens concernés par les textes que vous votez ne saurait être perçue comme attentatoire à la dignité du législateur. Elle est la vie, elle est le réel. Elle est ce pour quoi vous oeuvrez, nous oeuvrons. C'est pourquoi bien suivre l'application d'une loi, s'assurer de sa pertinence dans la durée, de ses effets dans le temps pour la corriger ou y revenir est aujourd'hui devenu une ardente obligation.

Pour toutes ces raisons, je souhaite qu'une évaluation complète de tous les textes importants, comme aujourd'hui celles sur le dialogue social ou encore sur la lutte contre le terrorisme, dont nous avons récemment jeté les bases, soit menée dans les deux ans suivant leur mise en application.

Il est même souhaitable qu'on évalue l'utilité des lois plus anciennes afin d'ouvrir la possibilité d'abroger des lois qui auraient par le passé été trop vite adoptées, mal construites, ou dont l'existence aujourd'hui représenterait un frein à la bonne marche de la société française.

Enfin, le rythme de conception des lois doit savoir répondre aux besoins de la société. Il est des situations d'urgence que le rythme propre au travail parlementaire ne permet pas de traiter suffisamment vite. Songez à l'encadrement des pratiques issues du numérique en matière de protection des droits d'auteur, de la vie privée de nos concitoyens ou de la sécurité nationale. Notre temps collectif est aujourd'hui trop lent. Il faut qu'au temps long du travail législatif, que je viens d'évoquer, soit ajoutée la faculté d'agir vite. Ainsi, la navette pourrait être simplifiée. Je pense même que vous devriez pouvoir, dans les cas les plus simples, voter la loi en commission. Tout cela, vous y avez pour nombre d'entre vous beaucoup travaillé ; tout cela doit être sérieusement étudié, mais pour désormais le faire.

Je n'ignore rien des contraintes qui pèsent sur vous. Le manque de moyens, le manque d'équipes, le manque d'espace contrarient en partie les impératifs d'efficacité que je vous soumets. Pour cela, il est une mesure depuis longtemps souhaitée par nos compatriotes qu'il me semble indispensable de mettre en oeuvre : la réduction du nombre de parlementaires.

Un Parlement moins nombreux, mais renforcé dans ses moyens, c'est un Parlement où le travail devient plus fluide, où les parlementaires peuvent s'entourer de collaborateurs mieux formés, plus nombreux. C'est un Parlement qui travaille mieux.

C'est pourquoi je proposerai une réduction d'un tiers du nombre de membres des trois assemblées constitutionnelles. Je suis convaincu que cette mesure aura des effets favorables sur la qualité générale du travail parlementaire. Les Français, pour leur majeure partie, en sont également certains. Cette réforme indispensable, qui devra être conduite en veillant à la juste représentation de tous les territoires de la République – hexagonaux et ultramarins – n'a pas pour but de nourrir l'antiparlementarisme ambiant, bien au contraire. Elle vise à donner aux élus de la République plus de moyens et plus de poids.

Le devoir d'efficacité ne saurait peser seulement sur le Parlement. L'exécutif doit en prendre sa part. Et d'abord, précisément, vis-à-vis du Parlement. C'est pourquoi, mesdames et messieurs les parlementaires, j'ai voulu vous réserver, et à travers vous, aux Français, ma première expression politique depuis mon élection.

Trop de mes prédécesseurs se sont vu reprocher de n'avoir pas fait la pédagogie de leur action ni d'avoir exposé le sens et le cap de leur mandat. Trop d'entre eux, aussi, ont pris des initiatives dont le Parlement n'était que secondairement informé, pour que je me satisfasse d'en reconduire la méthode. Tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte.

Si la considération et la bienveillance que cela traduit à l'égard du Parlement apparaissent à certains comme une dérive condamnable, c'est sans doute qu'ils ont de leur rôle de parlementaire et du rôle du Président de la République une conception vague que masquent mal l'arrogance doctrinaire ou le sectarisme. Il est toujours préoccupant que des représentants du peuple se soustraient aux règles de la constitution qui les a fait élire. Sieyès et Mirabeau ne désertèrent pas si promptement, je crois, le mandat que leur avait confié le peuple.

Le Président de la République doit fixer le sens du quinquennat ; c'est ce que je suis venu faire devant vous. Il revient au Premier ministre, qui dirige l'action du Gouvernement, de lui donner corps. C'est à lui qu'incombe la lourde tâche d'assurer la cohérence des actions, de conduire les transformations, de rendre les arbitrages et, avec les ministres, de vous les présenter. Je souhaite que cette responsabilité ait un sens. C'est pourquoi je demanderai au Premier ministre d'assigner à chacun des objectifs clairs dont, annuellement, il lui rendra compte.

De même, l'efficacité commande que les ministres soient au coeur de l'action publique et retrouvent avec leur administration un contact plus direct. La réduction, que j'ai voulue à dix, du nombre de collaborateurs de cabinet, comme le renouvellement de l'ensemble des directeurs d'administration centrale répondent à cette priorité. Il s'agit de rendre aux directeurs d'administration disposant de la pleine confiance du Gouvernement la connaissance directe de la politique qu'ils auront à mettre en oeuvre, et de partager, au sein du Gouvernement et de toute l'administration, cette responsabilité dont le peuple nous a fixé le cap. Soumis eux-mêmes à l'obligation de résultat par la feuille de route qui les lie au Premier ministre, les ministres ne perdront pas de vue pour autant les conditions de mise en oeuvre de leur politique.

À cet effet, je veux une administration plus déconcentrée, qui conseille plus qu'elle ne sanctionne, qui innove et expérimente plus qu'elle ne contraigne. Tel est le cercle vertueux de l'efficacité. C'est cette administration qui doit redonner à tous les territoires les moyens d'agir et de réussir. Car, à la fin, notre démocratie ne se nourrit que de l'action et de notre capacité à changer le quotidien et le réel.

Le souci d'efficacité ne suffira pas à rendre à notre démocratie l'oxygène dont, trop longtemps, elle fut privée. S'il faut en finir avec la République inefficace, il faut en finir aussi bien avec la République du souffle court, des petits calculs, de la routine. Nous ne retrouverons la respiration profonde de la démocratie que dans le renouement avec la variété du réel, avec la diversité de cette société française à l'écart de laquelle nos institutions se sont trop soigneusement tenues, n'admettant le changement que pour les autres, mais pas pour elles. La réalité est plurielle ; la vie est plurielle. Le pluralisme s'impose à nos institutions, qui s'affaiblissent dans l'entre-soi.

Nous avons fait entrer ici la grande diversité française. Elle est sociale, professionnelle, géographique, de genre et d'origine, d'âge et d'expériences, de croyances et d'engagements. Elle constitue un alliage inédit de compétences et de destins, dont vous êtes aujourd'hui les visages. Nous ne l'avons pas composée comme un nuancier savant : nous avons simplement ouvert les portes aux citoyens auxquels le monde politique refusait l'accès.

Je souhaite que ce renouvellement scelle le retour du débat que n'aveuglent pas les dogmes, du partage d'idées que ne dénature pas le caporalisme. C'est aussi pour cela que je crois à la vertu du pluralisme, au respect plein et entier des oppositions. Non parce qu'il s'agirait d'un usage, mais parce que c'est la dignité du débat démocratique. Cela sera notre ardente responsabilité.

La représentativité reste toutefois un combat inachevé dans notre pays. Je souhaite le mener avec vous résolument. Je proposerai ainsi que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées.

C'est à cette même fin que nous limiterons le cumul des mandats dans le temps pour les parlementaires. Il s'agit là de la clef de voûte d'un renouvellement qui ne se produira pas sous la pression de l'exaspération citoyenne mais deviendra le rythme normal de la respiration démocratique. Les parlementaires eux-mêmes verront dans leur mandat une chance de faire avancer le pays et non plus la clef d'un cursus à vie.

Il est d'autres institutions de la République que le temps a figées dans les situations acquises, quand le sens véritable de leur mission eût été d'incarner le mouvement vivant de la société française. Le Conseil économique, social et environnemental est de celles-là. Sa mission était de créer entre la société civile et les instances politiques un trait d'union, fait de dialogue constructif et de propositions suivies d'effets.

Cette intention fondatrice s'est un peu perdue. Je souhaite que l'on renoue avec elle. Le Conseil économique, social et environnemental doit devenir la Chambre du futur, où circuleront toutes les forces vives de la nation. Pour cela, nous devons, tout en réduisant le nombre de ses membres d'un tiers, revoir de fond en comble les règles de sa représentativité.

Celle-ci étant acquise, nous ferons de cette assemblée le carrefour des consultations publiques, et le seul. L'État ne travaille pas, ne réforme pas sans consulter. C'est bien normal. Mais les instances de consultation se sont multipliées, au point que nous ne savons même plus les dénombrer. Elles ont toutes leur justification, elles représentent une part vibrante de la société civile. Mais c'était le rôle initial du Conseil économique, social et environnemental. En le réformant, nous en ferons l'instance unique de consultation prévue par tous nos textes. Cela sera un élément d'une plus grande représentativité de notre société civile, et dans le même temps, un élément de simplification de nos procédures, de simplification de la fabrique de la loi.

Ce conseil doit pouvoir devenir le forum de notre République, réunir toutes les sensibilités et toutes les compétences et donner un lieu à l'expression de toutes les sensibilités du monde de l'entreprise et du travail – des entrepreneurs comme des syndicats, des salariés comme des indépendants –, mais aussi des associations et des organisations non gouvernementales.

Dans le même temps, je souhaite que le droit de pétition soit revu afin que l'expression directe de nos concitoyens soit mieux prise en compte et que les propositions des Français puissent être présentées, dans un cadre défini et construit, à la représentation nationale. Là aussi, il y va de la représentativité de notre démocratie. Une représentativité qui vivrait, non pas seulement une fois tous les cinq ans, mais au quotidien, dans l'action du législateur.

Fondé sur une représentativité plus grande, animé par le souci d'efficacité, le débat démocratique, et plus particulièrement le débat parlementaire, retrouvera, j'en suis sûr, sa vitalité. Le désir d'agir et de faire avancer la société reprendra son rang premier au sein de nos institutions et il rejoindra cet autre principe souverain dont trop souvent nous nous sommes départis, celui de responsabilité.

Une activité parlementaire revivifiée par un cap clair, des débats mieux construits, c'est un Parlement plus apte à exercer sa mission de contrôle, sans laquelle la responsabilité de l'exécutif ne vit pas, est affaiblie. Je souhaite qu'au Parlement la majorité comme les oppositions puissent avoir encore davantage de moyens pour donner un contour et une exigence à la responsabilité politique de l'exécutif.

Les ministres eux-mêmes doivent devenir comptables des actes accomplis dans leurs fonctions ordinaires. C'est pour cette raison que je souhaite la suppression de la Cour de justice de la République. Il faudra trouver la bonne organisation, mais nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi seuls les ministres pourraient encore disposer d'une juridiction d'exception.

Faire vivre la responsabilité partout dans nos institutions, c'est aussi assurer l'indépendance pleine et entière de la justice. C'est une ambition qui doit demeurer, malgré les impasses et les demi-échecs rencontrés dans le passé. Je souhaite que nous accomplissions enfin cette séparation de l'exécutif et du judiciaire, en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, et en limitant l'intervention de l'exécutif dans les nominations des magistrats du parquet. À tout le moins, le Conseil supérieur de la magistrature devrait donner un avis conforme pour chacune des nominations de ces magistrats.

C'est un changement profond des pratiques et des règles que j'appelle de mes voeux. Je ne méconnais pas l'évolution institutionnelle et constitutionnelle que cela requiert. C'est pourquoi je demanderai à Mme la garde des sceaux et aux ministres compétents, ainsi qu'aux présidents des deux chambres, de me faire, pour l'automne, des propositions concrètes permettant d'atteindre cet objectif.

Je souhaite que la totalité des transformations profondes que je viens de détailler et dont nos institutions ont cruellement besoin soit parachevée d'ici un an et que l'on se garde des demi-mesures et des aménagements cosmétiques. Ces réformes seront soumises à votre vote mais, si cela est nécessaire, je recourrai au vote de nos concitoyens par voie de référendum.

Car il s'agit ici de rien moins que retisser entre les Français et la République le rapport qui s'est dissous dans l'exercice mécanique du pouvoir. Je veux réveiller avec vous le sens du pacte civique. Je veux que l'efficacité, la représentativité et la responsabilité fassent émerger clairement et fortement une République contractuelle. La confiance accordée y va de pair avec les comptes qu'on rend. L'action s'y déploie dans un cadre partagé entre le mandataire et le mandant, et non au fil des circonstances. C'est cela, le sens de ce contrat social qui fonde la République.

Ce que nous ferons pour les institutions de la République, je souhaite le faire aussi pour nos territoires. Ne redoutons pas de nouer avec les territoires des accords de confiance.

Nous savons tous combien notre France est diverse et combien est importante l'intimité des décideurs publics avec le terrain de leur action. La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons-la. Osons expérimenter et déconcentrer, c'est indispensable pour les territoires ruraux comme pour les quartiers difficiles. Osons conclure avec nos territoires et nos élus de vrais pactes girondins, fondés sur la confiance et la responsabilité.

La Conférence des territoires, qui sera bientôt lancée et sera conduite par le Premier ministre, répond à cette préoccupation. Il ne s'agira pas uniquement d'une conférence budgétaire ou financière, mais aussi de trouver ensemble les moyens d'adapter nos politiques aux réalités locales – je pense en particulier aux collectivités d'outre-mer, qui doivent avoir tous les moyens pour réussir.

C'est ce même esprit de confiance qui fonde cette République contractuelle que, d'ores et déjà, nous faisons avancer dans la société et le monde du travail en donnant à celles et ceux qui sont au plus près de la réalité de l'entreprise une capacité plus grande à en réguler le quotidien, non dans le rapport de forces, mais dans un cadre convenu et partagé.

Nous savons tous et toutes que la confiance exige un soin plus grand que l'usage unilatéral de l'autorité. Nous savons aussi qu'elle produit de plus grands résultats et qu'elle suscite cette concorde sans laquelle il n'est pas de vie civile supportable. La France a vécu assez d'épreuves et connu assez de grandeurs pour n'être pas ce peuple-enfant que l'on berce d'illusions. Chaque Français a sa part de responsabilité et son rôle à jouer dans la conquête à venir. En retrouvant l'esprit de nos institutions, nous redonnerons à la nation tout entière le sentiment de retrouver la maîtrise de son destin et la fierté de reprendre en main le fil de son histoire. C'est la condition même de la réconciliation de notre pays.

Pour être au rendez-vous que le peuple nous a donné, il ne nous est pas permis d'attendre. C'est pourquoi j'aurai besoin, pour notre République, de la mobilisation de tous autour de quelques grands principes d'action. Il ne s'agit pas ici, pour moi, de décliner l'action du Gouvernement, comme certains se plaisent à le craindre ou à le souhaiter. C'est la tâche du Premier ministre, c'est le sens même et la force de nos institutions. Et je n'égrènerai pas non plus, ici, tous les secteurs, les métiers et les territoires. Que chacun sache néanmoins que ces grands principes valent pour tous.

Le premier principe doit être la recherche d'une liberté forte. En matière économique, sociale, territoriale, culturelle, notre devoir est d'émanciper nos concitoyens, c'est-à-dire de leur permettre de ne pas subir leur vie mais bien d'être en situation de la choisir, de pouvoir « faire » là où, trop souvent, nos règles entravent au prétexte de protéger.

Je crois à cet esprit des Lumières qui fait que notre objectif, à la fin, est bien l'autonomie de l'homme libre, conscient et critique. Trop de nos concitoyens aujourd'hui se sentent encore prisonniers de leurs origines sociales, de leur condition, d'une trajectoire qu'ils subissent. Or l'enclavement, l'isolement, l'absence d'accès aux transports et à toutes les formes de nécessité de ce siècle nouveau assignent à résidence des millions de nos compatriotes. La liberté forte que nous avons à bâtir, c'est ce combat pour toutes les mobilités, ce combat pour les accès, ce combat pour que nul de nos concitoyens ne soit exclu des voies du progrès, du droit de faire, d'essayer, pour échouer peut-être, ou pour réussir. C'est le combat de la mobilité économique et sociale par le travail et par l'effort pour tous nos concitoyens, quels que soient leur quartier, leur prénom et leur origine. C'est le combat pour l'égalité pleine entre les femmes et les hommes, ce beau combat dont notre pays a perdu, il y a quelques jours à peine, une figure essentielle en Mme Simone Veil.

La liberté forte, c'est la liberté de choisir sa vie. Car la liberté est ce qui réconcilie, précisément, la justice et l'efficacité, la possibilité de faire et l'égalité vraie, la liberté d'expérimenter, de se tromper et d'essayer encore. On n'embarque plus dans son existence pour un voyage au long cours. Nos vies sont explorations, tentatives, recherche. Sachons inventer cette liberté-là avec les nouvelles protections individuelles qui l'accompagnent, en assurant l'éducation, la formation et les sécurités utiles aux grandes étapes de la vie, précisément pour construire une existence.

C'est tout le sens des transformations économiques et sociales profondes que le Gouvernement aura à conduire dans les prochains mois : libérer et protéger, permettre d'innover en construisant une place pour chacun. Et je souhaite qu'il ne cède rien aux fausses promesses, ni à celle d'une liberté qui oublierait toutes les sécurités individuelles car, à la fin, elle promet le malheur, ni à la société des statuts, qui, au nom des règles acquises, prétend protéger, quand tant et tant sont au bord de la route, quand le chômage est au niveau que l'on connaît et l'exclusion là où elle est. Vouloir la liberté forte, c'est tout cela.

En ces temps de terrorisme, vouloir la liberté forte, c'est assurer la sécurité de chacun et garantir le plein respect des libertés individuelles. Je veux ici vous parler avec franchise de ce que, trop souvent, on n'ose pas nommer : le terrorisme islamiste et les moyens de le combattre.

Que devons-nous aux victimes ? Que devons-nous à nos compatriotes qui sont morts ? Que devons-nous à la France endeuillée par ces assassinats marqués du sceau de la lâcheté, de la bêtise, de l'aveuglement ? Certainement pas de nous limiter à l'esprit victimaire ou à la seule commémoration. Nous leur devons la fidélité à nous-mêmes, à nos valeurs, à nos principes. Renoncer, c'est concéder au nihilisme des assassins sa plus belle victoire.

D'un côté, je rétablirai les libertés des Français en levant l'état d'urgence à l'automne, parce que ces libertés sont la condition de l'existence d'une démocratie forte. Parce que les abandonner, c'est apporter à nos adversaires une confirmation que nous devons leur refuser. De tout temps, les adversaires de la démocratie ont prétendu qu'elle était faible et que, si elle voulait combattre, il lui faudrait bien abandonner ses grands principes. C'est exactement le contraire qui est vrai. Le code pénal tel qu'il est, les pouvoirs des magistrats tels qu'ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d'anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l'administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n'a aucun sens, ni en termes de principes, ni en termes d'efficacité.

Mais, d'un autre côté, je souhaite que le Parlement puisse voter ces dispositions nouvelles qui nous renforceront encore dans notre lutte. Elles devront viser explicitement les terroristes, à l'exclusion de tous les autres Français. Elles comporteront des mesures renforcées, mais qui seront placées sous la surveillance du juge, dans le respect intégral et permanent de nos exigences constitutionnelles et de nos traditions de liberté.

La démocratie n'a pas été conçue simplement pour les temps calmes. Elle vaut surtout pour les moments d'épreuve. Il est là, le chemin de l'efficacité, et c'est le même chemin que celui des valeurs. Un pays rassemblé, uni autour de ses principes, une société pleinement consciente de ce qui la fonde sont invincibles. Tel est exactement le sens profond des textes que vous aurez à examiner. Ils visent à nous libérer de la peur, de l'aliénation à la volonté de nos adversaires. Nous travaillerons à prévenir tout nouvel attentat, et nous travaillerons à les réprimer, sans pitié, sans remords, sans faiblesse, avec d'autant plus de force que nous n'aurons cédé sur rien de ce qui nous constitue. J'en prends ici l'engagement devant vous et, au-delà, devant le peuple français.

Répondre aux terroristes, ce n'est pas changer notre Constitution chaque matin, ce n'est pas renoncer aux principes de notre République. Parce que, rappelons-le, c'est au plus fort de la guerre d'Algérie qu'a été construite, écrite et votée cette disposition de notre Constitution qui prévoit, précisément, que l'autorité judiciaire est la gardienne de nos libertés. Alors montrons-nous dignes, aujourd'hui, de la fermeté d'âme de ceux qui nous ont précédés dans les épreuves.

Enfin, la liberté forte, c'est toujours, en France, la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté intellectuelle, morale, spirituelle. De cette liberté, la France doit être l'indispensable havre. L'éducation et la culture en sont les clés. Elles sont au coeur de notre action car, en cette matière, rien n'est jamais acquis. Les progrès de l'obscurantisme nous rappellent ainsi à l'idéal des Lumières. La laïcité en est l'indispensable corollaire. À ces principes et à ces ambitions, la République a su ne rien céder car ils sont la condition même de l'autonomie de nos concitoyens.

De cette culture libérale, ouverte, généreuse, nous devons refaire ensemble la singularité de la France, car c'est par là que toujours elle sut rayonner. Au sein de la culture mondialisée et dont on observe la prolifération parfois inquiétante, la voix de la France et de la culture française doivent occuper une place éminente, associant tous les Français de métropole et d'outre-mer.

Mais cette liberté ne se tiendrait pas si notre deuxième principe d'action n'était de retrouver le socle de notre fraternité. Notre peuple n'est pas formé d'un peu plus de soixante millions d'individus qui cohabiteraient. Il est indivisible, précisément parce que ce qui le tient est plus fort que de simples règles ou des organisations. C'est un engagement chaque jour répété qui fait que notre citoyenneté n'est jamais abstraite et froide, mais qu'elle est pleine et entière par ce lien fraternel qui nous unit et dont nous devons retrouver la vigueur.

L'un des drames de notre pays, c'est que cet engagement est tout simplement impossible pour ceux que les dysfonctionnements de nos systèmes sclérosés rejettent en permanence à ses marges. Il nous reviendra, au cours de ce quinquennat, de prendre la vraie mesure de cette question, de redéfinir nos moyens d'action, sans nous laisser arrêter par de vieilles habitudes, en associant l'État, les collectivités, les associations, les fondations, l'ensemble des Françaises et des Français engagés – bien souvent bénévoles –, et toutes les entités qui, privées ou publiques, oeuvrent à l'intérêt général et pour la dignité des personnes. Nous devons substituer à l'idée d'aide sociale, à la charité publique, aux dispositifs parcellaires, une vraie politique de l'inclusion de tous. La représentation nationale y trouvera un enjeu, un défi à sa mesure.

Ne vous y trompez pas : cette question est sans doute la plus profonde, la plus sérieuse qui soit. Parce que notre société est aujourd'hui divisée entre, d'un côté, les égoïsmes tentés par les sirènes de la mondialisation, qui voudraient faire croire que l'on peut réussir à quelques-uns, que les nomades, en quelque sorte, dicteraient leur loi, et, de l'autre côté, les donneurs de leçons, les tenants d'une morale sans bras, qui voudraient que l'on oublie toutes les contraintes du réel pour s'occuper d'une partie de la société.

Il n'y aura pas de réussite française si chacune, chacun n'a pas sa place, si toutes celles et ceux qui vivent dans la pauvreté – pour mettre un nom sur cette réalité –, dans la misère, dans l'exclusion, qui sont privés de cette route auguste que peuvent emprunter quelques-uns n'ont pas aussi leur place. C'est notre devoir. Cela passera par des réformes économiques et sociales profondes sur lesquelles vous aurez à prendre des décisions et que vous aurez à voter. Elles sont indispensables, et elles permettront de raviver cette énergie sans laquelle notre société n'est rien. Mais il faudra aussi savoir trouver, pour ce que Georges Bataille appelait notre « part maudite », une place, une considération, une vraie réponse, enfin.

7 commentaires :

Le 05/07/2017 à 08:24, Laïc1 a dit :

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"D'un côté, je rétablirai les libertés des Français en levant l'état d'urgence à l'automne, parce que ces libertés sont la condition de l'existence d'une démocratie forte. Parce que les abandonner, c'est apporter à nos adversaires une confirmation que nous devons leur refuser."

J'ai lu dans le journal que l’État d'urgence allait être remplacé par des lois anti-terroristes particulières qui restent à définir, il faut tout dire, ou ne rien dire.

Par ailleurs, la première des libertés étant la sécurité, et la sécurité n'allant pas sans un état d'urgence renforcé, on peut se demander quel est le sens de "je rétablirai la liberté des Français en levant l'état d'urgence".

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Le 05/07/2017 à 08:31, Laïc1 a dit :

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"Enfin, la liberté forte, c'est toujours, en France, la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté intellectuelle, morale, spirituelle. De cette liberté, la France doit être l'indispensable havre."

Justement, que compte faire M. Macron pour que la circoncision religieuse, cette intolérable atteinte à l'intégrité corporelle du bébé, qui aliène sa liberté de conscience, morale, et spirituelle, soit interdite en France, comme elle doit l'être d'ailleurs si l'article du code pénal contre les mutilations sexuelles était appliqué ?

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Le 05/07/2017 à 08:42, Laïc1 a dit :

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" C'est un engagement chaque jour répété qui fait que notre citoyenneté n'est jamais abstraite et froide, mais qu'elle est pleine et entière par ce lien fraternel qui nous unit et dont nous devons retrouver la vigueur."

Cette citoyenneté est en effet très abstraite et froide. La première des valeurs en France est le travail, et il passe bien avant le discours politique de M. Macron, même en congrès à Versailles. Par exemple, il ne m'aurait pas été permis de mettre tout fort le discours de M. Macron au congrès pendant les heures de bureau, pourtant ne représente-t-il pas la France entière réunie au congrès à Versailles ? Ne devrait-on pas interrompre le travail pour l'écouter attentivement puisqu'il dispose du sort de chacun d'entre nous, devant l'ensemble des parlementaires élus qui sont eux aussi toute la France officielle ? Que nenni : il faut attendre que les collègues de bureau s'en soient allés pour mettre le discours de M. Macron sur internet, et gare si la chef de service débarque à l'improviste. C'est elle qui a le pouvoir, et c'est le travail, l'aliénation professionnelle, qui prime sur le discours de M. Macron. Dans le travail réel, la chef de service a plus de pouvoir que le discours de M. Macron.

M. Macron incarne dès lors cette citoyenneté froide, abstraite, qui n'existe que sur le temps de loisir, pas pendant les heures de bureau, qui sont pourtant le temps fort de la vie sociale de l'individu, puisque le salaire en dépend, et que, sans le salaire, il n'y a pas de vie sociale possible.

Donc la politique française se fait sur le temps de loisir, elle n'est sérieuse qu'à mi-temps.

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Le 19/07/2017 à 08:54, Laïc1 a dit :

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"Nous avons, vous et moi, reçu le mandat du peuple."

Vous n'avez pas reçu le mandat du peuple pour faire ce que vous voulez, quand vous voulez, et sans concertation préalable avec les Français. Les Français ne vous ont pas élu pour être leur dictateur-président. Ni pour dire que c'est la France qui est responsable de la rafle du Vel d'hiv, alors que la France s'incarnait dans la résistance et le combat pour les droits de l'homme et des valeurs de la République, pas leur abandon pur et simple.

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Le 19/07/2017 à 09:04, Laïc1 a dit :

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" Il n'appartient pas aux pouvoirs, exécutif ou législatif, de décréter le roman national, que l'on veuille lui donner une forme « réactionnaire » ou une forme « progressiste »."

Pourtant M. Macron ne se gène pas pour dire que c'est la France qui est responsable de la rafle du Vel d'hiv, donc il s'arroge le droit de dire ce qu'est l'histoire de France, de dire ce qu'est la France, de définir le "roman national" comme il dit. Donc M. Macron se contredit lui-même, entre son discours et ses actes. Il n'a pas de cohérence intellectuelle, mais venant de quelqu'un qui a un DEA de philosphie, donc un DEA en incohérence et foutaises intellectuelles, il ne fallait pas s'attendre à autre chose.

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Le 08/08/2017 à 14:24, Laïc1 a dit :

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" C'est, en particulier, réserver de ce temps au contrôle et à l'évaluation."

Tout à fait, l'article 24 de la constitution indique clairement que la fonction du député est de contrôler l'action du gouvernement, et ce sans plus de précision. Pourquoi alors ne pas inviter les chefs des groupes parlementaires au conseil des ministres afin qu'ils puissent contrôler plus réellement l'action du gouvernement, au lieu même où elle se discute et décide ? Cela serait du vrai contrôle, car on s'aperçoit que les députés ne contrôlent en fait rien du tout de l'action du gouvernement, mais que, bien pire, c'est en fait le gouvernement qui les contrôle.

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Le 28/08/2017 à 16:13, Laïc1 a dit :

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"Ce mandat du peuple, que nous avons reçu, quel est-il exactement ?"

Faire respecter la laïcité dans les cantines scolaires... Pas de menu de substitution sur des bases confessionnelles, il y en a marre de l'apartheid religieux et islamique dans les écoles publiques de la République.

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