Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du mercredi 3 octobre 2018 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Article 44

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Par ailleurs, renseignez-vous : dans les conclusions de sa réunion de Sydney du 4 juin dernier, l'Association internationale du transport aérien – IATA – évoque la privatisation des aéroports, déclarant qu'il ne faut pas faire passer la perspective d'un gain financier à court terme avant les intérêts de l'économie et du consommateur, et s'opposant ainsi à la privatisation. Cela devrait tout de même vous faire réfléchir que les États-Unis n'aient pas privatisé leurs aéroports et que l'association qui réunit toutes les grandes compagnies aériennes du monde déclare qu'il ne faut pas brader les aéroports, en tout cas pas pour des intérêts financiers à court terme. Je ne comprends pas que vous n'entendiez pas ces messages.

Il y a donc bien un débat sur l'indépendance de notre pays. Il faut que l'État garde le contrôle d'acteurs stratégiques. En effet, si je suis libéral, je suis aussi gaulliste et je pense – contrairement, semble-t-il, à certains d'entre vous – que l'État a encore un rôle à jouer. ADP est un actif stratégique qui concerne tout de même chaque année plus de 6 millions d'entrées sur le territoire français. C'est une porte d'entrée dans notre territoire, une frontière.

Par ailleurs, comme l'a très bien dit notre collègue Robin Reda, Aéroports de Paris représente aussi un foncier considérable que nous ne maîtriserons plus, alors que l'on élabore des projets de Grand Paris et de développement de Paris au-delà des frontières du périphérique. Il n'est donc vraiment pas raisonnable de se débarrasser ainsi de ce foncier dont nous aurions absolument besoin – à tel point, du reste, que certains départements ont proposé d'entrer demain dans le capital d'Aéroports de Paris pour avoir au moins un mot à dire sur l'usage qui sera fait demain de ce foncier, qui appartient aux Français. Il s'agit d'un bien d'intérêt général, qu'on ne peut laisser à un acteur purement privé. Voilà pour mon premier point.

Ma deuxième remarque porte sur l'aspect financier de cette question : pourquoi tout cela ? De fait, l'addition des dividendes d'Aéroports de Paris et de la Française des jeux représente un montant supérieur à celui que vous pourrez mobiliser dans le cadre de votre fonds de rupture pour l'innovation. Je ne comprends donc vraiment pas pourquoi vous bradez ses actifs, qu'il s'agisse d'Aéroports de Paris ou de la Française des jeux. Nous n'allons d'ailleurs pas nous priver seulement d'un gain immédiat, mais aussi de la possibilité de gains futurs. En effet, vous raisonnez aujourd'hui en fonction de l'état actuel des dividendes, mais au vu de l'évolution de la valorisation d'Aéroports de Paris – le titre a pris 27 % en très peu de temps – et des possibilités d'évolution de la Française des jeux, vous ne vous privez pas seulement de ces dividendes, mais aussi de la progression qu'ils peuvent connaître demain.

J'ajouterai d'autres considérations. L'une concerne le manque d'ambition de votre projet. En effet, alors que ces 10 milliards représentent 250 millions d'euros par an, vous nous expliquez, monsieur le ministre, qu'avec cette loi, vous ferez entrer l'économie française dans le XXIe siècle. Il s'agit d'un fonds d'innovation de rupture : votre projet va tout casser et nous allons quitter l'Ancien monde pour entrer dans le Nouveau monde, avec 250 millions d'euros par an ! C'est une plaisanterie. On a bien compris que vous tutoyez le 100 % et qu'il fallait bien trouver un moyen pour tenter de diminuer la dette du pays : ces 10 milliards vous aideront à passer sous certains radars, mais je ne vois pas d'autre motivation que celle-ci. En effet, ces 250 millions d'euros sont insuffisants et, de toute façon, nous les avons déjà en recettes de l'État sous la forme des dividendes que nous percevons. Votre affaire ne tient pas la route, à moins d'essayer de maquiller encore des comptes qui ne sont pas très glorieux.

Deux choses encore. Pour ce qui concerne la Française des jeux – et j'y reviendrai – se pose également une question de santé publique. Ayant été rapporteur pour avis du projet de loi qui a permis l'ouverture des jeux en ligne, à l'époque où Éric Woerth était le ministre, je sais en effet que les questions d'addiction et de santé publique étaient au coeur de considérations que vous avez visiblement ignorées et balayées dans ce texte.

Se pose aussi la question de la solidité juridique de vos montages. Pour ce qui est de la Française des jeux, le monopole tient aujourd'hui parce que l'État est au coeur de cette société, mais je vous ai cité, en commission spéciale, un arrêt de février 2018 de la Cour de justice. Vous avez visiblement été pris au dépourvu car vous ne connaissez pas cet arrêt qui, pourtant, change complètement la donne. J'imagine donc que vous j'aurai tout à l'heure la réponse à mes questions. Ce que vous faites est-il, ou ou non, approuvé par Bruxelles ?

Quant à Aéroports de Paris, je ne répéterai pas ce qu'a dit Éric Woerth et que je ne pourrais pas dire aussi bien que lui, mais de nombreuses questions se posent à la fois sur la procédure et sur l'actionnaire qui entrera demain au capital? Il y a trop de questions, trop d'incertitudes et trop de flou pour que l'on puisse vous accompagner dans cette démarche.

Il faut sortir de l'opposition stérile entre libéraux et non libéraux, entre économie administrée et non administrée. Le Nouveau monde consiste précisément à savoir dépasser cette opposition futile. Dans certains domaines, il faut moins d'État – et c'est la raison pour laquelle nous approuvons certaines des évolutions de la loi PACTE – , mais peut-être en faut-il plus dans d'autres, en tout cas un État qui soit vraiment stratège et défende les intérêts du pays, ce qui n'est malheureusement pas le cas avec votre projet de loi.

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