Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du vendredi 5 octobre 2018 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 61

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Vous évoquez le rôle de précurseur de la France. C'est vrai, nous avons été les premiers à imposer les 35 heures à nos entreprises – mais nous n'avons jamais été suivis par qui que ce soit. Je passe sur la retraite à 60 ans. Même l'ISF, que vous avez fini vous-mêmes par remettre en cause partiellement, n'est pas un exemple. La France a toujours aimé donner des leçons et vous perpétuez cette tradition. Hélas, elle a souvent pris des mesures législatives que personne n'a suivies.

Faites très attention, dans le domaine juridique, aux comparaisons. Comparaison n'est pas raison, surtout en droit. Une disposition, dans un certain contexte juridique, n'aura pas forcément les mêmes effets que dans un autre. Je vous pose à nouveau la question, puisque vous n'y avez toujours pas répondu : en droit français, pouvez-vous nous donner des exemples d'enjeux sociaux et environnementaux auxquels une entreprise devrait répondre en vertu de cette mesure et qui ne découleraient pas pas du droit en vigueur ?

Je pense, quant à moi, à l'intérêt des entreprises. Prenons le cas des agriculteurs, que M. Potier défend souvent. Demain, un agriculteur pourra être mis en cause par n'importe qui au prétexte qu'il n'aura pas pris en compte les enjeux environnementaux. Demain, un artisan du bâtiment pourra être mis en cause parce qu'il aura utilisé une peinture dont on s'apercevra, des années plus tard, qu'elle a ou pourrait avoir des effets délétères. En ajoutant le principe de précaution au respect des enjeux environnementaux, vous multipliez les risques de contentieux dans notre pays. J'espère que vous en avez conscience.

Je partage votre objectif, monsieur Guerini : les entreprises doivent inventer une autre relation à la société. Nous sommes d'accord sur l'intention mais pas sur les moyens d'y parvenir. Nous devrions plutôt, par des instruments juridiques non contraignants, inviter les entreprises à mieux prendre en compte, d'une façon générale, les enjeux sociaux et environnementaux. En l'espèce, la loi me paraît le véhicule le plus adapté. Nous l'avons fait, tout comme vous, dans le code de l'environnement et dans le code du travail.

Il appartient au législateur de décider comment les entreprises prendront en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Pour le reste, il revient aux sociétés – en espérant qu'elles soient aussi nombreuses que possible à le faire – , par l'intermédiaire de leur objet social, dans le cadre des missions qu'elles se fixent, de décider elles-mêmes de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Surtout, laissons la liberté aux entreprises. Je plaide pour la liberté. D'ailleurs, dans le reste du monde, notamment aux États-Unis, le principe de la liberté prévaut, mais tel que vous modifiez le code civil, vous faites courir un grand danger à nos entreprises. C'est le paradoxe de ce texte de simplification qui complexifiera en réalité la vie des entreprises.

Le juge s'emparera bien évidemment de cette nouvelle obligation. Nous sommes des législateurs : dès lors que nous créons une obligation, il est évident qu'elle sera sanctionnée par les juges. Soyons sérieux : les choses se sont toujours passées ainsi. La loi ne doit pas être bavarde. On n'écrit pas la loi pour demander aux entreprises d'aller dans une certaine direction. À la rigueur, cela peut être l'objet d'un discours politique, mais pas d'une loi. Sinon, le juge s'en emparera pour forger une jurisprudence. Ainsi, vous empoisonnerez la vie des entreprises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.