Intervention de Aurélien Pradié

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur :

Monsieur le président, Mesdames et messieurs les membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, je suis heureux d'être parmi vous pour quelques jours.

Mes chers collègues, 320 000, c'est le nombre d'enfants et d'adolescents extraordinaires qui apprennent et grandissent aujourd'hui au sein de l'école de la République. 80 000, c'est le nombre de femmes et d'hommes, tout aussi extraordinaires, qui accompagnent les pas de ces enfants et adolescents. Le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire est passé d'environ 100 000 en 2006 à plus de 320 000 en 2017. Sur la même période, le nombre de ceux qui bénéficient d'un accompagnement humain a été multiplié par cinq.

Si je rappelle ces chiffres, c'est parce qu'ils sont essentiels : ils expriment une actualité criante et une réalité souvent douloureuse. Pour les parlementaires que nous sommes, ils résonnent comme un défi moral, sociétal et républicain. Ils nous appellent à la lucidité et nous rappellent l'urgence de l'action publique. Ils nous commandent l'abandon des postures politiques pour préférer l'action : agir vraiment et en profondeur, voilà notre seule urgence.

« Inclusion » semble être le mot qui traduit le cap, mais si ce mot a du sens, chacun peut convenir que sa répétition et son affichage permanent ne suffisent pas à passer des paroles aux actes. Entre les déclarations d'inclusion, les appels à l'inclusion et le monde réel, il y a trop souvent un écart.

Les débats parlementaires sont faits d'oppositions. Je prétends même, et je l'assume, qu'à l'Assemblée nationale, ici où se fabrique la loi, les oppositions vivantes, les conflits de positions politiques ou partisanes sont nécessaires au plein exercice de la démocratie. Cela nous fait du bien de nous affronter et de nous opposer. Quand il le faut, j'y prends d'ailleurs bien volontiers ma part ! Mais certains sujets, certains défis lancés à nos valeurs républicaines, nous imposent de savoir poser les armes, de tenir une discussion apaisée, de retenir les bonnes idées – d'où qu'elles viennent –, d'avancer, de voter la loi et de faire grandir notre société. À cet instant, c'est la seule chose qui doit nous préoccuper.

La discussion autour de cette proposition de loi en faveur de l'inclusion des élèves en situation de handicap est l'occasion de traduire notre volonté d'apporter des solutions concrètes à ces milliers d'élèves, de familles et d'accompagnants, qui n'en ont parfois aucune et que l'on considère trop peu.

Car ces 320 000 élèves extraordinaires et ces 80 000 accompagnants qui donnent réalité à l'inclusion sont si peu visibles ! Si peu visibles dans les statistiques – quasi inexistantes sur le sujet –, ce qui pose un problème d'identification d'une réalité pourtant bien présente, le Défenseur des droits l'a relevé ; si peu visibles dans leur statut, dans l'emploi, dans la fonction et la rémunération qui sont proposés aux accompagnants, dont la précarité est généralement le quotidien ; si peu visibles au sein de la communauté éducative, au point que les représentantes du collectif des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) que nous avons auditionnées se sont elles-mêmes qualifiées d' « invisibles de l'éducation nationale ».

Que répondre à cette AVS qui m'explique que, lorsqu'elle accède à son espace personnalisé « Éducation nationale » et qu'elle veut renseigner sa fonction, le menu déroulant ne lui propose qu'« autre » pour préciser sa mission ? Vous pourrez juger que c'est un détail, mais c'est surtout un symptôme qui en dit long… Que répondre à cette AESH qui voit son temps de travail divisé par deux en cours d'année scolaire et qui survit avec un salaire de 898 euros par mois ? Son métier, celui du défi de l'inclusion, ne mérite-t-il pas plus ? À l'évidence si, et chacun le sait.

Cette réalité est ancienne ; elle perdure. Je serai malhonnête si j'affirmais que rien n'a été fait. Des évolutions ont eu lieu depuis 2005 : la loi majeure du 11 février 2005 voulue par M. Jacques Chirac, qui constitue à mes yeux un pilier de nos valeurs républicaines ; les évolutions engagées par le gouvernement socialiste il y a quelques années ; et jusqu'à cette rentrée 2018, qui a marqué des progrès.

Mais ce constat honnête en appelle un autre : ce qui reste à faire est immense… Les rentrées avortées d'enfants se retrouvant sans solution se comptent encore en milliers cette année. La précarité et la grande fragilité des emplois et de la formation des accompagnants restent autant de réalités violentes.

Lors des auditions que nous avons menées, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) nous a indiqué que pour cette rentrée, plus de six cents élèves se trouvaient sans solution d'accompagnement à Rennes et qu'ils étaient huit cent soixante-dix à Paris. Cela représente près de 20 % des 4 827 notifications d'aide humaine enregistrées à Paris au 7 septembre. Le nombre d'enfants sans solution d'accompagnement dépasserait en réalité plus de 1 500 dans certains départements, à croire un rapport remis au Gouvernement en juin dernier.

Face à de telles situations, l'autosatisfaction n'a pas sa place. Cette proposition de loi veut faire entendre celles et ceux qui ne sont pas entendus ; elle veut replacer les carences de notre République en matière de handicap au centre de nos préoccupations ; elle veut faire avancer les choses. Cette proposition de loi est issue de notre travail parlementaire, de nos auditions, de nos rencontres de terrain, de nos échanges, y compris entre groupes politiques différents. Elle n'est pas parfaite et ne réglera pas tout. Disons qu'elle est tout aussi imparfaite que la réalité à laquelle sont confrontés ces jeunes et leurs accompagnants. Disons aussi qu'elle est tout aussi imparfaite que l'action réelle menée dans ce domaine par tous les gouvernements depuis de nombreuses années.

En résumé, elle est imparfaite, mais volontaire et concrète. Elle porte une ambition, pas une démission ; elle bouscule ce qui met trop de temps à progresser. Et c'est parce qu'elle est le fruit d'une initiative parlementaire que je vous indique ma volonté constructive de retenir et soutenir des amendements venus de différents groupes, qui permettront de l'enrichir.

Je ne doute pas que si le seul groupe qui n'a pas déposé d'amendement n'a pas estimé utile de le faire, c'est qu'il est en total accord avec notre proposition… L'absence de contribution au débat sur un tel sujet ne saurait traduire une indifférence ou une tactique d'évitement, ni imaginable, ni souhaitable, alors que nos concitoyens nous regardent.

Cette proposition de loi s'attaque à plusieurs sujets précis et concrets. D'abord, il s'agit de faire évoluer positivement et significativement les situations professionnelles des auxiliaires de vie scolaire (AVS) et AESH. Pour cela, l'article 1er propose de substituer un unique statut d'aidant à l'inclusion scolaire aux multiples statuts actuels. Les AVS et AESH verraient leur statut aligné sur le régime des agents contractuels de l'État et leur rémunération améliorée : cela paraît indispensable quand nous savons qu'un travail à temps plein de près de quarante et une heures par semaine peut être payé 1 282 euros nets mensuels…

Ces aidants n'auront donc plus nécessairement à effectuer deux contrats à durée déterminée (CDD) avant d'espérer obtenir éventuellement un contrat à durée indéterminée (CDI), comme c'est le cas aujourd'hui. Je précise d'ailleurs que le CDI d'AESH est loin d'être la panacée, dans la mesure où il n'apporte aucune sécurité quant aux nombres d'heures travaillées, qui peut évoluer d'une année sur l'autre ou en cours d'année scolaire, et que la définition du temps plein varie largement selon les académies et les territoires.

À ce stade, je vous précise – c'est important pour nos débats – que pour rester pleinement fidèle à notre volonté collective d'inclusion, je proposerai par amendement de remplacer le terme d'« aidant » par celui d'« accompagnant » à l'inclusion scolaire.

Par ailleurs, en complément de ces dispositions, je vous proposerai un amendement visant à prévoir que le directeur académique des services de l'éducation nationale dans chaque département est tenu de désigner au moins un accompagnant à l'inclusion scolaire dit « ressources », auquel pourront être confiées des missions de remplacements ponctuels et temporaires d'accompagnants intervenant déjà au sein des établissements d'enseignement, ainsi que des missions d'appui au bénéfice d'autres accompagnants à l'inclusion scolaire, afin de leur fournir des conseils et une expertise spécialisée dans l'accompagnement de certains types de handicap, comme l'autisme, ou de certaines activités proposées aux élèves en situation de handicap, en particulier lors des temps périscolaire et extrascolaire.

Cette proposition novatrice s'inspire peu ou prou du modèle des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) et de l'initiative parisienne des AESH dits « tuteurs ». Elle permettra de répondre à l'attente forte et fondée de structuration des savoir-faire des accompagnants qui doivent faire face à une diversité croissante des formes de handicap et, en conséquence, des réponses à y apporter.

Quant aux soixante heures de formation professionnelle prétendument proposées aux AVS recrutés actuellement en contrat aidé, elles sont au mieux réalisées après la prise de fonctions – ce qui est absurde –, au pire oubliées ou sans rapport avec la réalité des missions exercées par les accompagnants.

À cet égard, l'article 2 de la proposition de loi tend à mieux structurer et valoriser la formation de ces accompagnants en prévoyant la création de diplômes d'État ou professionnels d'accompagnant à l'inclusion scolaire et d'un certificat d'aptitude. Il s'agit de fonder un socle unique et lisible, auquel pourra s'ajouter une spécialisation, comme le propose un amendement pertinent de notre collègue Mme Descamps. En outre, les qualifications professionnelles et la validation des acquis de l'expérience permettront la délivrance de ces diplômes et certificats à celles et ceux qui accompagnent actuellement des élèves en situation de handicap.

Dans la mesure où il reviendra à l'État, et à lui seul, de recruter et de rémunérer les accompagnants à l'inclusion scolaire, c'est également à lui qu'il incombera de mettre en place une filière de formation de ces accompagnants dans chaque département. Une antenne de formation dans chaque département de notre pays garantira des formations au plus près des besoins ; c'est une mesure territoriale qui fait sens pour faciliter l'accès parfois difficile à ces formations.

Notre proposition de loi cherche aussi à décloisonner le temps d'accompagnement. C'est une évidence : le succès de la scolarité des élèves se joue au moins autant pendant les temps péri et extrascolaires que pendant le temps scolaire. Afin de clarifier les missions des accompagnants à l'inclusion scolaire, l'article 1er énonce sans ambiguïté qu'ils pourront accompagner les élèves en situation de handicap lors de toutes les sorties scolaires. Vous me répondrez sûrement, à raison, que c'est déjà possible. Mais nombre d'exemples montrent que ce droit n'est pas effectif et qu'au regard de son importance, ce principe mérite d'être clairement réaffirmé dans la loi.

L'article 5 vise à mettre en place un parcours inclusif que je vous suggérerai, par voie d'amendement, de qualifier de « personnalisé ». Conçu en lien avec le projet éducatif territorial, ce parcours inclusif personnalisé permettra à l'ensemble des acteurs concernés par la scolarisation des élèves en situation de handicap de se rencontrer au moins une fois par an – dont une fois en anticipation de la rentrée scolaire. Il permettra d'emblée de contractualiser la répartition et les modalités d'accompagnement de ces élèves pendant le temps scolaire, mais également périscolaire et extrascolaire. Actuellement, aucun outil ne permet de mettre autour de la table tous ces acteurs. C'est pourtant indispensable pour réussir une inclusion globale.

Je vous proposerai par amendement d'associer à l'élaboration et à la réalisation de ce parcours non seulement l'élève, son représentant légal, les services et établissements relevant du ministère de l'éducation nationale ou d'autres administrations, les collectivités territoriales, les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap, mais aussi les accompagnants à l'inclusion scolaire qui, aux côtés des professionnels de santé et des acteurs médico-sociaux, jouent un rôle considérable.

Toujours dans le souci de mieux valoriser la formation des aidants à l'inclusion scolaire, l'article 3 prévoit que les établissements dispensant des formations préparant au diplôme d'État ou professionnel d'aidant à l'inclusion scolaire ou au certificat d'aptitude devront offrir aux candidats la possibilité de se former en vue de l'obtention du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA). Lors de son audition, Mme Diane Cabouat, vice-présidente du CNCPH, a jugé l'idée pertinente. En effet, outre que l'obtention de ce brevet permettrait aux accompagnants d'étoffer leurs compétences, elle pourrait s'avérer extrêmement utile dans l'exercice quotidien de leur profession, durant tous les temps d'activité des enfants.

Soyez rassurés : il ne s'agit pas de faire des accompagnants des « super-animateurs » compétents dans tous les domaines, mais seulement de leur donner, s'ils le souhaitent, des outils leur permettant d'appréhender les différents temps de vie de l'élève, en classe, lors des repas, durant les récréations – ce qu'ils font déjà – et au-delà si nécessaire.

Enfin, l'article 4 de la proposition de loi suggère d'encadrer les délais dans lesquels les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) traitent les demandes d'aide aux enfants en situation de handicap, afin que les familles puissent se voir proposer une solution dès le premier jour de la scolarisation. Un amendement précisera les modalités de computation des délais de traitement de ces demandes, afin que les MDPH délivrent un récépissé notifiant la complétude ou l'incomplétude du dossier de demande d'aide dans un délai maximum de quinze jours à compter de la date de son dépôt. Dans l'hypothèse où des pièces manqueraient au dossier, les MDPH devront le délivrer sitôt que celles-ci auront été fournies. Elles seront tenues de traiter la demande d'aide dans un délai maximal de deux mois à compter de la délivrance du récépissé notifiant la complétude du dossier, au lieu de quatre aujourd'hui.

Le rapport illustre cette triste réalité. Et si la question des moyens alloués au MDPH devra être posée, l'idée même de réduire l'accès à un droit fondamental en raison d'un manque de moyens n'est pas acceptable un seul instant. On ne peut arguer de contingences dès lors qu'il s'agit d'un droit fondamental.

Voilà, mes chers collègues, en quelques mots, l'esprit de cette proposition de loi.

Nous pouvons préférer que rien ne change. Nous pouvons nous satisfaire de l'existant. Nous pourrions continuer à expérimenter, à évaluer, à produire des rapports qui, au final, disent tous la même chose et pointent tous les mêmes problèmes. Nous pourrions aussi abandonner aux circulaires et aux décrets le soin illusoire de faire avancer les choses.

Mais nous pouvons également jouer pleinement notre rôle de député, agir pour faire bouger les lignes, abandonner les postures politiques pour construire collectivement une réponse face à ceux qui lancent des appels à la République inclusive. Nous pouvons voir la réalité en face, assurer un véritable statut aux accompagnants, une inclusion décloisonnée aux enfants et adolescents qui, demain, doivent pouvoir devenir de véritables citoyens.

Telles sont, au fond, les questions qui nous sont posées. Entre les postures, la timidité, le renvoi à après-demain ou l'action nécessaire, audacieuse, qui revient au législateur que nous sommes, le choix me paraît évident.

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