Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 21h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

J'ai entendu Mme Nyssen annoncer la création d'une mission ministérielle pour la création d'un conseil de déontologie. Je m'en réjouis, mais c'est une mission ministérielle. Or, moult spécialistes des médias et d'institutions appellent à légiférer audacieusement sur la création d'un conseil de presse : Nic Newman et Richard Fletcher, dans une étude publiée par Reuters, montrent que deux Français et Françaises sur trois n'ont pas confiance dans les médias d'information.

Robert Arthur Pinker, sociologue britannique à la retraite et régulateur de la presse, déclare : « Les conseils de presse servent à protéger la liberté de la presse et à protéger le public des excès de cette liberté ».

Le rapport intitulé « Autorégulation de l'information : comment incarner la déontologie ? », remis à l'ancienne ministre Aurélie Filippetti par la magistrate Marie Sirinelli, a constaté que la majorité des acteurs concernés paraissent favorables – ou à tout le moins ne sont pas opposés – à la création d'une telle instance.

Enfin, même l'UNESCO – l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture – et le Conseil de l'Europe poussent à la création d'un conseil.

La France insoumise appelle de ses voeux un conseil de déontologie des médias. Nous espérons que le Gouvernement prendra des mesures fortes permettant la création d'un organe opérationnel. L'accès à une information sincère, indépendante et honnête est en effet une condition sine qua non de l'exercice de la souveraineté populaire.

Cette mission ministérielle doit se donner comme but de réguler démocratiquement, et de façon efficace, notre système médiatique. Des injonctions, puis, s'il le faut, des sanctions, doivent avoir un effet dissuasif, interrompre ainsi toute dérive et garantir la bonne information des publics.

La France a déjà tenté de réguler les médias. La loi Bloche du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias a prévu que les radios et les télévisions se dotent de comités d'éthiques. Ces derniers ont ainsi été créés en son sein par chaque média, et sont donc contrôlés par le média lui-même.

On s'est aperçu que ce fonctionnement est absolument inopérant dans les faits. Nous l'avons constaté chez France Télévisions, où un comité d'éthique relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes a été fondé suite à cette loi. Pourtant, certaines émissions, comme L'Émission politique du 30 novembre dernier, contrarient fortement les exigences d'éthiques, d'honnêteté et d'indépendance prônées par cette instance de régulation.

Dans cette affaire, les cinq membres de ce comité que sont Francis Balle, Christine Chanet, Michèle Cotta, Sophie Jehel et Denis Rapone n'ont pas été à la hauteur de la mission qui leur avait été confiée. On peut dès lors se poser la question de la véritable indépendance de cette instance.

Nous attendons donc que le Gouvernement prenne des dispositions pour créer un outil démocratique et fonctionnel garant de l'indépendance, de la sincérité et de l'honnêteté des informations que les Françaises et les Français reçoivent.

Cet outil est le conseil de déontologie des médias, qui devra être composé de représentants de journalistes, y compris de pigistes et de précaires, ainsi que de représentants des usagers des médias.

Il devra veiller à sa représentativité – pour éviter que les 90 % des médias qui sont détenus par neuf milliardaires soient surreprésentés – et garantir son indépendance politique et financière.

Ses décisions, qui se veulent efficaces et objectives, ne seront donc pas celles des grands groupes ou de militants politiques.

Ce conseil devra exiger que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme soit respecté : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. [… ] »

Enfin, il devra s'appuyer sur les expériences des autres pays qui ont créé des instances comparables.

Prenons l'exemple du conseil de presse du Québec. Le contexte de la création de ce conseil, en 1973, fait écho à la situation que nous connaissons aujourd'hui : forte concentration des médias, défiance vis-à-vis des médias, et volonté du Gouvernement de réglementer le secteur.

J'ai rencontré le Président du conseil de déontologie journalistique de la Belgique, Jean-Jacques Jespers, au cours des AMFiS d'été de la France insoumise : il nous a démontré les vertus de cet outil démocratique dans lequel l'État ne s'ingère pas, contrairement à ce que prévoit la proposition qui nous occupe.

Je précise que la Belgique est classée par Reporters sans frontières à la neuvième place pour la liberté de la presse, alors que la France n'occupe que la trente-neuvième position.

Jean Jaurès préconisait des informations étendues et exactes, dans le but de donner à toutes et à tous, ainsi qu'à toutes les intelligences libres, le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde.

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