Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du lundi 15 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Monsieur le ministre, pas de surprise avec ce PLF pour 2019 : il s'inscrit dans la stricte continuité du précédent budget, même si la communication du Gouvernement a évolué. Aujourd'hui, on ne vante plus les mérites de la théorie du ruissellement, mais on revendique le choix du travail. Or, je vais m'employer à le démontrer, après un budget 2018 d'attractivité fiscale pour la finance et le capital, vous ne privilégiez en 2019 ni le travail, ni le pouvoir d'achat, ni l'emploi, mais bien encore et toujours les grandes entreprises.

Vous persistez dans votre choix de politique budgétaire alors que les preuves de son inefficacité sont légion et que les inégalités se creusent. Entre 2017 et 2018, nous avons connu une très forte baisse des prélèvements obligatoires qui sont passés de 45,4 % à 44 % du PIB. Comment y êtes-vous parvenus ? En faisant payer moins d'impôts aux ultra-riches afin, selon vous, de libérer les énergies des premiers de cordée et de provoquer un ruissellement sur le reste de la population.

Ainsi, la suppression de l'ISF a permis aux ultra-riches de gagner environ 15 000 euros par million de capital. Ce sont encore les 10 % les plus riches qui ont bénéficié aux deux tiers de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique. Ces derniers profitent ainsi de l'aubaine et se rémunèrent en dividendes plutôt qu'en salaires, ce qui représente un véritable manque à gagner pour l'État. De même, le taux d'imposition sur les sociétés passera de 33 % à 25 %, ce qui permettra de dégager toujours plus de profits sans contreparties que ce soit en termes d'emplois ou d'investissements.

Pourtant, bizarrement, le pouvoir d'achat a baissé de 0,6 % depuis le début de l'année 2018, soit la plus forte baisse depuis 2012. Le taux d'épargne des ménages augmente de 0,6 point au quatrième trimestre 2017, tandis que la consommation des ménages baisse de 0,39 point au premier trimestre 2018.

Je suis allée regarder du côté de la croissance et du taux de chômage, pensant y constater les bénéfices de votre politique, mais, je l'ai déjà dit, les chiffres sont têtus. Notre croissance, estimée à environ 1,8 %, est plus faible que celle de la zone euro. En France, elle a progressé de 0,3 % alors que la croissance de la zone euro hors France est de + 0,9 point au premier semestre 2018 – 70 % de cet écart s'explique par la baisse du pouvoir d'achat que je viens d'évoquer.

En France, le taux de chômage augmente de 0,2 point au premier trimestre 2018. Notre pays compte 5 621 000 demandeurs d'emploi, toutes catégories confondues, soit un chômage supérieur de 3,4 points à la moyenne des taux de chômage des pays les plus développés,

Pareillement, la hausse des prix tend à rattraper la hausse des salaires, faisant ainsi baisser le pouvoir d'achat des ménages de 0,4 point sur la même période, et donc reculer leur consommation. La croissance s'en trouve bien sûr affectée puisque la consommation représente environ 55 % du PIB.

Je tiens à préciser que cette hausse des prix n'est pas « vertueuse » puisqu'elle n'est pas la suite logique de hausses de salaires, mais qu'elle résulte de facteurs internationaux, comme l'évolution du cours du baril de pétrole, ou de la fiscalité nationale, avec, par exemple, la hausse des taxes sur tabac.

Vous n'arrivez même pas à respecter vos sacro-saints traités budgétaires européens ! Le Haut Conseil des finances publiques a souligné dans son avis publié, à la fin du mois de septembre, que « les ajustements structurels prévus pour 2018 et 2019 [… ] ne sont pas conformes aux règles du "bras préventif" du Pacte de stabilité ». Mais il ne pouvait en être autrement, étant donné que vous persistez dans une politique appliquée depuis maintenant une quinzaine d'années par les gouvernements précédents auxquels M. Bruno Le Maire appartenait déjà !

Le 24 septembre, en commission des finances, ce dernier s'est fendu d'une tirade sur le caractère novateur de la politique économique menée par le Gouvernement depuis le début du mandat, la fameuse politique de l'offre : « Moi, je constate que les politiques précédentes n'ont pas permis d'avoir un niveau de croissance élevé, ne nous ont pas permis de sortir de l'endettement massif, et ont même accéléré l'endettement massif du pays, et ne nous ont pas permis de baisser les impôts. Je pense qu'il est temps d'essayer une politique différente, qui est une politique de l'offre. »

Je ne sais pas qui M. Le Maire souhaite convaincre avec cette affirmation, puisque lui-même et certains de ses amis appliquaient déjà une politique visant à améliorer la compétitivité des entreprises – une autre manière de nommer la politique de l'offre – au sein du gouvernement Fillon en 2008. Doit-on également rappeler que l'actuel Président de la République était ministre de l'économie et des finances pendant le quinquennat Hollande, qui n'y a rien changé ?

En réalité, la politique menée aujourd'hui par l'exécutif s'inscrit dans la droite ligne de celle conduite depuis plus de dix ans – et encore, je fais court. Il s'agit de réduire le prix du travail, désormais appelé « coût du travail », de baisser les cotisations des entreprises et l'impôt sur les sociétés, de comprimer la dépense publique et de simplifier les normes et les formalités administratives. Ainsi, quand vous évoquez l'inefficacité des précédentes politiques économiques, c'est en réalité votre propre oeuvre que vous dénigrez.

C'est là le bilan pour le moins mitigé que l'on peut d'ores et déjà dresser de la politique menée par le Gouvernement : en comprimant sans cesse la demande, en participant à la financiarisation de l'économie, en refusant d'investir plus massivement dans la transition écologique, on ne peut qu'anémier une croissance déjà bien faible. Car disons-le franchement, alors que vous répétez à satiété que votre gouvernement favorise le travail, c'est bien aux plus riches de nos compatriotes que bénéficient d'abord et avant tout les largesses fiscales de votre action législative.

Je ne fais là que reprendre à mon compte les récentes conclusions de l'Institut des politiques publiques, publiées jeudi dernier, qui détaillent les mesures fiscales et sociales des deux premiers budgets de l'ère Macron. Et le constat est accablant : les effets cumulés des réformes menées en 2018 et de celles que vous entendez mener en 2019 se traduisent certes par une hausse des revenus de près de 6 %… mais pour à peine 1 % de la population. Comme le résumait Pierre Mendès France, « gouverner c'est choisir » ; votre choix, celui de l'austérité, entérine une politique de complaisance à l'égard des ultra-riches.

Je ne prendrai ici qu'un seul exemple, déjà évoqué et pour le moins éloquent : le CICE. Malgré une efficacité des plus limitées en matière de création d'emplois, le CICE grève lourdement le budget de l'État : près de 20 milliards d'euros s'évaporent ainsi chaque année, principalement captés par les grandes entreprises. Mais dans ce PLF, la facture sera doublée : en plus des 20 milliards dus au titre de l'année précédente, il affiche 20 milliards de recettes en moins pour le budget de l'État avec la baisse pérenne des cotisations sociales. Et pourtant cette politique ne résout en rien la crise que traverse notre pays : l'Institut des politiques publiques s'avoue en effet incapable de « démontrer que ces mesures, très concentrées sur les très hauts revenus, ont des effets incitatifs majeurs sur l'investissement et l'emploi ». Nombreux sont en revanche les Françaises et les Français qui pâtissent des politiques d'austérité menées depuis près d'une décennie : en 2016, quelque 8 millions de nos concitoyens vivaient sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 1 026 euros par mois.

Votre majorité, dans un souci de communication, se gargarise à l'occasion de ce PLF 2019 d'une baisse de 6 % de la fiscalité des ménages. Mais comme l'a souligné Éric Coquerel, il faut relativiser ce chiffre qui confond habilement des mesures déjà votées l'année dernière, portant par exemple sur la taxe d'habitation, et d'autres, comme la baisse des cotisations sociales, qui ne relèvent pas du PLF mais du PLFSS. À ce petit jeu, on doit alors corriger cette baisse des cotisations en y intégrant en même temps la coupe drastique des prestations sociales : la rigueur budgétaire pèsera sur les APL, les pensions de retraite, les allocations familiales, les prestations d'invalidité….

Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – cela ramène ces allégements non à 6, mais à 3,5 milliards d'euros, et cela alors que vous savez pertinemment que les prestations sociales, loin de coûter un « pognon de dingue » en laissant les gens pauvres, résorbent considérablement la fracture sociale qui traverse notre pays. Selon le ministère de la santé, les prestations sociales permettent de contenir le taux de pauvreté à 14 % ; sans elles, il tournerait actuellement à près de 22 %. Quasiment un quart de notre population vivrait sous le seuil de pauvreté, mais cela n'a l'air d'intéresser personne ! Et si nous regardons du côté de l'allégement fiscal pour les entreprises, c'est la même logique qui préside à ce nouveau PLF : une baisse de l'impôt sur les sociétés, certes modeste – de 33,3 à 31 % – , mais qui ne toucherait que les bénéfices de plus de 500 000 euros, et dont l'impact sera donc nul pour les TPE-PME qui souffrent de la conjoncture économique.

Alors que notre République se défait, que notre tissu social s'étiole et que les inégalités sociales explosent, votre gouvernement se voit dans l'obligation de procéder une fois de plus à des coupes sombres dans les différentes missions, abîmant un peu plus des services publics déjà très mal-en-point. Nous en reparlerons à l'occasion de l'examen de la deuxième partie du PLF, mais je veux d'ores et déjà le souligner. Vous pourrez toujours pérorer sur les augmentations de crédits : c'est un tour de passe-passe qui ne prend en compte ni l'inflation ni l'augmentation de la population, qui entraîne mécaniquement une hausse des besoins. Il suffit de prendre la peine de considérer les missions qui souffrent en priorité de ce carcan austéritaire pour comprendre qu'une fois de plus ce sont les classes populaires et moyennes qui serviront de variable d'ajustement.

La première à pâtir de cette saignée est la mission « Travail et emploi », garante de notre cohésion sociale, qui perdra 2 milliards d'euros entre 2018 et 2019. Cela signifie concrètement que vous poursuivrez la baisse du nombre de contrats aidés, pourtant actuellement indispensables. Un récent rapport sénatorial pointait ainsi du doigt l'impact très lourd de leur suppression drastique pour les associations, les collectivités, mais aussi les EHPAD.

Mais votre majorité s'attaque aussi au budget « Cohésion des territoires », en baisse de 8,4 %, qui comprend notamment le logement – alors que vous venez d'entériner la loi ELAN, qui sonne le glas de notre politique de logement social. Autre exemple qui témoigne de votre aveuglement idéologique : la baisse de près de 11 % des crédits alloués à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », alors qu'un récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – GIEC – nous alerte sur les effets dramatiques du réchauffement climatique. La transition écologique devrait représenter pour tous les groupes, quelles que soient leurs nuances, un défi majeur tant du point de vue de l'intérêt des agriculteurs que de la santé des consommateurs.

Et si vous pouviez, au début du quinquennat, farder vos discours d'un maquillage progressiste, il est un marqueur qui illustre à merveille votre entêtement à défaire notre État et nos services publics : la suppression d'encore et toujours plus de fonctionnaires. Vous vous apprêtez ainsi à supprimer 4 200 postes supplémentaires, soit trois fois plus que l'année dernière.

Pourtant une autre politique budgétaire est possible : une politique de justice sociale et de répartition égale des richesses, qui vise de plus à lutter contre le réchauffement climatique. Le barème d'imposition actuel ne fait que détruire à petit feu le consentement à l'impôt, surtout quand nos concitoyens constatent, affaire après affaire, que certains évitent de s'acquitter de leur participation à la nation en jouant avec les législations. Nous proposons pour notre part de passer de cinq à quatorze tranches d'imposition, pour que ceux qui ont peu paient moins et ceux qui ont beaucoup paient plus ; nous redéposerons cet amendement.

Pensant, contrairement à vous, que la charge de la fiscalité ne doit pas reposer sur les plus précaires, nous proposons d'exonérer de TVA l'usage domestique de l'eau. C'est un axe politique, mais nous sommes bien là pour faire de la politique et non de la comptabilité ! Nous proposons aussi de faire en sorte que le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile bénéficie à ceux qui en ont vraiment besoin et non aux puissants qui emploient un chauffeur.

Le nouveau ministre de la transition écologique se revendique du pragmatisme écologique. En voici : loin des grands discours, nous vous offrons des actes concrets, en proposant de mettre fin au remboursement du kérosène aérien à usage commercial, de supprimer les niches fiscales bénéficiant au transport routier et aux propriétaires de pick-up, et de baisser la TVA sur les transports publics de voyageurs.

J'espère, du reste, que ce budget fera l'objet, une fois n'est pas coutume, d'un véritable débat démocratique et que l'opposition sera entendue et respectée.

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