Intervention de Bertrand Lionel-Marie

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 11h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Bertrand Lionel-Marie, responsable du secteur bioéthique de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) :

Vous posez une question sur le rôle de la loi et sur le lien entre la loi et les relations sociales ou l'ensemble du corps social. Il est certain que l'on doit s'intéresser aux conséquences sociales de nos actes et pas seulement au désir et à son expression. Quelles sont les conséquences sur les tiers, au premier chef les enfants, mais aussi les hommes, si le père et la figure du père sont effacés, et la mère porteuse ?

On aurait tort aussi de n'envisager ce débat que sous l'angle de l'homoparentalité ou de l'hétérosexualité de la famille. Les questions qui nous occupent aujourd'hui sont beaucoup plus larges que cela. On parle de l'accès à l'AMP des femmes célibataires qui sont beaucoup plus nombreuses que celles qui sont en couple avec une autre femme. Quant à la GPA, elle concerne aussi bien les couples composés d'un homme et d'une femme que de deux hommes. Arrêtons de considérer que, quand on pose des questions, on pointe forcément du doigt certaines personnes. Ce n'est pas le cas. Les questions que nous posons s'adressent à toutes les familles et même à tout le monde.

Il faut s'interroger sur le rôle de la loi, comme je le disais dans mon propos liminaire. En 2011, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a réalisé sa dernière grande enquête « Famille et logements ». Selon cette enquête, la France comptait 16 millions de couples dont 100 000 étaient composés de personnes de même sexe. S'il existe différentes configurations, il faut néanmoins mettre les données en perspective.

Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, on ne peut pas non plus se désintéresser du fait que la famille monoparentale n'est sans doute pas la meilleure configuration pour élever un enfant. Disant cela, je ne jette pas la pierre aux femmes, aux mères courage, qui élèvent seules des enfants et qui rencontrent parfois beaucoup de difficultés. Il ne me semble pas que ce soit une bonne idée de créer une telle configuration, qui n'est pas la meilleure, par la loi.

Cette question est un peu différente de celle de l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes. Quand une femme seule élève des enfants, il n'y a aucune altérité, aucune figure du père, aucune lignée paternelle. C'est d'autant plus problématique que, comme le montre le plan de lutte contre la pauvreté présenté par le Gouvernement, les familles monoparentales sont confrontées à des situations de pauvreté. Pourquoi la loi va-t-elle créer des familles pauvres que l'État devra aider ? C'est une bonne question, me semble-t-il.

Vous nous interrogez aussi sur l'anonymat des donneurs. On va vers une levée de cet anonymat. Des tests sont disponibles sur internet et la presse se fait l'écho d'histoires de jeunes, nés de PMA avec tiers donneur, qui sont à la recherche de leur origine. Tous ne s'inscrivent pas dans une telle démarche mais certains sont en quête d'une origine alors même qu'ils ont un père social. À travers les tests génétiques disponibles sur internet, ils retrouvent parfois leur origine. En outre, nous devons tenir compte de l'évolution jurisprudentielle la CEDH, évoquée par mes voisins. La CEDH considère que ces enfants ont le droit d'avoir accès à leur origine. L'anonymat va donc, de fait, être remis en cause. Cela étant, comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas que ces enfants se satisferont d'un formulaire rempli de données non identifiantes ; certains d'entre eux voudront une rencontre de personne à personne. Mettons-nous un peu à leur place.

Monsieur le député, vous avez raison d'évoquer le marché dont nous ne sommes d'ores et déjà plus à l'abri. La FIV est remboursée par la sécurité sociale pour les femmes de moins de quarante-trois ans, au tarif conventionné de 4 100 euros par cycle de FIV. En 2015, il y a eu environ 91 000 cycles de FIV. L'aspect économique n'est donc pas à négliger.

N'aurions-nous pas collectivement intérêt à imaginer un système procréatif incitant les couples à avoir des enfants à l'âge où ils sont les plus fertiles plutôt que de nous précipiter de plus en plus vers la FIV et l'AMP ? En 1994, 4 500 naissances étaient liées à l'AMP ; actuellement, nous en sommes à environ 25 000. Où cette évolution nous conduit-elle ? Quel en le coût social ? Ne faudrait-il pas réfléchir à cet aspect marché qui dépasse évidemment nos frontières ?

Aux États-Unis, il y a des mères porteuses qui représentent, si j'ose dire, le haut de gamme du marché. Les montants sont faramineux. On connaît le cas de l'Inde qui a fermé la GPA aux étrangers. La situation de ces femmes est excessivement glauque et préoccupante. Il y a effectivement un marché qui peut être violent et bafouer la dignité des personnes. N'oublions pas les intérêts des laboratoires pharmaceutiques : les FIV nécessitent des stimulations ovariennes obtenues par des médicaments. Le tout-FIV, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. En tout cas, il y a des questions économiques à se poser collectivement.

À mon avis, la grandeur d'une civilisation se reconnaît à la façon dont elle traite ses minorités mais aussi ses plus faibles. En l'occurrence, le plus faible est l'enfant, celui qui n'a pas la parole, celui qui n'est pas là aujourd'hui.

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