Intervention de Fabien Joly

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 11h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Fabien Joly, membre de l'Association des familles homoparentales (ADFH) :

Dans toutes ces questions d'établissement et de sécurisation de la filiation, l'Association des familles homoparentales raisonne de manière pragmatique. Notre intérêt et notre but, c'est de nous assurer que ces enfants, quel que soit leur mode de conception, verront selon le droit français leur filiation garantie dans des temps relativement courts et en évacuant toutes les difficultés qui pourraient survenir en raison d'aléas tels que la séparation ou le décès.

S'agissant plus particulièrement de la procréation médicalement assistée, l'idée que nous défendons, aussi défendue par Irène Théry dans son rapport Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, remis en avril 2004, est de mettre fin à un système, ou en tout cas de ne pas retenir un système dans lequel on viendrait singer un établissement de la filiation calqué sur un modèle biologique et charnel. En d'autres termes, il nous paraît délicat pour les femmes ayant recours à la PMA – pas pour celle qui accouche, mais pour la conjointe, mariée ou non avec elle – de voir leur maternité établie par un mécanisme réduit au décalque de la présomption de paternité, qui deviendrait ainsi une présomption de maternité ou de comaternité.

Cela nous paraît délicat parce que c'est tenter d'appliquer à ces femmes un mécanisme pensé à l'origine sur un fondement charnel et biologique. Nous estimons qu'il est temps pour les enfants nés par PMA, quelle que soit l'orientation sexuelle de leurs parents, qu'un système unique garantisse que chacun des deux parents inscrit dans ce projet parental puisse faire valoir ses droits, et que la filiation soit établie de manière certaine dès la naissance de l'enfant.

Nous voulons aussi que cet élément par lequel la filiation sera établie, soit de la mère intentionnelle soit du père qui n'a pas été le donneur du patrimoine génétique, soit mentionné sur l'acte de naissance de l'enfant. Il ne s'agit pas de l'acte que l'enfant peut obtenir, et qu'il peut diffuser à tous les tiers – car il n'est pas question qu'un tiers puisse savoir que tel enfant a été conçu grâce à un donneur de sperme. En revanche, il nous semble essentiel que ce que nous appelons la déclaration anticipée de filiation, qui serait recueillie par un juge, un notaire, voire un avocat, figure comme une mention marginale dans l'acte de naissance. Mais cette mention ne doit apparaître que sur l'acte de naissance originel, qui n'est évidemment mobilisable que par l'enfant lui-même ou par le procureur de la République.

Ce dispositif permettait de mettre un terme à une supercherie que certains couples hétérosexuels utilisent et qu'Irène Théry avait résumée par sa formule « ni vu ni connu » : on fait ainsi croire que l'enfant a été conçu de la manière la plus naturelle qui soit. Nous estimons qu'il est temps que les enfants puissent connaître leurs origines procréatives, et qu'à cette fin il faut un système qui soit simple, sûr et surtout égal pour tous les parents, quelle que soit leur orientation sexuelle.

À Mme Thill qui a évoqué le risque d'une création de catégories par le législateur, je réponds que faire coexister, comme semble le recommander le Conseil d'État, le système ancien pour les couples hétérosexuels et un système nouveau pour les femmes lesbiennes, revient précisément à créer des catégories. C'est dire à nouveau que, selon que vous êtes homosexuel ou hétérosexuel, on vous appliquera des régimes juridiques différents, alors qu'en réalité ce régime juridique vise uniquement à assurer une filiation certaine et à garantir à ces enfants leur filiation ainsi que leur droit à accéder à leurs origines procréatives.

Pour ce qui regarde les enfants nés par GPA à l'étranger, l'ADFH considère qu'il est difficile de répondre à cette question de façon lapidaire en disant simplement que dorénavant les actes d'état civil étrangers doivent être transcrits directement dans l'état civil français, que l'affaire est ainsi résolue et il n'y a plus aucun souci.

Bien évidemment, cela pourrait constituer une solution, mais elle nous paraît porteuse de risques : celui de fraude documentaire, mais aussi celui de l'acceptation en droit français d'un mode de filiation inconnu aujourd'hui, alors que seules sont aujourd'hui reconnues la filiation biologique et la filiation par adoption. Ainsi, une filiation établie aux États-Unis par un jugement de paternité, qui n'est pas en tant que tel un jugement d'adoption, directement transcrite dans un acte français et mentionnant les deux pères – je peux en parler puisque je suis moi-même père d'un enfant né par GPA – poserait au législateur et à l'état civil la question de savoir comment traiter cette situation sur le fondement d'un acte de naissance ne précisant pas qui est le père biologique, et laissant ignorer quel est l'autre parent. Or ces mentions, pour l'instant et sauf si vous envisagez une modification de notre mode de reconnaissance de la filiation, demeurent la base du droit à la filiation et de l'établissement de la filiation selon les conceptions du droit français.

Nous proposons de ne plus raisonner en termes de transcription de l'acte de naissance, donc d'abandonner à la Cour Cassation son interprétation de l'article 47 du code civil, et de laisser produire tous leurs effets de droit aux jugements étrangers qui ont établi cette filiation. Ce n'est plus sur l'acte de naissance étranger que l'on se fonde, mais sur le véhicule juridique qui a permis d'établir cet acte de naissance à l'étranger, à savoir le jugement.

De tels jugements existent quasiment partout, notamment au Canada où les juges sont parfaitement disposés à rendre un jugement post-postnatal concernant un enfant français et entérinant les circonstances de sa filiation.

L'idée est que ce jugement soit reconnu par le droit français, comme cela se passe déjà avec plus ou moins de difficultés et plus ou moins de temps, et que l'on aboutisse à l'établissement d'un acte de naissance français pour l'enfant, qui mentionne le parent biologique et indique que l'autre parent est un parent en tant que tel, jouissant des mêmes droits et obligations. On disposerait ainsi d'une mention marginale inaccessible aux tiers et indiquant que cette filiation vis-à-vis de ce parent, qu'il soit homme ou femme, a été établie en exécution d'un jugement étranger.

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