Intervention de Florence Parly

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 16h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Florence Parly, ministre des Armées :

Madame la présidente, mesdames les rapporteures, mesdames les députées, monsieur le député, je vous remercie pour cette invitation. Je commencerai par un truisme : c'est une femme qui s'adresse à vous, une femme ministre des Armées, évoluant dans ce qui est, vous l'avez justement rappelé, l'univers masculin par excellence.

Avant les années 2000, l'idée même que ce poste éminemment régalien puisse être occupé par une femme aurait paru totalement saugrenue. J'ai la chance de ne pas être la première – d'autres avant moi ont défriché le terrain – et je n'ai pas été confrontée aux sourires qui se sont peut-être dessinés sur certains visages à l'époque. Les choses ont changé : au ministère, que je sois une femme n'a au fond rien que de très normal ; nous entretenons des rapports extrêmement professionnels, qui renvoient au second plan cette dimension néanmoins très évidente.

Le monde change, nos armées aussi. Elles se sont ouvertes aux femmes, progressivement – peut-être trop lentement. Ce mouvement a commencé après la seconde guerre mondiale, puis il s'est accéléré au milieu des années 1970. C'est donc un mouvement récent.

Parce qu'elles doivent attirer des profils divers, parce que nous devons affronter des menaces plus nombreuses et plus variées, les armées ne peuvent se permettre de se passer de la moitié des talents de l'humanité.

Je ne suis pas venue aujourd'hui vous dire que tout va bien – ce n'est pas le cas. Si nous pouvons nous satisfaire de certaines avancées, il reste encore beaucoup à faire et je compte sur les représentants de la Nation pour jouer le rôle de vigie et être, comme dans le cadre de la discussion sur la loi de programmation militaire, les nécessaires aiguillons de notre action dans ce domaine.

Je commencerai par casser quelques clichés qui ont la vie dure. Le premier est celui selon lequel les armées seraient exclusivement masculines. Avec un taux de 15,47 % de femmes, certes encore trop bas, l'armée française est la quatrième armée la plus féminisée au monde. Ce taux est très hétérogène ; il varie selon les secteurs, et d'une armée à l'autre. Dans l'armée de terre, il est de 10 %. Il s'élève à 60 % dans le service de santé des armées, à l'image de ce qui se passe dans le monde civil, où la profession médicale est désormais largement féminisée.

À ma grande satisfaction, il n'existe plus aucun poste opérationnel qui soit fermé aux femmes. L'actualité récente l'a montré, avec le retour de la mission du sous-marin nucléaire lanceur d'engins, dernier bastion réservé aux hommes. J'ai rencontré les quatre premières femmes officiers qui y ont embarqué et recueilli leurs commentaires sur les difficultés qu'elles ont pu rencontrer – à vrai dire, peu nombreuses –, entendu la très grande fierté qu'elles ont ressentie à conduire cette mission, ainsi que celle de l'équipage et du chef d'état-major de la marine, qui vous en aura certainement parlé si vous l'avez auditionné.

La présence de femmes à bord des sous-marins était la dernière frontière symbolique, elle est partiellement tombée : l'exiguïté des sous-marins nucléaires d'attaque d'ancienne génération ne permettait pas les aménagements d'espaces de vie indispensables à l'accueil des femmes, mais la nouvelle génération qui arrivera prochainement dans les forces sera d'emblée adaptée à la présence d'un équipage féminin.

Un autre des présupposés auquel je voudrais tordre le cou est que rien ne serait fait pour la mixité dans les armées. Il est important de lutter contre cette idée qui conduit un certain nombre de jeunes filles ou de jeunes femmes à pratiquer l'autocensure : « ce n'est pas pour moi, on ne fera rien pour moi, donc je n'y vais pas ». Au contraire, elles doivent avoir la conviction que des progrès sont réalisés pour faciliter leur accueil et leur insertion. L'appropriation de ce thème de la nécessaire mixité dans les armées est un signal clair. La direction dans laquelle nous devons aller, et vite, ne fait plus débat. Nous devons permettre aux femmes de réussir et de gravir tous les échelons, car nous avons vraiment besoin d'elles : il serait tout de même paradoxal que les armées soit le seul domaine de la société dans lequel la contribution des femmes ne soit pas tangible !

Cette démarche, engagée il y a quelque temps, continue de monter en puissance. Nous devons désormais accélérer. Un haut fonctionnaire à l'égalité des droits a été nommé et présente les résultats annuels devant l'observatoire de la parité que je préside. Un dispositif statistique permet de suivre avec précision la question de l'égalité professionnelle et le ministère a été l'un des premiers à avoir créé une feuille de route qui apporte une connaissance précise de la place des femmes dans l'institution.

Dès mon arrivée, j'ai souhaité prendre le taureau par les cornes. Ceux d'entre vous qui ont participé au débat sur la loi de programmation militaire le savent, je souhaite placer l'humain au coeur de nos armées. La question des conditions de vie, celles de la conciliation entre la vie familiale et l'engagement militaire, de l'égalité des chances et des droits sont pour moi des priorités. J'ai lancé un plan « Famille » pour faciliter la conciliation entre les conditions de vie et d'engagement des militaires et de leurs familles. Évidemment, je n'ai pas laissé de côté la question des femmes qui servent sous l'uniforme. Ce plan est très largement mis en oeuvre : je m'étais engagée à ce que 70 % des mesures fassent l'objet d'autorisations de programme en 2018 ; ce sera le cas.

Ce plan prévoit par exemple d'augmenter l'offre de garde pour les enfants de militaires en augmentant de 20 % le nombre de places en crèche d'ici 2022 et en favorisant l'exercice du métier d'assistante maternelle au sein des familles de militaires. Il prévoit aussi l'élargissement du dispositif de la prestation de soutien en cas d'absence prolongée du domicile (PSAD), de participation à une opération extérieure ou à une opération sentinelle sur le territoire national. Ce sont les premières étapes ; je pense que nous devons aller plus loin.

C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à faire figurer, à l'article 12 de la loi de programmation militaire, une disposition importante. Celle-ci permet à tout militaire qui prend un congé pour convenance personnelle afin d'élever un enfant de moins de 8 ans, de continuer à servir comme réserviste. C'est le moyen de conserver le lien avec l'armée, de maintenir les compétences et de garantir la poursuite de l'avancement, en fonction du nombre de jours réalisés dans la réserve. Cette mesure permettra d'atténuer les répercussions de l'arrivée d'un enfant sur le déroulement d'une carrière.

L'avancement est un sujet évidemment majeur. Je le dis souvent sous forme de boutade, je souhaite qu'un jour – le plus tôt sera le mieux –, le féminin de général ne désigne plus l'épouse d'un général. Chacun doit avoir toutes ses chances, y compris d'accéder aux plus hautes responsabilités, en fonction de ses talents, de ses mérites et sans aucune discrimination.

Il faut que des femmes figurent parmi les officiers généraux. Ce sera d'abord le signe que la politique que nous avons engagée a réussi. Cela montrera qu'il est possible aux femmes d'accéder par leur mérite aux plus hautes responsabilités. Enfin, et nous sommes nombreux dans cette salle à partager ce point de vue, ces femmes deviendront les modèles dont nos armées ont besoin. Certaines femmes sont devenues chercheuses parce qu'elles se sont identifiées à Marie Curie, beaucoup de femmes se sont engagés dans la vie publique – j'en fais partie – inspirées par l'exemple de Simone Veil. Nous avons tous besoin d'identifications positives qui nous permettent de déterminer nos aspirations profondes. Les jeunes filles, les jeunes femmes ont besoin de modèles qui leur montrent qu'il est possible de gravir les échelons dans l'armée. De leur côté, les hommes, du moins ceux qui ont encore des doutes sur la capacité des femmes à exercer ces responsabilités, ont besoin de vérifier de façon très concrète qu'une femme est capable de commander, de trancher, de diriger. Les femmes sont des combattants comme les autres, elles font preuve du même engagement et du même courage. La mission, que l'on soit civil de la défense ou militaire, militaire du rang, sous-officier ou officier doit se conjuguer au féminin.

Nos objectifs doivent être réalistes et en même temps ambitieux. Je me suis fixé un objectif que je crois raisonnable, même si tout le monde ne partage pas l'adjectif « raisonnable » : en 2025, au terme de la loi de programmation militaire, le taux de femmes parmi les officiers généraux devra être de 10 %. Ce taux reste inférieur au taux moyen de femmes dans les armées. L'objectif est que la répartition hommesfemmes soit homogène à tous les niveaux de la hiérarchie et que la part des femmes progresse.

Il est certain que l'attrait d'une carrière dans les armées est mis à mal lorsqu'une jeune femme ou une jeune fille, par différents canaux – les médias, son environnement amical ou familial – entend que le choix de s'engager, de faire des études pour accéder à des responsabilités suppose d'être bizutée, d'être ostracisée et de faire l'objet de « l'indifférence courtoise ». C'est aussi cela qu'il faut combattre à la racine, faute de quoi nous ne parviendrons pas à constituer les viviers dont nous avons grandement besoin pour élever le taux de femmes dans les armées, y compris parmi les plus hauts gradés.

C'est la raison pour laquelle je considère que le sexisme n'a pas sa place dans les armées. Quelqu'un qui pense que les femmes n'ont rien à faire dans les armées n'a tout simplement rien à faire dans les armées. Je ne cesse de le répéter et je crois être entendue, notamment au niveau du commandement : c'est la tolérance zéro qui doit prévaloir.

Nous mènerons donc une guerre systématique aux attaques sexistes. L'indifférence courtoise n'a rien de courtois, aucune brimade n'est acceptable, et, pour être triviale, il n'est pas de main baladeuse qui ne soit « pas bien méchante ». Toute agression, toute attaque doit être dénoncée, sanctionnée, punie.

L'excellence comportementale est l'un des ciments de nos armées et l'on ne peut laisser quelques brebis galeuses salir la réputation de l'institution militaire en son entier. Nous avons donc lancé, avec Geneviève Darrieussecq, un plan d'excellence comportementale pour les lycées militaires et les états-majors ont fait passer des consignes claires. La cellule Thémis accomplit un travail remarquable en soutien du commandement, puisqu'elle permet d'enquêter sur les actes de harcèlement, de violence et de discrimination et d'accompagner les victimes. Fonctionnant hors hiérarchie, elle a trouvé sa place dans nos armées.

Si je dresse rapidement un premier bilan, je crois pouvoir dire que nous agissons, que les armées s'ouvrent à la mixité, que nous menons le combat pour l'égalité femmes-hommes et que nous combattons le harcèlement, les discriminations et les violences sexuelles.

Est-ce assez ? Je ne le crois pas. Après cette première période que je qualifierai de « pionnière », nous devons ouvrir l'acte II de la mixité dans les armées. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de lancer un plan mixité qui devrait voir le jour au printemps 2019. Je souhaite ce plan aussi large et ambitieux que possible. Il n'exclura, par définition, aucune piste. J'en ai confié la responsabilité à l'amirale de Mazieux, qui devra, en lien avec les armées, les états-majors et les directions des services, faire des propositions très concrètes. J'ai dévoilé quelques axes de ce plan lors de dernières questions au Gouvernement. Nous devrons notamment centrer la réflexion sur nos processus de gestion des ressources humaines afin de promouvoir le recrutement des femmes et de lutter contre l'évaporation des talents. Je souhaite également que l'on réfléchisse plus avant à de meilleurs équilibres encore entre l'engagement militaire et la vie familiale. J'ai rappelé les dispositions de la loi de programmation militaire qui sont une première étape. Il est sans doute possible d'imaginer des solutions complémentaires qui permettent d'aller plus loin.

Soyez convaincus que nous n'avons pas d'a priori et qu'aucune porte ne sera fermée par principe pour l'élaboration de ce plan mixité. Je sais pouvoir compter sur vous, vos propositions et votre intérêt constant pour la promotion de l'égalité femmes-hommes au sein de nos armées.

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