Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Bernard Doroszczuk :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission, dans le cadre de mon éventuelle nomination aux fonctions de président de l'Autorité de sûreté nucléaire. C'est un très grand honneur pour moi d'avoir été proposé à cette fonction par le Président de la République. L'Autorité de sûreté nucléaire est une autorité indépendante, reconnue pour sa rigueur et son professionnalisme. Elle fait face actuellement à des enjeux de contrôle de la sûreté et de la radioprotection qui sont d'une ampleur inégalée. Je mesure entièrement l'engagement qui devra être celui du président de l'Autorité de sûreté nucléaire dans ce contexte, et je me sens prêt à assumer cette fonction si vous m'accordez votre confiance.

Mon intervention liminaire sera composée de trois parties. Tout d'abord, je rappellerai succinctement mon parcours professionnel ; ensuite, j'indiquerai quels sont, selon moi, les enjeux auxquels l'Autorité de sûreté nucléaire doit faire face ; et, enfin, je vous dirai quelles seront mes priorités, si j'étais nommé président de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Tout d'abord, mon parcours professionnel a été exclusivement consacré au contrôle des activités et des installations soumises à des risques, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, où j'ai occupé, à plusieurs reprises, des postes à responsabilité dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Je suis ingénieur généraliste de formation, mais je suis également diplômé de l'École supérieure de métallurgie et de soudage, un sujet d'actualité, et ingénieur au Corps des mines depuis 1999.

J'ai démarré ma carrière dans un service déconcentré en administration centrale, où j'étais en charge du contrôle des équipements sous pression, des équipements sous pression nucléaires et des équipements de transport de matières dangereuses. J'ai ensuite rejoint, pendant plus de huit ans, la société Bureau Veritas, où j'ai exercé plusieurs fonctions de direction liées au développement des activités de cette entreprise, tant en France que dans le monde : le contrôle et la certification, le contrôle en application des directives et des règlements européens sur les produits à risque, et la certification des systèmes de management de la qualité et de l'environnement.

En 1997, j'ai rejoint l'Autorité de sûreté nucléaire, pour prendre en charge la coordination du second réexamen de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts.

J'ai ensuite rejoint l'administration centrale pour m'occuper, durant trois ans, de la gestion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), avant d'être nommé à la tête de la DRIRE de la région Centre, en 2003, puis de la DRIRE de la région Île-de-France, en 2008. Dans ces deux régions, j'ai également occupé la fonction de délégué territorial de l'Autorité de sûreté nucléaire pour le contrôle des centrales de Belleville, Dampierre, Saint-Laurent, Chinon, en région Centre, et pour le contrôle des centres du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Saclay et de Fontenay-aux-Roses, en région Île-de-France.

J'ai aussi été en charge des sites et des sols pollués par la radioactivité, en Île-de-France, et du contrôle de la radioprotection dans le secteur médical, également en Île-de-France où sont présents plus de 20 % des centres de radiothérapie. Ma prise de fonctions a eu lieu après les accidents de Toulouse et d'Épinal.

En 2010, il m'a été proposé de prendre en charge la fusion de plusieurs services en Île-de-France – la DRIRE, la direction régionale de l'environnement (DIREN), le service de contrôle de la police des eaux du service de navigation de la Seine, et le service de police des installations classées de la préfecture de Paris – pour constituer une nouvelle direction, la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE). Parallèlement, j'ai assuré les fonctions de délégué territorial de l'Autorité de sûreté nucléaire, et de délégué de bassin Seine Normandie, pour la totalité des problématiques de gestion des eaux de qualité et de prélèvements des eaux. Depuis 2013, je suis directeur général du Comité français d'accréditation (COFRAC).

L'ASN est, selon moi, confrontée à trois enjeux principaux.

D'abord, assurer une mission première de contrôle de la sûreté et de la radioprotection, dans un contexte sans précédent – je reviendrai tout à l'heure sur ces éléments de contexte. Ensuite, répondre à la demande croissante des citoyens de vouloir comprendre et de participer aux décisions. Enfin, renforcer l'efficience de son action de contrôle.

Premier enjeu : assurer la mission première de contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, en matière de sûreté et de radioprotection. Le nombre et la complexité des questions de sûreté auxquelles l'ASN est aujourd'hui confrontée est sans précédent, et s'inscrit dans un contexte de décisions et d'orientations à caractère politique extrêmement prégnantes et qui ont des conséquences en termes de contrôle de la sûreté : la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires de 900 mégawatts d'EDF ; les nombreuses demandes d'instruction pour des nouveaux projets qui sont en difficulté ou en retard ; la mise en place des orientations relatives au traitement et à la gestion des déchets dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), qui sera soumis à un débat public au début de l'année prochaine.

Tout cela génère une charge de travail considérable, à la fois pour l'ASN et pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui nécessite de mobiliser toutes les équipes ; je m'y attacherai, si je suis nommé président de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Deuxième enjeu : répondre à la demande de participation des citoyens. En effet, la demande des citoyens de participation et de compréhension des sujets relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection ne fait que croître. Il faut absolument y répondre. Pour cela, de nombreux outils existent.

Au niveau national, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sûreté nucléaire a une action extrêmement positive. Il a d'ailleurs récemment ouvert une consultation publique sur le quatrième réexamen de sûreté, pour pouvoir associer la totalité des parties concernées à la compréhension du processus.

Au niveau local, il s'agit, bien sûr, des commissions locales d'information. Elles jouent un rôle très important de proximité, et les élus et les collectivités y sont particulièrement impliqués.

Au niveau des débats, de nombreux outils existent également : le débat public, les enquêtes publiques préalables aux décisions, mais également les consultations publiques que l'Autorité de sûreté nucléaire organise sur ses projets et qui permettent au public de s'exprimer avant la prise de décision.

Ces outils doivent être utilisés, et, si besoin, renforcés. Par ailleurs, il est indispensable de travailler sur la pédagogie. Les sujets de sûreté nucléaire sont complexes, difficiles à appréhender pour l'ensemble des publics ; l'Autorité de sûreté nucléaire doit être en capacité de les expliquer aux citoyens. Tout comme elle doit être capable d'expliquer le pourquoi des décisions – ce qui a été retenu et ce qui n'a pas été retenu dans les interventions des uns et des autres.

Troisième enjeu : renforcer l'efficience de l'ASN. Pour cela, deux sujets ont leur importance. Il convient, d'une part, de focaliser les opérations de contrôle sur les sujets à fort enjeu, et d'avoir une approche graduée du contrôle, c'est-à-dire d'être capable d'individualiser le contrôle en fonction des enjeux de sûreté et de radioprotection, et du comportement des responsables ou des exploitants. Il convient également d'accentuer l'intensité du contrôle quand cela est nécessaire, mais aussi de savoir la relâcher, le faire savoir et dire pourquoi.

D'autre part, il convient de s'emparer de la question de la gestion des ressources internes à l'Autorité de sûreté nucléaire, dans un contexte de réforme de l'État, mais également de potentiel désengouement pour les activités de contrôle de la sûreté, y compris à l'ASN. Il convient de travailler sur la formation continue des personnes pour enrichir leur expérience et ainsi capitaliser sur celle-ci en organisant des parcours plus longs au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire, en vue de maintenir cette efficience.

Enfin, quelles seraient mes priorités, si j'étais nommé président de l'ASN ?

Ma première priorité sera de mobiliser l'ensemble des équipes de l'ASN et l'appui technique de l'IRSN pour faire face aux enjeux que je viens d'indiquer. J'inscrirai mon action dans la continuité de mes prédécesseurs, qui ont fait de l'Autorité de sûreté nucléaire une autorité reconnue pour son efficacité, sa rigueur et son indépendance.

À court terme, deux sujets devront mobiliser l'Autorité de sûreté nucléaire. Tout d'abord, les instructions et les décisions à fort enjeu concernant le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville et la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans. Ces dossiers ne sont pas aboutis et posent un certain nombre de questions.

Le deuxième enjeu, à court terme, sera celui du renforcement de la chaîne de contrôle de la conformité, qui a été affectée par un certain nombre d'écarts, ces dernières années ; écarts qui ont pu mettre un doute sur la qualité et l'efficacité de cette chaîne de contrôle, dont l'exploitant est le premier responsable, même si la totalité des acteurs sont concernés.

En ce qui concerne l'EPR, un travail important reste encore à réaliser pour démontrer l'aptitude au service des équipements sous pression, ainsi que pour démontrer la performance des systèmes de sûreté, avant leur mise en service.

Par ailleurs, le traitement des écarts détectés dans les soudures du circuit secondaire principal, qui doit faire l'objet de justification de la part d'EDF avant de pouvoir être accepté en l'état, est un sujet sur lequel je me pencherai avec un soin particulier, compte tenu de mes connaissances.

S'agissant du réexamen de sûreté, la phase générique est bien avancée, mais il reste encore quelques efforts d'instruction à réaliser sur un certain nombre de sujets, peu nombreux, mais d'une complexité redoutable, et qui correspondent à des enjeux extrêmement forts. Par exemple, lorsqu'il s'agit de rapprocher les réacteurs en exploitation du réacteur EPR dans sa conception, la récupération du corium en cas d'accident par fusion du coeur, de telle manière que ce corium ne transperce pas la dalle en béton du bâtiment réacteur et n'affecte la nappe phréatique. Il n'est pas toujours possible de mettre en place des dispositifs équivalents à celui de l'EPR, compte tenu du dimensionnement et de l'accessibilité de ces réacteurs très anciens. Il convient donc de trouver des solutions alternatives, un point qui reste encore à l'étude et qui doit faire l'objet d'une attention particulière.

Un avis générique devrait pouvoir être rendu d'ici à fin 2020, sur l'ensemble du réexamen de sûreté. S'engageront ensuite le réexamen de sûreté et la visite décennale pour chacun des réacteurs. S'agissant des réacteurs qui ont plus de trente-cinq ans de durée de vie, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) prévoit que ce réexamen soit finalisé, sur la base des propositions faites et d'un rapport produit par l'exploitant, par une autorisation délivrée par l'Autorité de sûreté nucléaire après enquête publique. La première visite décennale va être enclenchée en 2019 sur le réacteur Tricastin 1.

Le rendu de l'avis générique en 2020 n'est pas bloquant pour le démarrage des visites décennales et des réexamens de sûreté, qui se feront réacteur par réacteur. L'autorisation qui sera rendue par l'ASN, à l'issue du réexamen de chacun des réacteurs, pourra comporter des prescriptions qui seront à mettre en oeuvre – notamment des modifications dans le temps.

Deuxième sujet à court terme : la conformité. L'exploitant est le premier responsable de la conformité. Au regard des écarts qui ont été détectés ces dernières années, c'est un véritable sujet en matière de confiance dans la chaîne de contrôle, sur lequel, bien évidemment, les exploitants et l'ASN se sont déjà penchés, et qu'il faut encore renforcer.

Troisièmement, outre l'examen de conformité des réacteurs, qui sera réalisé sur ceux de 900 mégawatts uniquement, dans le cadre du réexamen de sûreté et du plan de contrôle ou de réduction des risques de fraude, une attention particulière devra être portée à la détection, à la déclaration et au traitement de tous les écarts, et ce pour l'ensemble du parc. La confiance dans la chaîne de contrôle est indispensable.

En ce qui concerne les sujets à moyen et long termes, j'en ai identifié cinq. Le premier concerne la capacité technique et financière des exploitants, dans un contexte inédit de repli du parc nucléaire, de travaux importants et lourds à réaliser, à la fois sur les réacteurs d'EDF et sur les installations du cycle nucléaire. Et ce, dans le cadre de réexamens de sûreté qui mobiliseront des ressources financières et des moyens techniques. Par ailleurs, le démantèlement nécessitera des capacités financières importantes, nécessaires pour les installations du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), dépendantes du budget de l'État. Il s'agit d'un point de vigilance. L'ASN est compétente pour vérifier la présence de ces capacités techniques et financières.

Le deuxième point concerne le stockage des déchets, dans le cadre des orientations du prochain Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Avec deux sujets se situant un peu à l'extrémité du spectre. D'une part, le Centre industriel de stockage géologique (CIGÉO), le projet de centre de stockage en couches géologiques profondes des déchets de moyenne et haute activité à vie longue. Un sujet sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Et, d'autre part, le sujet des déchets très faiblement radioactifs ou non radioactifs, mais présents dans les installations qui doivent être démantelées et pour lesquels une vraie stratégie doit être mise en place. Tant en termes de valorisation éventuelle d'une partie de ces produits – ceux qui ne sont pas contaminés –, que de stockage – un stockage décentralisé pour éviter de les transporter sur l'ensemble du territoire.

Troisièmement, les travaux de démantèlement – un sujet à long terme. Le démantèlement des installations à eau sous pression a fait l'objet d'une démonstration de la part d'EDF sur sa centrale de Chooz. En revanche, de nombreuses problématiques techniques se posent pour le démantèlement des anciens réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG), pour lesquels des efforts sont à réaliser en termes techniques – des méthodes nouvelles sont peut-être à développer. Bien entendu, le financement doit être prévu afin que le démantèlement s'amorce le plus rapidement possible.

Le quatrième sujet concerne la maîtrise de la radioprotection dans le milieu médical, où l'on déplore encore trop d'incidents en radiothérapie. Voilà plus de dix ans que l'Autorité de sûreté nucléaire est impliquée, les techniques de radiothérapie étant de plus en plus sophistiquées, avec des concentrations de faisceaux qui sont extrêmement fortes et qui, lorsqu'elles sont mal ciblées, peuvent bien évidemment causer des dégâts considérables.

Un travail doit donc être mené sur la technologie, la formation, l'appropriation des nouvelles technologies par les radiophysiciens et surtout par les radiothérapeutes. Enfin, des risques induits par la radiologie interventionnelle exposent à la fois le patient et le praticien à des faibles doses, mais pendant de longues durées.

Par ailleurs, cette question pourrait être affectée par les évolutions du système de santé. Je pense notamment à la télémédecine, qui pourrait conduire à des actes de radiologie à distance, voire de scanner à distance, et pour lesquels le contrôle pourrait être moins approfondi.

Enfin, le cinquième sujet concerne l'efficience interne de l'ASN et son implication internationale, l'ASN étant une référence au niveau international, puisqu'elle joue un rôle de leader en Europe. L'ASN a une véritable responsabilité en termes d'évolution des règles de sûreté, dans le cadre d'une harmonisation européenne – et ce, dans un contexte difficile. Officiellement, un certain nombre de pays de l'Europe de l'Ouest, tels que l'Allemagne, l'Italie ou la Belgique, se désengagent du nucléaire – ils seront donc moins actifs au niveau international. Les pays de l'Est, quant à eux, n'ont pas toujours la taille critique suffisante ; ils n'ont parfois qu'un seul réacteur et une technologie différente de la nôtre. Il existe donc un vrai problème de leadership au niveau européen. C'est la raison pour laquelle, tout comme les présidents successifs de l'Autorité de sûreté nucléaire, si je suis nommé à cette fonction, je m'investirai sur cette question.

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