Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du mardi 23 octobre 2018 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, un projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas seulement un projet de budget. En effet, il traduit avant tout le niveau de solidarité que notre société est prête à déployer pour chacun de ses membres. Il définit une ambition pour notre protection sociale et démontre notre capacité collective à protéger efficacement nos concitoyens contre les risques existants et à prendre en compte les risques nouveaux. C'est ce haut degré de solidarité collective qui se décline, chaque année, dans les priorités budgétaires arrêtées dans un PLFSS.

Notre protection sociale est en profonde mutation. Ses grands principes et l'architecture qui la fondent ont été fixés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et elle doit s'adapter aux grandes transformations de notre société. Des parcours professionnels moins linéaires, une société qui ne connaît plus le plein emploi depuis longtemps, le vieillissement de la population, une espérance de vie plus longue : autant d'éléments qui ont une influence majeure, directe ou indirecte, sur notre protection sociale et son devenir. Depuis plus de vingt ans, tous les gouvernements qui se sont succédé, de droite comme de gauche, ont apporté leur pierre à l'édifice de la réforme de notre protection sociale, au gré des impératifs auxquels ils étaient confrontés et en tenant compte de l'acceptabilité, par nos concitoyens, des transformations à engager.

La réforme des retraites, la transformation de notre système de santé, l'orientation vers davantage de prévention des risques professionnels et l'adaptation aux nouvelles formes de la famille sont autant de sujets qui, ponctuellement, viennent rythmer l'actualité législative. Ce gouvernement, de ce point de vue, ne fait pas exception, puisque la plupart des sujets que je viens de citer font, aujourd'hui encore, partie de sa feuille de route.

La réforme des retraites, qui fait actuellement l'objet d'une concertation approfondie, viendra en son heure. Elle aura un effet direct sur l'équilibre de la branche vieillesse de notre sécurité sociale, qui affiche aujourd'hui un solde positif en raison, notamment, de la réforme engagée en 2010. Nous aurons largement l'occasion de débattre des principes qui doivent guider une réforme en profondeur de notre système de retraites. À ce stade, notre groupe sera particulièrement attentif à ce que cette réforme définisse un même régime de retraites équitable et juste pour tous nos concitoyens, en mettant notamment fin aux distinctions entre le public et le privé. Nous veillerons également à ce qu'elle prenne en compte la situation des plus fragiles, ceux qui ont été confrontés à des parcours professionnels chaotiques et à des carrières heurtées, qu'elle garantisse les droits d'ores et déjà acquis par nos concitoyens et qu'elle maintienne le pouvoir d'achat des retraités.

L'autre grand sujet qui conditionne l'avenir de notre protection sociale et l'équilibre du budget de la sécurité sociale est évidemment celui de la réforme de notre système de santé. Celui-ci ne va pas bien. Il reste heureusement, grâce à un haut niveau d'équipements, à une volonté de performance et d'innovation et, surtout, à l'engagement et au dévouement des professionnels de santé au quotidien, l'un des meilleurs systèmes de prise en charge du patient et de soins en Europe.

Il n'en reste pas moins qu'il souffre de dysfonctionnements sévères qui, s'ils ne sont pas corrigés rapidement, risquent d'obérer gravement son avenir. Les enjeux sont connus depuis longtemps, mais les réponses apportées à ce jour n'ont été que partielles et insuffisantes. La baisse de la démographie médicale, les modes de rémunération à l'activité, les déserts médicaux dans certains territoires ruraux ou urbains en difficulté, les caractéristiques d'un système hospitalo-centré, l'épuisement de plus en plus marqué des personnels des hôpitaux et l'engorgement des urgences sont autant de problématiques dont nous avons tous conscience.

Le plan « ma santé 2022 », présenté en septembre dernier par le Président de la République, et dont vous avez évidemment la charge, madame la ministre, comporte plusieurs orientations encourageantes. Il engage une vraie réflexion sur le renouvellement des pratiques et des modes de rémunération des professionnels de santé et prend le pari d'organiser une vraie complémentarité entre les différentes professions de santé dans les territoires. Concernant les établissements de santé, il tend à un meilleur équilibre entre la tarification à l'activité et la forfaitisation de la rémunération des actes. Il dessine également les contours d'une meilleure articulation entre la médecine de ville et l'hôpital. Même si ce plan laisse en suspens bien des aspects relatifs aux modalités de mise en oeuvre, il trace des perspectives intéressantes quant à la transformation de notre système de santé.

Le décalage entre les orientations affichées par le plan « ma santé 2022 » et celles de ce PLFSS n'en est que plus sensible, et il est vivement ressenti par les professionnels de santé. La réalité, c'est que le PLFSS pour 2019 peine à tracer une ligne directrice claire et à s'inscrire pleinement dans la voie indiquée, dont il esquisse certes les contours, mais d'une façon bien timide. Est-ce suffisant, au regard de l'urgence de la situation ? Je m'interroge…

Bien évidemment, ce texte contient des dispositions que nous ne pouvons qu'approuver. C'est le cas, s'agissant des recettes, de la transformation du CICE et du CITS en baisse de charges sociales pérennes. C'est une mesure essentielle, que notre groupe parlementaire propose depuis plusieurs années et qui va dans le sens d'un financement plus équilibré de notre protection sociale et d'une meilleure compétitivité de nos entreprises. Nous invitons cependant le Gouvernement à prêter attention aux conséquences de cette disposition sur les entreprises individuelles imposées sur le revenu – les TPE. Plusieurs centaines de milliers d'entreprises sont dans ce cas. Nous souhaitons nous assurer qu'elles bénéficieront, elles aussi, des effets de cette mesure qui, pour cette catégorie fiscale d'entreprises, reprend d'une main ce qu'elle accordait de l'autre.

Nous saluons également la décision du Gouvernement d'atténuer la hausse de la CSG pour les foyers dont les revenus restent modestes. C'est une mesure juste, qui aurait pu concerner davantage de retraités, et nous ferons d'ailleurs des propositions dans ce sens. Elle vient, en tout état de cause, contrebalancer une augmentation de la CSG décidée l'année dernière par le Gouvernement, et à laquelle nous nous étions fortement opposés, en raison même des effets négatifs qu'elle ne manque pas d'avoir sur le pouvoir d'achat des retraités.

Ce projet de budget donne toutefois l'impression d'expédier les affaires courantes, et nous ne pouvons que le déplorer. Après un PLFSS de transition en 2018, ce PLFSS pour 2019 nous laisse dans l'attente d'une réforme profonde de notre système de santé. De ce fait, il est difficile pour notre groupe de se satisfaire du constat dressé d'un retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale en 2019, quand on considère l'ampleur des réformes structurelles qui restent à accomplir pour mieux organiser notre système de santé et pérenniser cet équilibre.

On ne peut évidemment que se réjouir d'entrevoir un équilibre des comptes sociaux à l'horizon de l'année prochaine. Mais encore faut-il que cet équilibre ne repose pas uniquement sur les recettes dégagées par le dynamisme de la masse salariale, sur la hausse des taxes et sur des mesures d'économies qui relèvent davantage du coup de rabot que de la réforme de structure – que ce soit pour l'hôpital ou le médicament – , dans la droite ligne de ce qui a malheureusement été pratiqué au cours des dernières années. En effet, si le Gouvernement s'en tient à cette méthode, le risque est grand de voir réapparaître les déficits au moindre retournement de la conjoncture économique.

La Cour des comptes, dans la présentation de son rapport d'application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2018, souligne d'ailleurs, et à juste titre, que la situation dégradée de l'assurance maladie est l'une des principales zones de fragilité de notre protection sociale. La Cour ne manque pas non plus de rappeler la nécessité d'apporter des réponses aux causes structurelles des déficits de la sécurité sociale. Cet appel aux réformes structurelles est d'autant plus urgent en ce qui concerne les établissements de santé. En effet, avec une dette qui se maintient aux environs de 30 milliards d'euros, la situation financière des hôpitaux publics est particulièrement critique. Leur déficit a atteint la somme record de 835 millions d'euros en 2017 et on murmure même qu'il aurait encore doublé en 2018.

La progression de l'ONDAM – qui est fixé à 2,5 % pour 2019 – même si nous la notons, ne permettra pas de répondre aux besoins de financement des hôpitaux publics, dont les investissements sont retardés depuis plusieurs années. Par ailleurs, le mécanisme du rebasage, qui consiste à ponctionner une partie de l'enveloppe affectée aux hôpitaux pour financer les dépassements de la médecine de ville, ne contribue pas davantage à sécuriser la situation de ces établissements.

Dans ce contexte, plusieurs fédérations d'établissements de santé et d'hôpitaux, confrontés par ailleurs à une baisse de leur activité, ont récemment fait connaître leur souhait d'un moratoire sur la baisse de ces tarifs. Or, force est de constater que ce PLFSS reste fondé sur les mécanismes qui ont caractérisé les exercices budgétaires précédents, c'est-à-dire une logique d'économies, qui ne s'inscrit pas dans une logique de réforme, mais plutôt de contrainte des dépenses. Une logique qui frappe, cette fois encore, l'hôpital et le médicament.

En effet, ce dernier reste, cette année encore, l'une des variables d'ajustement traditionnelles du budget de l'assurance maladie, à hauteur d'un milliard d'euros. Les économies recherchées ne prennent pas en compte la pertinence de la dépense et provoquent de sérieuses difficultés pour le secteur dans son ensemble. Ce sont aussi bien les laboratoires, les grossistes répartiteurs que les officines qui sont concernés et frappés par ces mesures. Leurs conséquences peuvent s'avérer particulièrement préjudiciables pour notre système de santé, avec le risque que les laboratoires cessent d'investir dans de nouveaux traitements, que les grossistes répartiteurs restreignent leurs livraisons, et que le réseau des officines se réduise peu à peu. Tout cela mettrait à mal le maillage territorial qui assure le premier accès aux soins, absolument essentiel pour nos concitoyens.

Cette logique de réduction de la dépense inquiète également les prestataires de soins à domicile, qui voient l'effort d'économies qui leur est demandé dans le cadre de l'ONDAM augmenter de 50 %, à hauteur de 150 millions d'euros. Cette perspective est difficilement conciliable avec le rôle de plus en plus déterminant de la prise en charge à domicile des pathologies chroniques liées au vieillissement de la population.

Il est donc urgent d'opter pour un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui rompe enfin avec les approches qui ont prévalu au cours des vingt ou trente dernières années. Comme le Président de la République l'a précisé au début de sa présentation du plan « ma santé 2022 », la politique de santé a jusqu'ici été conçue en termes de réduction de l'offre de soins et du nombre de professionnels, avec l'idée que cela permettrait de réduire la dépense. Or, cette conception a eu un résultat opposé à celui qui était recherché : les dépenses de santé augmentent ; des territoires entiers, ruraux et urbains, sont confrontés à la raréfaction des professionnels de santé, ce qui oblige les patients à se tourner vers l'hôpital, auquel on fait jouer un rôle de premier recours qui n'est pas le sien, et ce qui entraîne des coûts excessifs. C'est donc l'organisation globale de notre offre de soins qu'il est nécessaire de repenser, en jouant de l'articulation entre la médecine de ville et l'hôpital et de la complémentarité entre les professions de santé.

Les pouvoirs précédents, en particulier la majorité qui a précédé la vôtre, ont trop tergiversé pour que ce gouvernement remette à demain, ou à après-demain, des mesures qui devraient être appliquées depuis longtemps. C'est pourquoi nos attentes et nos propositions, au cours de l'examen des articles de ce PLFSS, auront pour objectif de vous aider à aller plus vite et plus loin dans la voie de la réforme de notre système de santé et de son financement.

Ce sera par exemple le cas, s'agissant des modes de rémunération : le PLFSS prévoit le développement du financement forfaitaire de la prise en charge de certaines maladies chroniques, en l'occurrence le diabète et l'insuffisance rénale. Cette forfaitisation ne devrait toutefois concerner, en 2019, que les établissements de santé. Or la plupart des personnes diabétiques ne voient jamais d'autres médecins que leur médecin généraliste. Notre groupe vous proposera donc d'engager d'emblée une logique de forfaitisation avec l'ensemble des professionnels de santé concernés par la prévention des complications liées aux maladies chroniques.

Dans la même logique, nous attendons de ce PLFSS qu'il accélère, de façon plus significative, la constitution des communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS – afin de développer l'exercice coordonné des professions de santé dans les territoires et de mieux prendre en charge les patients. La commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des Français sur l'ensemble du territoire recommande en effet un maillage du territoire national d'ici deux ans.

Aller plus vite et plus loin, c'est aussi engager dès maintenant la réorganisation de l'offre de soins hospitaliers dans les territoires. La même commission d'enquête préconise notamment de substituer aux groupements hospitaliers de territoire des groupements de santé, qui regroupent l'ensemble des acteurs publics et privés du système de santé. Notre groupe est attentif à l'approche territoriale des questions de santé : nous pensons qu'il est nécessaire de mieux prendre en considération les différences de situations sanitaires existantes, afin de mieux répondre aux besoins des populations en termes d'accès aux soins. C'est dans ce but que nous vous proposerons, une fois encore, de privilégier une approche régionale des objectifs de dépenses d'assurance maladie pour une régulation des dépenses qui tienne davantage compte des disparités régionales.

Dans le même esprit, nous proposerons également une évaluation nationale de l'impact des crédits des fonds d'investissement régionaux sur les situations sanitaires régionales. Par ailleurs, nous attendons de nos débats des précisions sur la mise en oeuvre des dispositions ayant pour objet d'encourager le recours au générique.

Nous partageons l'objectif de développer la prescription des génériques mais nous voulons en savoir plus quant aux critères qui permettront au prescripteur de justifier la délivrance au patient d'un médicament princeps plutôt qu'un générique.

Nous sommes attentifs à ce que la mesure n'ait pas un effet inverse à l'objectif recherché, en faisant reculer le taux de substitution, et nous serons vigilants quant aux mesures d'accompagnement envisagées pour les personnes âgées ou illettrées qui pourraient être plus sensibles que les autres au changement de conditionnement, de forme ou de couleur de leur médicament.

Enfin, nous proposerons que la construction de l'ONDAM prenne davantage en compte l'innovation, la recherche et la prévention dans le domaine de la santé comme de celui de la santé au travail.

La situation de notre système de santé justifie que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale donne une impulsion décisive à sa transformation.

Le groupe UDI, Agir et indépendants perçoit l'ambition du plan « ma santé 2022 » et salue les mesures qui permettront d'améliorer l'efficience de l'organisation de la santé dans notre pays.

Pour autant, il manque plusieurs dispositions qui donneraient à cette orientation une réalité tangible.

Nous formulerons, au cours de l'examen de ce texte, plusieurs propositions en ce sens, dont nous souhaitons qu'elles soient considérées avec attention par le Gouvernement et la Majorité. C'est la qualité de cette attention qui orientera le vote de notre groupe.

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