Intervention de Aude Bono-Vandorme

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis :

C'est un réel honneur de vous présenter le budget de la gendarmerie ce matin.

Je vous présenterai d'abord les grandes orientations du budget pour me concentrer ensuite sur la partie thématique et les propositions qui en découlent.

Tout d'abord, je souhaite vous rappeler les grandes priorités de la gendarmerie nationale.

En premier lieu, la lutte contre l'insécurité au quotidien avec la montée en puissance des brigades de contact, modèles pour la police de sécurité du quotidien (PSQ), sujet ô combien d'actualité !

La lutte contre la délinquance, naturellement. On ne peut que se réjouir des bons résultats de la gendarmerie qui se traduisent par une baisse de 6,5 % des cambriolages au premier semestre de cette année. À ce titre, la sécurité des mobilités constitue un grand chantier d'avenir.

Ensuite, la poursuite de la transformation numérique pour préparer l'avenir. Qu'il s'agisse de la montée en puissance des brigades numériques ou d'améliorer la réponse à la cybercriminalité, il faudra rester vigilant pendant tout le processus de création de la nouvelle direction du numérique du ministère de l'Intérieur.

Enfin, quoique cette liste ne soit pas exhaustive, la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, bien évidemment.

Pour répondre à ces enjeux, le Gouvernement nous propose un budget en hausse d'environ 89 millions d'euros en crédits de paiement par rapport à la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Nous sommes face, il n'en fait aucun doute, à un bon budget. Chacun de mes interlocuteurs l'a d'ailleurs indiqué en audition.

Si, comme l'an dernier, des points d'attention, voire d'inquiétude, demeurent, je crois pouvoir affirmer que, pour la seconde année de suite, le Gouvernement nous propose des moyens en phase avec deux des priorités de la majorité : assurer la sécurité de la France et des Français, d'une part, et, d'autre part, reconstituer les capacités de notre pays en matière de défense et de sécurité qui ont été profondément mises à mal au cours des années précédentes. En ce qui concerne particulièrement la gendarmerie, l'engagement personnel de notre ancien ministre de l'Intérieur a été déterminant.

Cette année, j'ai suivi deux principaux axes de travail pour élaborer mon rapport au nom de notre commission : une analyse budgétaire des ressources prévues pour 2019 et une étude thématique spécifiquement consacrée à la gestion de crise. Par ailleurs, mon rapport est émaillé de plusieurs « focus » ayant trait, soit à l'actualité opérationnelle de la gendarmerie, soit à certaines problématiques récurrentes.

J'évoquerai, en premier lieu, le budget de la gendarmerie pour 2019. Dans le cadre du PLF pour 2019, ce sont 9,63 milliards d'euros en AE et 8,94 milliards d'euros en CP qui seront alloués à la gendarmerie. Cela équivaut à une hausse respective de 6,8 % et de 2,1 % par rapport à 2018. Les dépenses de personnels constituent bien évidemment – et cela est en partie propre à la gendarmerie nationale – le poste budgétaire le plus important avec 78,7 % de AE et 84,9 % des CP.

Ces montants permettent de financer une augmentation des effectifs équivalente à 643 emplois temps plein (ETP), tandis que le plafond d'emploi est fixé à 100 760 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Nous nous situons bien dans la trajectoire fixée par le président de la République visant à créer 10 000 personnels pour les forces de sécurité intérieure sur le quinquennat. Je reste cependant très réservée quant à la répartition de ces créations – 2 500 pour la gendarmerie et 7 500 pour la police – pour une force de sécurité qui occupe 95 % du territoire national auprès de 50 % de la population française. Je rappelle, par ailleurs, que la progression de la population en zone gendarmerie est deux fois plus élevée qu'en zone police. Je ferme la parenthèse.

Il faut également saluer le financement de mesures catégorielles à hauteur de 50 millions d'euros, dont une bonne partie au titre du plan parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR).

Les dépenses de fonctionnement couvrent l'immobilier, le fonctionnement courant lié à l'agent, les petits équipements, les systèmes d'information et de communication, les moyens mobiles, les moyens lourds de projection et d'intervention et diverses subventions. Elles représentent 1,85 milliard d'euros en AE et 1,15 milliard d'euros en CP.

Les dépenses d'investissement s'élèvent à 177 millions d'euros en AE et 174 millions d'euros en CP, ce qui représente une baisse notable par rapport à l'année dernière. Cette baisse s'explique en partie par la fin du déploiement de NéOGEND – 67 000 terminaux ont été déployés l'année dernière –, les investissements des années passées laissant place à des dépenses de fonctionnement.

Au-delà de l'analyse de ces principaux agrégats, ce projet de budget comporte plusieurs motifs de satisfaction.

Premièrement, la réserve opérationnelle de la gendarmerie recevra une enveloppe supplémentaire de 36 millions d'euros, qui comprend 19 millions d'euros pour les quatre derniers mois de l'année 2018 et 17 millions d'euros pour compenser la mise en place du logiciel « Agorh@ Solde ». Après une année agitée pour les réserves, une telle mesure était nécessaire pour ne pas décourager la volonté d'engagement de nos jeunes réservistes et pour réaffirmer l'importance de leur rôle dans l'exercice des missions de la gendarmerie.

Deuxièmement, la fameuse « dette loyers », dont nous avons tant parlé l'année dernière et qui résultait de gels successifs des dépenses de loyers, n'est plus. Deux années d'effort budgétaire ont permis d'épurer une partie substantielle de la dette et un audit interne conduit en 2018 a permis de montrer que celle-ci était, en définitive, moins importante que les premières évaluations le laissaient supposer. Ces deux outils ont ainsi permis de réduire cette dette à un résidu « frictionnel ».

Troisièmement, l'effort exceptionnel engagé depuis plusieurs années en faveur de la réhabilitation du parc immobilier sera sanctuarisé en 2019. Cette année, ce sont 90 millions d'euros qui seront investis dans la modernisation des logements et 15 millions d'euros dans la sécurisation des casernes. L'objectif est de parvenir à un niveau de qualité au moins comparable à celui délivré par les organismes de logement social. Nous en sommes encore loin : le besoin réel est estimé à 300 millions d'euros.

Je souhaite vous faire part d'un regret : l'objectif de renouvellement de 3 000 véhicules ne sera certainement pas atteint cette année et est revu à la baisse, à un niveau de 2 800, en 2019. Toutefois, la trajectoire reste positive, puisque l'âge moyen du parc est passé de 8 ans et 2 mois en 2018 à 7 ans et 4 mois en 2019.

Malgré tout cela, l'effort budgétaire consenti ne peut permettre, en une année, de rattraper les retards accumulés. Ce budget s'inscrit pourtant bien dans une ambition de « remontée en puissance » de la gendarmerie, qui mérite d'être poursuivie dans la durée.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je propose que le ministère de l'Intérieur se dote d'une loi de programmation à l'instar de tous les ministères régaliens. Le ministère des Armées l'a fait. Le ministère de la Justice s'y prépare. La première étape sera l'élaboration d'un document stratégique pour toutes les forces de sécurité intérieure, avec des objectifs clairs et ambitieux. Une telle loi me paraît nécessaire tant pour donner une visibilité à moyen terme aux gestionnaires que pour donner une vision d'avenir pour la gendarmerie.

Parlons désormais du thème sur lequel je me suis penché, à savoir la gestion de crise.

Notre temps étant limité, je n'entrerai donc pas dans les détails. Je dirai seulement quelques mots sur la réponse apportée par la gendarmerie à des situations de crises très diverses.

La gendarmerie est aujourd'hui confrontée à une mutation des crises, qui deviennent de plus en plus fréquentes, variées et complexes. C'est pour cela que j'ai décidé, cette année, d'y consacrer la partie thématique de mon rapport.

Catastrophes naturelles, ZAD, menace terroriste, risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques (NRBC) : les crises d'aujourd'hui ne sont plus celles d'hier.

Même les troubles à l'ordre public, qui sont les crises que l'on pourrait juger les plus « classiques », se caractérisent par une violence accrue et par une forte exposition médiatique, ce qui n'est pas sans incidence sur les modes opératoires de la gendarmerie. Cela implique une certaine adaptation et une réactivité plus grande.

La gendarmerie dispose d'une compétence reconnue dans ce domaine. Sa force repose avant tout sur une chaîne de commandement et de moyens qui permet, selon l'ampleur de la crise, d'y apporter la réponse la plus efficiente. Du gendarme départemental au gendarme du GIGN, des corps de soutien aux unités d'intervention, chaque gendarme est un acteur de la gestion de crise. Chacun a son rôle à jouer.

Face à ces mutations, la doctrine d'intervention de la gendarmerie est en train de s'adapter.

Des retours d'expériences, notamment ceux d'Irma et de Notre-Dame-des-Landes, il est apparu qu'une gestion de crise réussie suppose aujourd'hui la mise en oeuvre d'une manoeuvre globale pour accompagner l'action de la gendarmerie. Cette dernière doit pouvoir compter sur tous les acteurs – police, justice, sécurité civile, élus – pour mener à bien des opérations d'une grande sensibilité.

Mes travaux m'ont conduit à m'intéresser aux modalités de coopération entre la gendarmerie et la police. Si, en pratique, chaque force est compétente sur sa zone, une coopération peut parfois s'avérer nécessaire, en particulier dans le cas d'un attentat terroriste. Face à ce type de crise, aussi grave qu'imprévisible, les Français ne comprendraient pas qu'alors même qu'une force serait mieux disposée pour intervenir, elle ne puisse le faire faute d'être territorialement compétente.

Certes, je mesure le chemin parcouru depuis la signature du schéma national d'intervention (SNI) en 2016 qui impose, quelle que soit la zone considérée, l'intervention de la force la plus proche.

Toutefois, je perçois aussi que la bonne articulation entre la police et la gendarmerie reste soumise à la bonne volonté des commandants d'unité dans un contexte qui, nous le savons, reste marqué par une certaine concurrence entre les forces d'intervention spécialisées.

Je propose donc la création d'une sorte de « commandement des opérations spéciales intérieures », calqué sur le commandement des opérations spéciales (COS) relevant de l'état-major des armées, afin de rendre cette coopération systématique.

La justice doit, elle aussi, être intégrée à la manoeuvre opérationnelle conduite par la gendarmerie. À Notre-Dame-des-Landes, opération modèle s'il en est, le procureur de la République suivait l'opération depuis le poste de commandement, tandis que 200 officiers de police judiciaire étaient déployés, aux côtés des gendarmes mobiles, pour sécuriser les interpellations.

Enfin, tous les retours d'expérience ont signalé que la force de la gendarmerie repose également sur sa capacité à déployer une chaîne de commandement de proximité qui associe les acteurs de terrain. De l'implication de la préfecture de région à Notre-Dame-Des-Landes à l'engagement des élus sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, tous ont noté que les acteurs locaux apportent un appui décisif à l'action de la gendarmerie nationale.

Si l'articulation avec les autres acteurs de la gestion de crise est importante, comme nous venons de le détailler, la gendarmerie a aussi tiré des enseignements sur ses modes d'action.

Si l'on évoque souvent les capacités matérielles, les animaux de la gendarmerie sont des acteurs méconnus et importants dans la gestion de crise. Les chiens de la gendarmerie assurent, dans les opérations de maintien de l'ordre, un rôle efficace de surprise, de dissuasion et de détection. De leur côté, les chevaux peuvent être déployés dans la phase de stabilisation d'une crise et prémunir, par leur présence, toute réescalade de la violence.

Enfin, la prise d'images s'impose comme une nécessité nouvelle dans la gestion de crise. Elle permet, d'une part, de s'assurer que les opérations sont menées dans le strict respect de la déontologie des forces de sécurité et, d'autre part, de prouver que tel est le cas lorsque l'action des forces de l'ordre est mise en cause de manière abusive. La prise d'images doit aussi permettre à la gendarmerie de déployer sa propre manoeuvre de communication, afin de contrer une communication adverse qui tend à prendre à partie l'opinion.

Un an après la gestion de la crise Irma, alors que la Guyane et Mayotte font face à des situations compliquées, et quelques semaines avant la tenue du référendum en Nouvelle-Calédonie, comment ne pas dire un mot maintenant sur la spécificité des crises qui affectent les territoires ultramarins ? Compte tenu des délais d'acheminement des renforts depuis la métropole, les crises en outre-mer requièrent des forces de gendarmerie une plus grande maîtrise des situations à risque et une plus grande autonomie de manière générale.

C'est pourquoi je réfléchis à un amendement permettant l'exonération de plein droit de l'octroi de mer des matériels de gendarmerie exportés dans les territoires ultramarins. En effet, le paiement de cette taxe est ressenti par la gendarmerie comme une forme de manque de reconnaissance des efforts déployés dans ces territoires, dont chacun connaît les enjeux de sécurité. Le gain financier pourrait même être réinvesti localement dans des capacités matérielles supplémentaires pour aider au maintien de l'ordre public.

Enfin et pour finir, je souhaite rendre hommage aux corps de soutien de la gendarmerie qui, sans être en première ligne, sont indispensables aux opérations de gestion de crise, pour peu qu'elles soient d'une certaine ampleur ou d'une certaine durée. La contribution des soutiens à la solidité et à la réactivité de notre modèle est au coeur des retours d'expérience réalisés à la suite de la gestion de la crise Irma comme de l'opération menée à Notre-Dame-des-Landes. Toute velléité de remettre en cause le caractère intégré ainsi que la militarité de la partie la plus opérationnelle des corps de soutien me paraît donc devoir être écartée.

2019 sera aussi – et nous le devons également aux corps de soutien – l'année du déploiement du logiciel « Agorh@ Solde », qui permettra de sécuriser le paiement de la solde des gendarmes et de renforcer la maîtrise de la masse salariale. Les taux d'erreur obtenus à partir de simulations sont aujourd'hui très faibles et les gendarmes que j'ai rencontrés se sont dits confiants quant à sa mise en place au 1er janvier.

Il me reste juste à partager avec vous un constat. Je m'interroge sur l'augmentation importante des crises auxquelles notre pays doit faire face. Il nous appartiendra collectivement de prendre en compte les conséquences de cet accroissement. Avons-nous des effectifs suffisants mobilisables ? La remontée en puissance de la gendarmerie n'est-elle pas une ardente nécessité ?

Je souhaite, en définitive, que les quelques pistes ainsi dessinées dans ce rapport puissent servir de repères à une doctrine de gestion de crise en permanente évolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.