Intervention de Frédérique Lardet

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Lardet, rapporteure pour avis :

Le budget que j'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui est celui de l'environnement et de la prospective de défense, le programme 144. Sous cet intitulé compliqué se cache une notion très simple : il s'agit de la préparation de l'avenir. C'est un petit programme au regard de l'ensemble de la mission « Défense » puisque les crédits inscrits au PLF 2019 sont de 1,47 milliard d'euros en crédits de paiement, en hausse au demeurant de 6 %, et de 1,6 milliard d'euros en autorisations d'engagement, en hausse de 13 %.

Ce programme réserve une bonne surprise que nous étions nombreux à attendre. Il s'agit de la création de l'agence de l'innovation de défense, qui gérera la plus grande masse des crédits de ce programme dont je vais vous présenter les équilibres. Je vous parlerai aussi des écoles sous tutelle de la DGA auxquelles je me suis intéressée cette année dans le cadre de la partie thématique de mon avis.

Le budget que je vous présentais l'année dernière était un budget de transition en attente de la LPM, dont les objectifs sont désormais mis en oeuvre par ce budget qui les transcrit concrètement. Il s'agit du renforcement du renseignement face aux menaces persistantes et aux nouvelles menaces et de la préparation de l'avenir en privilégiant l'innovation, ce qui entraîne une nécessaire remise en cause de certaines organisations.

L'effort est donc poursuivi en matière de renseignement dont les crédits de 343 millions d'euros augmentent de 16 % en crédits de paiement et de 13 % en autorisations d'engagement. Cette augmentation bénéficie à la DGSE, pour le déroulement de son programme immobilier, pour l'acquisition de matériel, mais aussi à la DRSD qui rencontre des problèmes de personnel et pourra peut-être tester, à partir du mois de janvier, l'article 31 de la LPM autorisant le recrutement de contractuels pour remplacer un fonctionnaire absent depuis plus de six mois.

L'avenir se prépare également grâce aux études stratégiques pilotées par la direction générale des relations internationales et de la stratégie. Les crédits en matière d'analyse stratégique sont de 10 millions d'euros, en hausse eux aussi. Des études sont confiées à des laboratoires académiques et des organismes de recherche sur des sujets en lien avec la défense et des actions sont menées pour soutenir la recherche en sciences humaines. Les crédits de 39 millions d'euros consacrés à la diplomatie de défense sont en baisse de 8 % en raison du transfert de la gestion de crédits de déplacement et de fonctionnement vers un autre programme. Ces crédits financent le réseau des attachés de défense, qui jouent un rôle important pour l'influence de la France à l'étranger, la contribution à Djibouti pour un montant de 26 millions d'euros, la contribution à l'AED pour un montant de 5,4 millions d'euros et qui sera certainement en hausse dans les années à venir après le départ du Royaume-Uni…

Nous en arrivons au coeur de ce programme, les études amont. Les dispositions de la LPM ont été mises en oeuvre et comme nous le souhaitions tous le fléchage vers le milliard d'euros en 2022 est bien là puisque les crédits d'études amont sont de 758 millions d'euros en crédits de paiement et surtout de 920 millions d'euros en autorisations d'engagement. Ce budget sera placé sous la responsabilité de la toute nouvelle agence de l'innovation de défense, officiellement créée le 1er septembre, et de son directeur est M. Emmanuel Chiva, que j'ai pu auditionner dans le cadre de ce rapport pour avis. Cette création va de pair avec une transformation de la DGA dont certains services et certains personnels sont versés à l'agence. L'agence recevra également des crédits de 179 millions d'euros du programme 191 « recherche duale », son budget total est donc de 1,2 milliard d'euros en crédits de paiement et de 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement.

L'agence sera organisée en quatre divisions, la stratégie et la technologie de défense, l'innovation ouverte, le financement et la valorisation de l'innovation. Elle sera dotée de 100 personnels provenant en majorité de la DGA mais aussi de l'état-major des armées et du secrétariat général pour l'administration. Elle absorbe également la mission pour la recherche et l'innovation scientifique ainsi que la mission pour le développement de l'innovation participative. C'est l'agence qui gérera les dispositifs de soutien aux entreprises innovantes tels que RAPID et ASTRID et qui réfléchira à leur adaptation ; par exemple, il est déjà question de RAPID Expé, le chaînon qui manquait après RAPID.

La création de l'Innovation Défense Lab hors des locaux du ministère permettra de disposer d'un lieu d'échanges et d'expérimentation et des référents seront désignés sur tout le territoire, car effectivement tout ne se passe qu'à Paris. Mais quelle sera vraiment l'action de l'agence ? Une chose est sûre, elle ne va pas agir à la place des spécialistes, ce dont elle n'a ni les moyens ni les capacités. Son rôle sera de piloter les projets en conservant une vision d'ensemble afin d'identifier et de mettre en oeuvre des synergies. Son rôle sera de prendre des risques maîtrisés, en acceptant la possibilité de l'échec et de briser les conservatismes chaque fois que ce sera nécessaire.

La vision à long terme ne doit pas être négligée et j'ai déjà entendu des voix s'élever contre le culte du temps court et plaider pour la nécessité de maintenir des études de long terme, indispensables au développement des technologies de rupture. La souplesse, l'agilité, la réactivité ne sont pas les adversaires des cycles longs. Il conviendra en revanche d'envisager dès le départ la potentialité d'innovations incrémentales et de ménager des fenêtres d'opportunité. Un de mes interlocuteurs m'a dit au cours d'une audition que l'agence était une chance pour la défense. Je crois que nous n'avons pas d'autre choix que de la saisir et de nous en réjouir.

J'en viens au programme d'études amont. Il se déroule conformément aux documents de planification ; je voudrais à nouveau évoquer un point qui me tient à coeur. Il s'agit du montant des crédits d'études amont consacrés au terrestre qui sont de l'ordre de 5 % du montant de l'ensemble des études. Je sais que le terrestre bénéficie de résultats d'études transverses mais enfin 5 %, ce n'est pas raisonnable. 10 % me semblerait plus adapté et permettrait de faire beaucoup. Je pense à ce propos qu'il sera du ressort de l'agence de se pencher sur la sectorisation actuelle des études amont et de proposer un nouveau découpage.

Les relations avec l'office national d'études et recherches aérospatiales (ONERA) et l'Institut de Saint-Louis seront également du ressort de l'agence. Je pense que c'est une chance pour eux aussi. Les nouvelles venant de l'ONERA sont plutôt bonnes, le déménagement des emprises franciliennes vers Palaiseau a enfin été approuvé en conseil d'administration et les opérations qui vont se dérouler sur plusieurs années vont pouvoir commencer. La subvention accordée à l'ONERA, fixée dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) à 104,7 millions d'euros ne bouge pas mais les commandes sont à un niveau encourageant, notamment dans les souffleries, comme c'est le cas cette année notamment grâce à des contrats avec la Corée. Les travaux de confortement de la soufflerie stratégique S1MA de Modane, pour laquelle l'office recevra une dotation en fonds propres de deux millions d'euros, se passent bien et sont en voie d'achèvement.

L'ONERA rencontre en revanche des problèmes de personnel car le nombre d'emplois sous plafond prévu dans le COP baisse graduellement et met l'office dans des situations difficiles en matière de ressources humaines. Là aussi, je plaide pour plus de souplesse afin d'adapter la règle aux réalités du terrain sans pour autant jeter l'argent par les fenêtres

Je compte aussi sur l'agence de l'innovation de défense pour mettre en lumière l'Institut de Saint Louis et le soutenir dans la valorisation de ses recherches, pour qu'elles puissent arriver dans les forces. Les crédits accordés à l'Institut de Saint Louis sont en augmentation d'un million d'euros, et seront donc de 18,7 millions d'euros. Alors que la subvention est restée inchangée durant des années, cette revalorisation a notamment pour but d'attirer les personnels allemands qui préfèrent travailler dans leur pays où ils ont des salaires nettement plus élevés. Notre ministre insiste sur la nécessité de travailler en coopération européenne, cet institut est un exemple alliant partage des recherches et respect de la souveraineté de chaque État.

Je voudrais encore vous parler d'innovations mais sous l'angle des difficultés que rencontrent les PME pour passer de la recherche au développement et pour accéder aux marchés de la défense. Le Plan action PME devrait apporter des améliorations. Mais un changement culturel doit se produire chez les acheteurs et, malheureusement, cela s'encourage mais ne se décrète pas. Un décret justement est actuellement à l'étude concernant une expérimentation portant sur la possibilité pour les acheteurs publics de passer avec les PME des marchés négociés sans mise en concurrence et sans publicité pour des achats innovants d'un montant inférieur à 100 000 euros au lieu, pour mémoire, de 25 000 euros aujourd'hui.

Je passe à mon dernier sujet : les écoles sous tutelle de la DGA. Elles sont quatre : l'école Polytechnique, ENSTA ParisTech, ISAE-SUPAERO et ENSTA Bretagne. Je m'y suis intéressée car je me demandais quel était l'ADN militaire de ces écoles et si cela avait encore un sens aujourd'hui de conserver des établissements d'enseignement supérieur dans le giron de la défense. Au sortir des auditions que j'ai menées, j'en suis ressortie complètement convaincue.

Le ministère des Armées entretient une base industrielle et technologique de défense, en lui confiant notamment des études amont, afin de s'assurer de sa pérennité et de la disponibilité de compétences identifiées comme nécessaires, voire comme souveraines. Il est donc logique de s'assurer également, en amont, que les hommes chargés d'élaborer ou de mettre en oeuvre ces compétences reçoivent une formation adaptée et la meilleure possible. Il faut pour ce faire avoir un droit de regard sur le contenu et la qualité des enseignements, en l'occurrence celui que donne le versement de la subvention. Certaines spécialités d'ailleurs, la pyrotechnie et l'hydrographie, par exemple, ne sont plus enseignées ailleurs que dans l'une de ces écoles. Les écoles sous tutelle s'inscrivent donc bien dans la préparation de l'avenir.

La subvention 2019 prévue pour ces quatre établissements est de 159 millions d'euros qui se décomposent ainsi : 90 millions d'euros pour l'école Polytechnique, 37 millions d'euros pour l'ISAE, 17 millions d'euros pour l'ENSTA ParisTech et 15 millions d'euros pour l'ENSTA Bretagne.

Bien qu'elles dispensent une formation de base généraliste, ces écoles se distinguent chacune par leurs champs de compétences. Je passe sur Polytechnique dont la formation scientifique pluridisciplinaire de très haut niveau est bien connue. L'ISAE quant à elle se consacre à l'aéronautique et au spatial, l'ENSTA ParisTech à l'énergie, au transport et aux systèmes complexes et l'ENSTA Bretagne au naval, à l'électronique et à la mécanique. L'ENSTA Bretagne forme, avec l'ISAE dans une moindre mesure, la quasi-totalité des ingénieurs des études et techniques de l'armement, les IETA, et Polytechnique plus des deux tiers des ingénieurs de l'armement, les IA, actuellement en poste aujourd'hui à la DGA.

La tutelle est assurée par la DGA et plus particulièrement par la direction des ressources humaines qui veille de très près au suivi des engagements souscrits dans les contrats d'objectifs et de performance signés avec chacune d'elles. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces engagements, différents pour chacune des écoles, mais les grandes lignes sont : l'amélioration de la visibilité et de la notoriété des écoles, le développement des ressources propres, l'ouverture à l'international et le développement de filières en anglais, le développement de partenariats stratégiques, l'accroissement du nombre d'étudiants, la valorisation des activités de recherche.

La subvention représente autour de 60 % du budget global des écoles. Elles doivent donc trouver des ressources qui proviennent notamment des droits d'inscriptions, qui ont augmenté au cours des dernières années, et surtout de ceux des mastères, plus rémunérateurs, des partenariats avec l'industrie qui finance des chaires et des activités de recherche, pour ne citer que cela.

Toutes les écoles encouragent leurs étudiants à l'innovation et à l'entreprenariat, dispensent des enseignements en ce sens et ont mis en place des structures de soutien aux start-up. J'ai d'ailleurs rencontré à l'ISAE le jeune créateur du drone gonflable Diodon, dont les forces spéciales seraient sur le point d'acquérir quelques exemplaires. L'agence de l'innovation de défense devra intégrer ces écoles dans son action car leurs étudiants fourmillent d'idées et il semble même qu'ils sont de plus en plus nombreux, alors qu'ils étaient principalement attirés par des carrières dans les grands groupes industriels, à vouloir créer leur activité ou à ne pas hésiter à intégrer une PME. C'est une bonne nouvelle pour la défense et les idées nouvelles dont nous avons besoin.

Mes chers collègues, je vous recommande d'approuver ce budget, véhicule d'un changement profond de nos procédures et porteur de grands espoirs pour l'avenir.

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