Intervention de Céline Calvez

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCéline Calvez, rapporteure pour avis sur la mission Médias, livre et industries culturelles et le compte de concours financiers Avances à l'audiovisuel public :

Je félicite M. le ministre pour sa récente nomination. Comme chaque année, l'avis sur les crédits de la mission « Médias, livres et industries culturelles » comprend une partie thématique ; j'ai choisi de traiter du soutien public à la création et à l'exportation des séries de fiction. Avant cela, je souhaite vous livrer quelques analyses et vous poser quelques questions sur les crédits qui nous occupent.

Le budget de l'audiovisuel public accuse une baisse de 36 millions d'euros, dont 25 millions concernent France Télévisions. Cette réduction d'un peu moins d'un pour cent est proportionnelle au poids de l'entreprise au regard des autres entreprises de l'audiovisuel public. Mais, comme chaque année, se pose la question de savoir comment les économies vont être réalisées et surtout comment elles peuvent être compatibles avec la nécessaire transformation de l'audiovisuel public. Les sociétés de l'audiovisuel public ont déjà fait d'importants efforts de gestion, tout en préservant le soutien à la création. Le Gouvernement a confirmé la préservation des investissements dans la création, mais je m'interroge sur leur sanctuarisation juridique. Aussi proposerai-je un amendement fléchant vers un nouveau programme du compte d'avances à l'audiovisuel public les investissements dans la création audiovisuelle et cinématographique de France Télévisions et d'Arte à hauteur de 560 millions d'euros par an, comme s'y est engagé le Gouvernement en juin. Certes, ces deux entreprises sont sous le contrôle de leur conseil d'administration, du Parlement et du Conseil supérieur de l'audiovisuel, mais il s'agit de contrôles a posteriori. La création de cette nouvelle ligne budgétaire permettrait aussi de rééquilibrer les discussions entre diffuseurs et producteurs pour un meilleur partage de la valeur ; surtout, les diffuseurs seraient invités à prendre davantage de risques et à les assumer. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

La rémunération en gestion collective des auteurs étant assise sur le chiffre d'affaires des diffuseurs, si ce chiffre d'affaires baisse, la rémunération des auteurs baisse mécaniquement. Comment porter une attention particulière à la rémunération des auteurs ? Il serait dommageable qu'ils subissent le poids des économies demandées aux diffuseurs. Cette question me paraît essentielle ; j'y reviendrai.

Dans les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », j'appelle l'attention sur la baisse de 5 millions d'euros de l'aide au portage – qui avait déjà été amputée l'année dernière. Cette réduction est largement supérieure à la chute effective du nombre de titres portés. Ne faudrait-il pas envisager de rétablir une partie de ces crédits ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité que cette baisse se cumule avec la non-compensation de la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour les entreprises de portage, ce qui, selon leurs calculs, leur fera subir une perte comprise entre 3 et 4 millions d'euros. Cela ne relève pas de cette mission mais de l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui sera débattu ce soir en séance publique, mais il faut prendre en compte tous les paramètres. J'ajoute que l'on oppose souvent portage et soutien à la presse par le biais des tarifs postaux préférentiels ; or, cette dépense ne figure pas dans les crédits du programme 180 mais dans ceux du programme 134. Cet éparpillement entrave la juste appréciation des aides à la presse, et je pense qu'il serait nécessaire de rapatrier le soutien apporté par le biais des tarifs postaux dans le programme 180.

Il faut aussi, pour mesurer exactement les aides à la presse, tenir compte de ce que le Fonds stratégique pour le développement de la presse contient actuellement. Or, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, 9 millions d'euros en ont été soustraits pour financer le plan Presstalis, essentiel pour garantir la distribution de la presse. De plus, j'ai cru comprendre que le Fonds stratégique supporte chaque année l'ensemble du gel de 3 % des crédits du programme. Ne faudrait-il pas revoir l'ampleur de ce gel ?

Se rattachent aussi à la mission « Médias, livre et industries culturelles » les dépenses fiscales d'une importance capitale pour la filière musicale, le cinéma ou l'audiovisuel que sont les crédits d'impôt. Le crédit d'impôt phonographique arrivera à échéance à la fin de 2019 : êtes-vous favorable à sa prolongation pour trois nouvelles années, comme à celle du crédit d'impôt cinéma international, qui a fait la preuve de son efficacité ? Des efforts accentués pourraient-ils porter sur le soutien fiscal aux effets visuels, qui font face à une concurrence acérée mais aussi, dans la perspective du Brexit, à des opportunités de marché ?

Enfin, interloquée par l'existence d'une ligne intitulée « Compagnie internationale de radio et télévision » dans le programme 180, je me suis rendu compte que les crédits de soutien à l'exportation des contenus français sont eux aussi fragmentés et disséminés dans tout le budget. La mise en cohérence de cet ensemble me semble nécessaire pour en renforcer l'efficacité.

La seconde partie de mon avis porte sur les séries, fer de lance de la création audiovisuelle et de son exportation. Disposons-nous des dispositifs juridiques et financiers nécessaires pour faire de ces productions un instrument de croissance économique et de rayonnement culturel ? Plusieurs constats sont unanimement dressés. En premier lieu, producteurs et diffuseurs, en France, sous-investissent dans l'écriture, l'écriture collective notamment. Pourtant, investir très en amont dans ce processus permet de poser les bases du succès et de l'industrialisation de la série. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a déjà mis des mesures en oeuvre pour encourager les producteurs à investir dans l'écriture, et il a aussi annoncé un plan « Séries » qui sera détaillé au mois de novembre. Par ailleurs, trop peu de scénaristes sont disponibles pour ces projets collectifs. La question de leur formation et de leur rémunération se pose : comment se concentrer sur des projets quand on est contraint de les multiplier ? Plus globalement, comment favoriser la prise de risque, l'ambition et l'audace des diffuseurs, qui apparaissent à certains égards insuffisantes ? Seules quelques chaînes payantes parviennent à tirer leur épingle du jeu avec des séries créatives qui leur permettent de conquérir de nouveaux abonnés et de nouveaux publics ; il faut encourager cette évolution. France Télévisions commence à proposer à son audience des programmes moins conservateurs, tel Dix pour cent, mais cela ne suffit pas. À l'heure où des plateformes numériques viennent aiguiser la concurrence, il faut encourager les chaînes à investir dans la création de contenus originaux.

L'arrivée de nouveaux acteurs est une opportunité à saisir pour les producteurs et pour les diffuseurs, et ce peut être aussi une nouvelle source de financement de projets. Cela étant, un de ces acteurs en particulier ne joue pas le jeu de la législation française et fait signer, en France, des contrats léonins qui bafouent le droit d'auteur et la rémunération proportionnelle. Alors que notre pays porte les droits d'auteur dans le débat européen, cette situation parfaitement anormale qui met en péril tout l'écosystème français appelle une réponse politique, sinon juridique, des pouvoirs publics ; quelle sera-t-elle, monsieur le ministre ?

Au-delà, c'est la question du partage de la valeur qui est en jeu. Si Netflix peut se permettre de proposer des contenus originaux, c'est parce qu'il en récolte tous les fruits. Ce n'est pas le cas des diffuseurs en France, qui financent entre 60 % et 70 % des séries mais qui en retirent peu de bénéfices, si bien que leur aversion au risque est difficilement combattue. Je ne dis pas que les diffuseurs doivent avoir tous les droits, mais peut-être faut-il songer à rééquilibrer les relations entre diffuseurs et producteurs, de manière que les risques, mais aussi les bénéfices en cas de succès, soient mieux partagés.

Enfin, un peu de souplesse doit également être recherchée dans l'application des obligations respectives. En particulier, la dichotomie entre le cinéma et l'audiovisuel ne correspond plus ni aux usages ni à la réalité économique et artistique. Réalisateurs, scénaristes, acteurs et producteurs passent de plus en plus communément de l'un à l'autre secteur ; les budgets des séries, notamment américaines, n'ont plus rien à envier à ceux du cinéma ; les spectateurs ne distinguent plus forcément l'origine ou le format des oeuvres. Il faut prendre acte de cette évolution et assouplir les obligations réglementaires, tout en préservant notre exception culturelle.

Se pose donc la question de la réforme des soutiens financiers apportés par le CNC. Le Centre a récemment annoncé que certaines productions, les séries notamment, seraient moins aidées l'an prochain. Alors que la création de séries est un formidable outil de formation et un appui à la diffusion de nos valeurs, cette annonce semble contredire la nécessité d'affirmer le soutien à l'audiovisuel pour en faire un facteur de croissance économique et de rayonnement international de la France. Quel est votre avis à ce sujet ?

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