Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

C'est un roman-fleuve que la réponse que je me prépare à apporter ! J'essaierai d'être synthétique.

Madame Louis, vous insistez sur trois points. Vous soulignez, et je vous en remercie, l'effort budgétaire important. Vous abordez ensuite la question de la transformation numérique. Je redis ce que j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer tout à l'heure, nous sommes extrêmement arc-boutés sur ce que je considère être une question de crédibilité pour la réforme de la justice – vraiment une question de crédibilité. Cela se traduira notamment par trois éléments importants : le portail du SAUJ, qui permettra de répondre aux questions du justiciable lorsqu'il vient voir un greffier ; le portail du justiciable, qui permettra à tous les justiciables d'avoir accès à leurs procédures en ligne ; le portail des juridictions, qui correspond à la dématérialisation complète d'une procédure – et qui ne pourra bien sûr se mettre en place que de manière progressive. Pour moi, c'est vraiment une question de crédibilité. De manière très emblématique, la dématérialisation du B3 constitue en quelque sorte une première pierre, symbolique et efficace, de cette volonté.

Vous m'interrogez ensuite sur les CEF et soulignez l'exemple de celui de Marseille que vous êtes allée voir et à propos duquel vous considérez que le travail accompli est très positif. Nous avons, en effet, beaucoup repensé le travail conduit par les CEF à la suite des différents dysfonctionnements mis en lumière par les rapports de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ou de notre propre inspection. Je pense que le modèle que nous construisons, qui est un modèle plus adapté, plus progressif et très pluridisciplinaire, nous permettra de prendre en charge correctement les jeunes qui y sont affectés. Mon idée, pour les jeunes mineurs délinquants en difficulté, est de proposer une pluralité de réponses. Je le redis ici, il existe une vraie détention et, comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans l'hémicycle, près de 900 mineurs sont actuellement en prison. Il existe aussi des CEF – 51 à ce jour et 71 en 2022 – ainsi que des mesures d'accueil de jour ou encore l'accueil dans les familles. Cette palette nous permet de répondre aux différentes spécificités. S'agissant des nouveaux CEF, nous avons lancé un appel à projets au mois de juillet dernier et les procédures sont en cours au moment où je vous parle.

Monsieur Masson, vous m'avez interrogée sur plusieurs points, en commençant par soulever l'immense retard de cette fonction régalienne qu'est la justice. Certes, mais je ne sais pas s'il faut se contenter de dire cela, ou s'il ne vaut mieux pas, malgré tout, se réjouir du rattrapage qu'à raison de deux années consécutives je vous propose. Ce point me semble tout de même important.

Vous avez fait allusion, à l'instar de M. Stéphane Peu, à l'étude de la CEPEJ. Elle montre effectivement que, dans les pays européens, la France n'est pas bien placée. Je vous l'accorde, mais j'apporte aussi un bémol. Sans nullement contester la qualité de l'étude, je précise, d'une part, qu'il s'agit des chiffres de 2016 et que ceux de 2018 montreraient nécessairement une amélioration. D'autre part, il importe de raisonner à périmètre constant. Cette étude, par exemple, ne prend pas en compte la spécificité de la justice française qui compte des juges non professionnels – les juges des tribunaux de commerce et les juges des conseils de prud'hommes. Mon propos n'est pas polémique, mais vise simplement à observer qu'il faut comparer ce qui est comparable. En tout cas, pour ma part, je me réjouis de notre contribution à l'amélioration du fonctionnement de notre justice.

Vous avez ensuite fait valoir la difficulté de la construction des établissements pénitentiaires, en observant qu'au fond, les 15 000 places ne seraient pas ouvertes en 2022. Je vous rappelle, monsieur le député, que l'un de mes prédécesseurs, M. Dominique Perben, avait un grand plan pénitentiaire qu'il a fait aboutir en quinze ans, et qu'aucun établissement n'a été livré sous le premier quinquennat. Aujourd'hui, je m'engage à ce que la moitié du plan pénitentiaire que je propose soit livrée au terme du premier quinquennat. Il faut tout de même ici le rappeler. Je pense que cela permettra de lutter contre la surpopulation carcérale, avec la nouvelle politique des peines que je propose – l'un ne va pas sans l'autre, et l'un ne peut pas être conduit sans l'autre.

Vous avez ensuite évoqué la question du « droit de timbre », en m'interrogeant sur ce que je pensais de cette proposition du Sénat – qui n'est pas la première chambre à évoquer ce sujet. Le « droit de timbre » qui existait a été supprimé en 2014. Ce débat reviendra devant l'Assemblée nationale et nous aurons l'occasion d'en discuter à ce moment-là.

Vous m'avez aussi interrogée sur la question du renseignement. Nos lignes et nos priorités d'action sont claires. C'est d'abord le développement du renseignement humain, qui est essentiel sur le terrain. C'est ensuite la formation des agents. Un effort considérable de formation est d'ailleurs consenti en lien avec la direction générale de la sécurité intérieure. L'autonomie technique du bureau central du renseignement pénitentiaire est également acquise dès cette année. Nous souhaitons en outre créer une filière ad hoc pour assurer l'attractivité de ce nouveau métier qui constitue, notamment pour les surveillants pénitentiaires, un débouché intéressant. Enfin, nous souhaitons clarifier les règles de judiciarisation des renseignements recueillis. Nous avons donc des lignes claires et un budget : 5,8 millions d'euros et 39 emplois supplémentaires en 2019.

Monsieur Balanant, vous m'avez interrogée sur le fait qu'une grande partie du budget 2019 était consacrée à l'administration pénitentiaire. Ce n'est pas tout à fait juste en termes de crédits, puisque 39 % des crédits sont consacrés à l'administration pénitentiaire et que 38 % le sont aux services judiciaires, le reste concernant l'accès à la justice et au droit, la PJJ, etc. Le budget est donc équilibré. En termes d'emplois, évidemment, le budget concerne prioritairement l'administration pénitentiaire. Les recrutements que j'ai eu l'occasion d'annoncer, notamment dans la filière de surveillance, en témoignent.

Vous m'avez demandé s'il était envisageable d'associer la commission des Lois à la définition des nouveaux établissements pénitentiaires. C'est vraiment avec beaucoup de plaisir que nous pourrons travailler ensemble – plus que du plaisir, d'ailleurs : de l'intérêt, au regard notamment du travail que vous avez accompli.

Sur le numérique, vous me demandez quelle est l'articulation avec le ministère de l'intérieur. Elle est très forte, d'abord sur la procédure pénale numérisée puisque toute la partie qui concerne l'enquête sera construite avec ce ministère. Nous avons mis en place une équipe projet pilotée par un préfet du côté du ministère de l'intérieur et par un magistrat de celui du ministère de la Justice. C'est elle qui construira la procédure pénale « native » numérisée. J'espère que nous pourrons livrer les premières briques en 2020. C'est évidemment très complexe, puisque nous devons interconnecter des logiciels. Par ailleurs, nous travaillons également avec d'autres ministères autour de la signature numérique unifiée. Des travaux interministériels très importants sont conduits.

Madame Untermaier, vous me rappelez le livre de M. Jean-Jacques Urvoas – qui ne m'était pas adressé, puisqu'il l'était à son successeur, en l'occurrence M. François Bayrou. Mais il se trouve que je l'avais lu alors même que je n'étais qu'au Conseil constitutionnel, j'avais eu l'occasion de vous le dire. J'avais beaucoup apprécié cet ouvrage. Je me permets juste ici de vous faire remarquer que, sur le plan budgétaire, et tout en reconnaissant les efforts et la volonté qu'il avait, M. Jean-Jacques Urvoas avait prévu un milliard d'euros d'augmentation du budget de la justice en cinq ans. Nous proposons pour notre part une augmentation de 1,6 milliard d'euros. C'est plus que ce qu'avait projeté M. Jean-Jacques Urvoas, qui pourtant, je le sais, était très attaché à ces sujets. Mais je ne me situe pas dans cette perspective, devant vous. Le principal est, évidemment, que nous arrivions, par ces moyens supplémentaires, à transformer la justice.

Vous évoquez la question des CPIP et vous dites que leur nombre sera insuffisant pour mettre en place la politique pénale que je porte. Il est vrai qu'il existe un enjeu majeur à s'appuyer sur le travail des CPIP. Nous en avons besoin pour développer les TIG, pour faire de l'évaluation pré-sentencielle, pour suivre le parcours d'exécution de la peine et pour préparer la réinsertion des détenus. Il existe donc un très fort besoin de travail avec les CPIP. Je signale simplement que nous avions, fin 2017, 3 645 conseillers et 520 directeurs d'insertion et de probation, que des emplois supplémentaires seront créés entre 2018 et 2022 et qu'un effort statutaire est consenti puisque ces postes passeront en catégorie A en 2019. Les moyens de fonctionnement augmentent très fortement également – je ne vous cite pas les chiffres. Tous les efforts sont engagés pour passer de plus de 100 mesures par jour suivies par les CPIP il y a cinq ans à 80 aujourd'hui et, nous l'espérons, 60 en fin de législature. C'est l'objectif de mobilisation que je porte.

Je ne reprends pas la question des CEF, sinon pour répéter que nous sommes très attentifs à ce dossier et à l'évaluation qui sera portée. Je rappelle simplement, car la question a été posée assez fréquemment, que le coût moyen journalier en CEF est de 661 euros contre 560 euros en hébergement collectif traditionnel et de 540 euros en établissement pour mineurs. Il existe donc bien une réelle différence de coût, mais elle est justifiée par l'accompagnement très personnalisé qui est mis en place dans le cadre des CEF.

Monsieur Morel-À-L'Huissier, j'ai bien compris que vous vous souciez à juste titre des effectifs qui permettent de faire fonctionner les petits tribunaux. Il est vrai que dès lors qu'il y a une absence dans ces petits tribunaux, leur fonctionnement devient plus délicat. C'est certain. C'est la raison pour laquelle nous faisons un effort de résorption des vacances d'emplois. Je l'ai dit tout à l'heure, nous avons résorbé, dès l'année dernière, la moitié des vacances d'emplois par rapport aux emplois tels qu'ils sont prévus dans les juridictions. L'an dernier, il y avait 500 vacances d'emplois. Il n'y en a plus que 250 aujourd'hui. Et nous espérons, grâce à l'ensemble des dispositifs prévus par la loi de programmation que je vous propose, pouvoir rapidement les combler.

Vous me demandez ensuite si les SAS sont assimilables à des « prisons ouvertes ». Tout dépend de ce que l'on entend par « prison ouverte » ! Nous avons des « prisons ouvertes ». Je me suis rendue, tout comme votre présidente, à la prison de Casabianda en Corse. Elle est ouverte physiquement. Il n'y a donc aucune barrière entre le dedans et le dehors. Il y a même une route nationale qui passe au milieu de la prison. Dans mon esprit, un SAS n'est pas exactement cela. C'est un lieu sans barreaux, dans lequel les détenus circulent librement et dans lequel se trouvent des services publics pour accompagner la sortie des détenus. Ce n'est pas tout à fait la même conception. Néanmoins, je considère qu'il s'agit de structures beaucoup plus ouvertes que les maisons d'arrêt classiques. Dans les prisons expérimentales par le travail, nous prévoirons également une modification des régimes de détention.

Enfin, sur les ressources des demandeurs pour l'aide juridictionnelle, je vous ai fait part tout à l'heure de mon intérêt pour la prise en compte du RFR, qui uniformisera la prise en compte des conditions de ressources.

Madame Obono, vous dites que les moyens sont consacrés à construire toujours plus de places de prison. Je ne suis pas tout à fait en accord avec vous. J'ai expliqué que, bien sûr, nous avions besoin de places supplémentaires, mais qu'en même temps, toute la politique pénale que je conduis vise à diminuer le nombre de courtes peines d'emprisonnement, dont nous considérons qu'elles conduisent à de la récidive et qu'elles ne sont pas utiles. C'est donc un équilibre que nous avons construit, et c'est dans cet équilibre que se situe le plan immobilier que j'ai présenté devant vous.

Quant aux PPP, je vous rappelle que nous y avons mis fin – vous l'avez dit vous-même – qu'ils sont pris en charge et financés et que nous ne souhaitons pas résilier les contrats existants. Ils fonctionnent, et il me semble que cela nous coûterait extrêmement cher de les résilier. Mais nous ne restons pas inactifs. Nous négocions en ce moment un refinancement des 14 PPP pénitentiaires, ainsi qu'une évolution de leur durée pour les aligner sur les exigences de nos contrats les plus récents.

Monsieur Peu, vous évoquez – je n'y reviens pas – le retard structurel de la justice, qui ne s'est jamais résorbé, avez-vous dit. Je considère que nous faisons des efforts substantiels, d'une ampleur qui n'a pas connu de précédent sinon il y a très longtemps. Nous améliorons donc la situation dans nos juridictions. Je sens d'ailleurs déjà que la tension dans les juridictions est bien moindre qu'il y a un an. Je ne dis pas que tout va bien – ce n'est pas du tout mon style. Mais je dis que, par rapport à il y a un an, les tensions sont beaucoup moins fortes. Je reçois beaucoup moins de courrier me disant qu'il manque des magistrats ou autres. Il manque peut-être des greffiers. Des efforts de recrutement sont engagés de ce point de vue.

Vous avez souligné la difficulté de la situation du tribunal de Bobigny. Monsieur le député, dès que cette commission sera terminée, je tiendrai dans mon bureau une réunion pour traiter cette question, sur laquelle un rapport d'inspection générale a été demandé, qui nous a livré un certain nombre de préconisations et que je souhaite étudier. Je pense que nous avons à relever un défi majeur pour être à la hauteur – avec la police nationale. Car ce n'est pas qu'une question de justice. Il faut travailler ensemble pour essayer de faire évoluer cette situation.

Enfin, pour votre information, il y a aujourd'hui à Bobigny 137 magistrats au siège, alors que la localisation des emplois n'en comporte que 135. Il y a donc deux magistrats supplémentaires au siège. Nous comptons également 55 magistrats au parquet, alors que la localisation n'en comporte que 53. Nous faisons donc un effort. Toutes les difficultés ne sont pas résolues, et je suis extrêmement sensible au à la situation de Bobigny.

Enfin, monsieur Molac, vous me dites que l'enfermement n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique pénale. Je partage votre sentiment !

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