Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Merci, madame la présidente. Je voudrais répondre à M. Ciotti, qui s'est excusé auprès de moi de devoir nous quitter, que la « clochardisation » de la justice n'a pas été évoquée par mon prédécesseur, mais par mon anté-prédécesseur. M. Ciotti estime que c'est le déficit chronique de places de prison qui pèse sur le sens de la peine. Je ne sais pas si c'est le seul facteur, mais je partage avec lui l'idée que cette surpopulation carcérale est à l'évidence un facteur extrêmement négatif pour la réinsertion des détenus.

Je ne suis, en revanche, pas d'accord avec son affirmation selon laquelle nous avons revu l'engagement du Président de la République. Je réaffirme que le Président de la République s'est engagé à la construction de 15 000 places de prison, et que ces constructions seront bien réalisées, mais que nous sommes lucides. Nous savons très bien que construire une place de prison ne se fait pas en quelques années ni en claquant des doigts. Il faut trouver des terrains, et vous savez pertinemment que ce n'est pas toujours aisé. Il faut ensuite, le cas échéant, les acquérir. Il faut faire des études de faisabilité, puis procéder à la construction elle-même. Tout cela prend du temps. Je m'engage à livrer 7 000 places en 2022 et à en lancer 8 000 à cette même échéance.

M. Ciotti ajoute qu'avait été évoquée en 2012 l'augmentation de la capacité du parc carcéral à 80 000 places en 2017. Or 2012 était la fin d'un quinquennat. Il est toujours beaucoup plus facile, en fin de quinquennat, de prendre des engagements dont on ne sait pas s'ils seront tenus. Nous, nous les prenons en début de quinquennat.

Par ailleurs, je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif, il existe encore trois ou quatre sites, sur la carte que j'ai diffusée, sur lesquels je sais que nous allons construire sans pour autant connaître le terrain de manière précise. C'est le cas à Nice, où nous examinons les différents terrains qui nous sont proposés. Je suis certaine de pouvoir compter sur l'appui de M. Ciotti dans cette volonté de construire à Nice. À cet égard, je l'informe que je ne souhaite pas substituer un nouvel établissement à la prison du centre-ville, mais conserver celle-ci et créer un nouvel établissement. C'est ce que nous avons prévu en transformant la finalité de la prison du centre-ville.

Monsieur Brial, vous m'interrogez sur la future prison de Wallis-et-Futuna. Cette prison sera construite. Nous avons un projet d'établissement de 10 places. Le dossier progresse puisque les crédits sont prévus au programme immobilier à hauteur de 6 millions d'euros. Deux terrains sont identifiés dans la proposition que nous a faite le préfet et nous attendons d'ici quelques jours le retour des différentes autorités coutumières et de la préfecture sur la mise à disposition de l'un des deux terrains. La livraison est prévue fin 2021 ou début 2022. Nous créerons également, à cette occasion, un service public pénitentiaire à Wallis – ce ne sera donc plus la gendarmerie comme aujourd'hui. Nous avons prévu d'intégrer à la fonction publique d'État des agents qui travailleront dans cet établissement. Ils ont d'ailleurs récemment fait part de leur candidature. J'ai eu l'occasion de répondre exactement de cette manière-là à l'un de vos collègues sénateurs qui m'interrogeait.

Monsieur Rudigoz, vous avez fait part de votre inquiétude quant à la réforme des TASS et des TCI que nous mettons en oeuvre. Je rappelle qu'il s'agit de l'application de la loi votée par l'Assemblée nationale précédente en 2016, loi qui me semble tout à fait pertinente dans son principe. Je sais qu'il existe des inquiétudes quant aux moyens, notamment humains. Des transferts de moyens de fonctionnement et de moyens immobiliers ont été effectués entre le budget de la sécurité sociale et celui de l'État, portant sur plus de 9 millions d'euros. S'agissant des emplois et des crédits de personnel, le principe d'un transfert de 541 équivalents temps plein (ETP) et de la masse salariale y afférente a été acté. Pour les personnels qui ne sont pas trop transférés, le principe d'une compensation financière a également été établi.

Au 7 août 2018, 84 ETP avaient été transférés. Un renfort de 100 ETP supplémentaires dans les greffes est prévu en 2019, ainsi que celui de 30 juristes assistants sur le programme 166. Nous aurons donc, je le pense, les moyens de faire face à cette charge de travail – même s'il y a une lenteur dans la mise en place. Mon directeur de cabinet me fait signe que celle-ci est en cours. Il n'y aura donc pas de difficulté ! Je sais qu'il y a des inquiétudes, mais honnêtement, ces mesures de transfert et de compensation ainsi que le recrutement des emplois nous permettent d'envisager de répondre de manière positive à la situation.

Monsieur Kamardine, vous m'interrogez sur Mayotte. Vous évoquez, d'une part, la nécessité de garder un accès physique au tribunal, en observant que la numérisation n'est pas l'alpha et l'oméga de l'accès au droit. C'est bien ce que nous souhaitons faire. Il existe actuellement un SAUJ au tribunal. Ce service restera et sera renforcé par des greffiers compétents et formés pour accueillir les justiciables. La numérisation ne signifiera pas la disparition de services. Ce que je dis est d'ailleurs valable pour toute la France. Nous allons même renforcer l'accueil des justiciables dans les SAUJ. Je l'observe quand je me rends dans les différents tribunaux, même si je ne suis pas encore allée à Mayotte : ces services sont extrêmement performants et prennent de l'ampleur.

D'autre part, vous évoquez les huissiers et les notaires. Je prends note de votre observation. Nous créerons de nouveaux emplois et offices de notaires. Peut-être trouverons-nous la possibilité d'une installation à Mayotte. En tout cas, j'en parlerai aux présidents de la chambre nationale des huissiers et de celle des notaires.

Enfin, vous posez la question de la création d'une cour d'appel à Mayotte. Ce n'est pas prévu aujourd'hui, monsieur le député. Il existe une chambre détachée qui peut juger des affaires et que les effectifs de la cour viennent renforcer lorsqu'il en est besoin. Nous avons pensé que c'était suffisant, mais vous nous direz peut-être en dehors de la réunion, monsieur le député, ce que vous en pensez.

Madame Moutchou, vous avez réévoqué la question de l'aide juridictionnelle. Je ne vais peut-être pas répéter ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire tout à l'heure. Je suis très soucieuse d'engager une réflexion avec les avocats d'une part, et de prendre appui, d'autre part, sur les réflexions que vous pourriez conduire au niveau de la mission parlementaire que vous avez évoquée. Les trois lignes directrices sur lesquelles je souhaite fonder l'action que nous conduirons sont la nécessité de travailler en lien avec les assurances de protection civile, une simplification et une meilleure organisation. Les leviers de progrès sont importants.

Madame Dubré-Chirat, vous avez évoqué la situation difficile des magistrats à titre temporaire. On sait qu'il y a eu en effet des difficultés cette année. Je ne reviens pas sur leur origine, sans doute liée à une mauvaise prise en compte des informations que nous avions données mais qui n'ont pas été comprises – nous allons le dire ainsi. En tout cas, pour 2019, nous devrions pouvoir assurer, grâce à l'augmentation totale de l'enveloppe des agents non titulaires – portée de 56 à 64 millions d'euros – un total de 300 vacations. C'est le nombre maximum que l'on peut engager pour les magistrats à titre temporaire, ce qui n'était pas le cas cette année puisque nous avions demandé que l'on en reste à 200 vacations – c'est cela qui n'avait pas été bien lu, pas bien compris sans doute.

Vous avez également évoqué, madame la députée, la question de la laïcité, en saluant le « très bon rapport » – je vous cite, mais puis reprendre ce propos à mon compte – de M. Questel. Sur l'exercice du culte dans les lieux de placement de la PJJ, je dois vous dire en complément de ce que j'ai indiqué tout à l'heure que c'est une note de 2015 qui précise l'exercice des droits des mineurs à la pratique religieuse et au respect de leur liberté de conscience. Les personnels s'obligent donc au respect des convictions des jeunes placés, mais aucun mineur ne peut faire acte de prosélytisme. La pratique d'un culte est possible dans la chambre si c'est une chambre individuelle, et sous réserve de l'absence de troubles au fonctionnement de l'établissement. Les signes d'appartenance sont acceptés, sauf s'ils vont jusqu'à un visage dissimulé, et ils doivent être retirés s'ils sont incompatibles avec une activité ou s'ils posent des problèmes de sécurité. Des modalités particulières d'organisation des repas sont prévues. Les souhaits des titulaires de l'autorité parentale doivent également être pris en compte. Ce régime est, au fond, assez similaire à celui que l'on peut retrouver aujourd'hui dans les lycées et dans les établissements publics d'enseignement. En tout cas, c'est un sujet qui mérite une prise en compte très soutenue.

Madame Degois, vous avez posé la question du renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires. C'est un sujet important. J'ai eu l'occasion de le dire, mais trop rapidement tout à l'heure : l'effort global qui est consacré à la sécurité dans les établissements pénitentiaires représente 50 millions d'euros cette année. C'est une hausse importante – de 6,5 millions d'euros, soit 15 % – par rapport à 2018. Sur ces 50 millions d'euros, 10 millions seront directement consacrés au renforcement des moyens d'équipement et de protection des personnels. Nous avons d'ores et déjà livré dans les établissements pénitentiaires un certain nombre d'équipements, notamment des tenues d'intervention. Je souhaite également poursuivre le renforcement de la sécurité périmétrique des établissements, pour améliorer notamment la sécurité des personnels sur les parkings. En effet, nous avons connu quelques incidents notables de ce point de vue. Aussi procéderons-nous à la pose de clôtures et de barrières, à l'extension de la vidéoprotection, à de meilleurs éclairages, etc. Enfin, je créerai les premières unités pour détenus violents, qui seront ouvertes dans les semaines à venir et permettront une gestion adaptée de ces profils. Je m'y étais engagée à la suite du mouvement pénitentiaire du mois de mars dernier.

Madame Abadie, vous avez souligné la nécessité de procéder à la rénovation des établissements pénitentiaires, considérant qu'il s'agit non seulement d'une question de dignité, mais également d'un élément important pour les personnels. Là encore, l'augmentation des crédits de rénovation est réelle, puisque 100 millions d'euros seront consacrés à la rénovation en 2019, soit 20 millions d'euros de plus qu'en 2018. Nous les augmenterons encore dans les années suivantes. Cela permettra de mettre les établissements aux normes en matière de sécurité incendie et d'accessibilité, mais aussi d'améliorer la sécurité et la prise en charge des publics, notamment pour le maintien des liens familiaux, ou encore d'assurer les travaux de gros entretien. Ensuite, nous avons également prévu de consacrer dans les prochaines années 32 millions d'euros à la rénovation des structures qui devaient être concernées par la création de nouveaux établissements mais à laquelle nous n'avons finalement pas donné suite au regard de notre estimation de l'évolution de la population pénale. Dans ces cas spécifiques, nous procéderons à la rénovation des structures et des cellules, améliorerons l'accessibilité et la sûreté, mettrons aux normes anti-incendie, etc. Pour vous citer quelques exemples, nous y dédierons 12 millions d'euros à Saint-Étienne, 3 millions d'euros à Arras, 3 millions d'euros à Ajaccio, 6 millions d'euros aux centres de détention de Toul et d'Écrouves en Meurthe-et-Moselle, 4 millions d'euros en Vendée pour les deux maisons d'arrêt de La Roche-sur-Yon et 4 millions d'euros dans la Manche pour les maisons d'arrêt de Cherbourg et de Coutances – je l'ai dit tout à l'heure dans l'hémicycle. Nous souhaitons vraiment faire un effort important de ce côté-là. Je n'ai pas cité le cas de Grenoble, mais je le ferai très vite !

Madame Guévenoux, vous avez évoqué la question des greffiers, me reprenant la balle sur un mot que j'avais prononcé. 1 750 greffiers ont été recrutés en 2017, nous en recruterons 1 800 en 2018 et 1 700 en 2019. Nous ouvrons donc des emplois de fonctionnaires de greffe.

Vous avez ensuite mentionné, je vous cite, le fait qu'une bonne politique pénitentiaire était une politique de prévention de la récidive et qu'il fallait donc éviter les sorties « sèches ». Je ne peux que pleinement partager votre affirmation. C'est bien ce que nous souhaitons faire, par différentes dispositions qui figureront dans la loi que je vous proposerai, comme les SAS, qui visent précisément à éviter les sorties sèches, les CEF combinés à la mesure d'accueil de jour que nous proposons, la systématisation des libérations sous contrainte et le développement des centres de semi-liberté.

Vous avez souligné l'intérêt des TIG. Je vous renvoie, mais vous la connaissez, à la mission accomplie par votre collègue Paris qui, avec le chef d'entreprise David Layani, nous a remis un rapport extrêmement précieux. Le diagnostic posé nous conduira à créer dans les prochains jours une agence des TIG, qui sera également une agence du travail en détention et de la réinsertion professionnelle. En effet, une partie du travail est commune : il s'agit de repérer les lieux où des travaux pourront être effectués. Mais je vous entends parfaitement sur la question que vous avez posée quant aux mesures prises pour accueillir les TIG. Des dispositifs d'accompagnement des tuteurs en termes de formation sont prévus. Je souhaiterais aussi que les collectivités territoriales qui s'investissent dans les TIG puissent défalquer le temps d'accueil assuré par les tuteurs des normes de référence de fonctionnement qui leur sont imposées. Il me semble que serait un geste fort – mais c'est une idée que j'ai depuis hier et, à dire vrai, je suis peut-être seule à la défendre au moment où je vous parle. J'essaierai de convaincre deux ou trois autres personnes de la faire progresser avec moi. Vous pourrez peut-être m'aider en ce sens !

Monsieur Schellenberger, vous avez parlé du sens que nous souhaitions donner au développement du numérique, rappelant les nécessaires contacts et liens directs avec le juge. Je le dis clairement devant vous : pour moi, le développement du numérique est une manière d'aider le justiciable, les personnels de greffe et les magistrats. Ces outils nous permettront vraiment d'aller plus vite. Or un jugement rendu plus rapidement est évidemment un gain pour le justiciable. Et, au-delà, quand nous souhaitons développer des dispositifs de plainte en ligne, ce n'est pas pour couper la victime des services de police ou de gendarmerie. C'est tout simplement parce que nous savons que, dans certains cas, il est plus facile – si l'on en a la possibilité – de commencer à dire quelque chose de manière neutre, sur un écran, avant d'être rappelé puis d'avoir un contact physique. Cette médiation peut parfois être utile et pertinente. Elle fait aussi gagner du temps et nous permettra peut-être de disposer de preuves plus fortes. Nous maintenons évidemment les audiences.

Pour les petits litiges, nous laissons aux parties le choix d'opter, le cas échéant, pour une audience dématérialisée. De plus en plus souvent – vous le faites vous-même –, quand on a acheté quelque chose sur internet et que l'on est en conflit avec le vendeur, on règle ce conflit de manière dématérialisée. C'est ce que nous proposons, si les parties le veulent. Et si elles ne le veulent pas, le passage par l'audience restera possible.

Nous avons également des projets de mise en open data des décisions de justice, qui seront ainsi ouvertes à tous. La question de l'anonymisation se posera. Ce sujet a déjà été traité par le Sénat dans le cadre de la discussion du projet de loi de programmation et reviendra devant l'Assemblée nationale. Nous aurons des choix à faire. En tout cas, je suis sensible aux questions que cela peut poser, mais soyez certain, monsieur le député, que, pour nous, la numérisation n'est pas la déshumanisation. Au contraire.

Voilà qui fait le lien avec votre intervention, monsieur Paris. Vous avez en effet évoqué l'intérêt et l'importance du numérique. Vous observez que des évolutions sont fortement attendues par les forces de police et de gendarmerie. Elles le sont par nous aussi. Lorsque la procédure pénale numérique « native » sera mise en place, elle représentera un atout considérable pour les enquêteurs et pour les magistrats, puisque l'ensemble des pièces du dossier seront sur une seule ligne numérique – et qu'un accès pourra être donné à tel ou tel en fonction de la place qu'il occupe dans le litige ou le procès. C'est tout à fait essentiel. Une équipe dédiée au projet a été constituée, regroupant des représentants des ministères de l'Intérieur et de la Justice. Elle est pilotée par deux personnalités de très haut niveau, un préfet et un magistrat, complètement investis dans la mise en oeuvre de ce processus. Un cahier des charges très précis a été établi. Les équipes sont au travail et prévoient une expérimentation sur deux sites pilotes dès le printemps 2019, un retour d'expérience et une généralisation à partir de 2020. Cela ne veut pas dire qu'en 2020 tout sera achevé, mais que des briques seront en place et qu'il faudra sans doute ensuite améliorer le dispositif. En tout cas, c'est pour nous un enjeu majeur.

Je m'aperçois que je n'ai pas répondu à Mme Zannier…

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