Intervention de Monique Limon

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Limon, rapporteure pour avis :

Monsieur le président, chers collègues, je vais introduire la présentation de mon rapport par une citation : « Il faut réapprendre à voir large et loin : ceux qui se laissent écraser par la tyrannie du court terme sont condamnés à toujours réagir, au lieu d'agir, à toujours saupoudrer au lieu de choisir, bref à toujours subir. » Ce sont les mots de MM. Juppé et Rocard, qui furent à l'origine du premier PIA, au coeur de la crise de 2008, dont nous étudions actuellement la troisième version, le PIA 3.

J'interviens comme rapporteure pour avis de la mission relative au PIA dans le projet de loi de finances pour 2019, plus particulièrement sur les programmes 422 et 423 qui concernent la valorisation de la recherche et la modernisation des entreprises. À ce titre, je dirai quelques mots de l'état budgétaire de cette mission, avant de vous exposer l'impulsion thématique que j'ai souhaité donner au rapport : les actions environnementales et agricoles du PIA. Je conclurai par quelques pistes de propositions en faveur d'un PIA utile à l'agroécologie, qui ont pu m'être inspirées par les acteurs auditionnés dans le cadre de cet avis.

Tout d'abord, en termes strictement budgétaires, il faut retenir que le rythme de décaissement des crédits du PIA suit la trajectoire prévue. Si les crédits des PIA 1 et 2 sont toujours en cours de mobilisation, ceux du PIA 3 montent en charge. Le PIA 3 fonctionne selon des règles budgétaires exceptionnelles, avec une autorisation d'engagement de 10 milliards d'euros sur cinq ans, votée en 2017, à laquelle succède désormais un vote annuel des crédits de paiement par le Parlement. En 2019, un peu plus d'un milliard d'euros devraient donc être payés aux opérateurs comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ou Bpifrance, conformément à la feuille de route établie par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI).

Cet effort d'investissement exceptionnel poursuit quatre objectifs stratégiques, définis par le Gouvernement lors du lancement du grand plan d'investissement, dont le PIA est l'une des facettes : accélérer la transition écologique, édifier une société de compétences, accompagner la numérisation de l'État et soutenir une innovation de pointe. Ces quatre objectifs permettent de balayer un champ large d'actions ou d'initiatives innovantes, dans des secteurs aussi divers que la chimie verte ou les bâtiments intelligents, en passant par l'économie sociale et solidaire.

Le PIA intervient dans un contexte scientifique en proie à des questionnements profonds, à une époque où les données, les faits, sont toujours plus omniprésents mais aussi exploités de façon contradictoire. Vous n'êtes pas sans connaître l'épineux problème des « infox », ou fake news, qui, en plus de fausser le jeu politique par la désinformation des citoyens, brouillent aussi le savoir scientifique en donnant la part belle aux positions conspirationnistes : prenez l'exemple du mouvement anti-vaccin ou encore du climato-sceptiscisme.

Il faut donc garder à l'esprit la nécessité de populariser et vulgariser l'avancée de la recherche et de l'innovation dans notre pays. Pour être ouvert sur la société française, le PIA devra être incarné, promu, et en phase avec la demande sociale ainsi que les besoins exprimés par nos concitoyens.

C'est dans cet état d'esprit que j'ai souhaité conférer une approche thématique à mon rapport, face à ce que je considère être un défi de société fondamental : la transition écologique. Je me suis plus particulièrement intéressée au bilan et perspectives du PIA en matière d'agriculture et d'alimentation durables.

Cette focale environnementale répond à une triple motivation de ma part.

Tout d'abord, l'existence d'une demande sociale dynamique et construite autour d'enjeux forts : moindre recours aux produits phytosanitaires, amélioration du bien-être animal, amélioration de la qualité de l'alimentation, recours à une agriculture locale et à des produits locaux, transition vers un modèle agricole plus soutenable écologiquement.

Ma seconde motivation était le besoin de continuité avec le programme présidentiel dont l'application va nécessiter de développer rapidement l'innovation dans les secteurs agricole, agroalimentaire et de la transition énergétique et écologique. L'action gouvernementale, en la matière, est forte et déterminée.

Enfin, il était primordial de montrer qu'à la parole succédaient des actes, après notre adoption en lecture définitive de la loi EGALIM, le 2 octobre dernier. Il convient de veiller à ce que les priorités qu'elle fixe et les ambitions qu'elle porte soient complétées par les leviers financiers suffisants pour garantir son succès.

Si les approches sont hétérogènes, les réalisations du PIA en matière de développement durable sont toutefois tangibles. L'audition de porteurs de projets et d'opérateurs du PIA, comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche (ANR) et surtout l'ADEME qui est dotée d'un milliard d'euros par le PIA 3, m'a montré la richesse et la diversité du chemin parcouru.

Ce chemin continue de suivre son cours. Prenons l'exemple de la plateforme de recherche et développement CertiMétha, un projet de méthanisation qui verra le jour en 2019 grâce à une subvention de 2 millions d'euros de Bpifrance. Ce projet cumule contenu innovant, contribution à la transition énergétique et réponse à des impératifs politiques, en l'occurrence l'objectif de la loi de parvenir à une part de 10 % de biogaz dans la consommation totale de gaz à l'horizon de 2030.

D'autre part, il prend en compte la problématique de la formation aux techniques de méthanisation, qui, à mon sens n'est pas suffisamment structurée. Une action future du PIA pourrait permettre de mieux structurer la formation dans ce secteur d'avenir pour la valorisation de la biomasse par nos agriculteurs.

Autre exemple qui parlera à ceux qui ont suivi les débats de la loi EGALIM : le PIA soutient la R&D d'une entreprise française, Tronico, afin de développer une technique non intrusive de détection du sexe des poussins in ovo, dans l'oeuf, afin d'éviter le broyage de nombreux poussins ou de canetons après la naissance.

Des projets de qualité voient également le jour en matière de biocontrôle, soutenus notamment par les concours d'innovation de l'ADEME. Ainsi, pour citer quelques exemples concrets, l'entreprise sarthoise Biodevas cherche un substitut à base d'extraits de plantes aux solutions actuelles usant d'aluminium et de cuivre pour lutter contre la bactériose de l'olivier.

Le PIA est également un programme qui valorise nos territoires. En la matière, je me réjouis de l'existence des « territoires d'innovation de grande ambition », portés par la CDC qui mobilisera 150 millions d'euros. Nous attendons le verdict du comité indépendant, mais l'appel à manifestation d'intérêt recèle de beaux projets en matière de sylviculture, d'alimentation bio, de projets immobiliers durables, pour le moment équitablement répartis entre zones urbaines, rurales et mixtes. Cette appropriation du PIA par les acteurs locaux va donc dans le bon sens et doit être encouragée.

Nous aurions pu en citer bien d'autres, mais l'important est de retenir que le PIA donne la chance de mûrir et de concrétiser les solutions écologiques de demain.

Néanmoins, et c'est l'objet du second temps de mon avis budgétaire, le tableau n'est pas entièrement satisfaisant. Tout d'abord, il faut avouer que le critère d'éco-conditionnalité qui devait présider à la sélection des projets n'est pas pris en compte à sa juste valeur. Les objectifs gouvernementaux de 60 % de projets destinés à financer la transition écologique semblent donc, en l'état, trop ambitieux. Mes collègues du Sénat ont déjà pu exprimer ces réserves dans leur rapport spécial sur cette même mission en 2017. À l'Assemblée nationale, la mission d'évaluation et de contrôle sur le PIA et la transition énergétique, lancée en 2016, avait fait état de seulement 17 % de crédits affectés effectivement au développement durable. Il semble donc opportun de lancer une réflexion en la matière, que ce soit au niveau des objectifs officiels ou de leur mise en oeuvre.

En particulier, le bilan en matière d'agroécologie demeure assez mitigé, si bien que certains acteurs ont pu nous parler d'un « trou dans la raquette » du PIA. Le programme semble se heurter à certaines barrières qui ne lui permettent pas d'être le soutien efficace de la transformation agricole qui serait nécessaire afin d'allier productivité, respect de l'environnement et diminution des risques sanitaires.

Ces difficultés peuvent être propres au milieu agricole et de la recherche en agrosanté, où le paysage des acteurs demeure assez éclaté. Peu de communautés de recherche dédiées à l'agroécologie et à l'agrosanté existent, ou celles-ci restent trop éloignées des vecteurs du PIA, comme les sociétés d'accélération du transfert de technologies ou les instituts de transition énergétique. Ainsi, les appels d'offres en la matière sont résiduels et soulèvent peu de mobilisation, à l'image de l'initiative « santé-environnement » du concours d'innovation de l'ADEME.

Les causes de cette déconnexion apparente sont aussi à rechercher, semble-t-il, dans les modes d'intervention du PIA. Le fonctionnement par appels à projets de taille importante ne favorise pas la candidature de petits acteurs : les secteurs habitués à travailler en consortiums regroupant de gros partenaires s'en trouvent donc favorisés, je pense par exemple aux industries du transport. Marie Lebec, ma prédécesseure dans cet exercice, avait déjà relevé cet effet d'éviction des très petites et moyennes entreprises dans son rapport de l'an passé.

Par ailleurs, en matière d'alternatives aux produits phytosanitaires, le secteur agricole évolue plus par des changements de pratiques que par l'élaboration de nouveaux produits. Il faut donc penser à des moyens de les accompagner à l'aide du PIA, bien que celui-ci soit destiné initialement à soutenir des innovations réplicables et commercialisables.

Il est vrai, et c'est l'objet de la dernière partie de mon avis budgétaire, que le PIA gagnerait à être en partie réorienté au service des priorités politiques en matière d'agriculture et d'alimentation durables. Mais pour y arriver, repenser en partie ses outils semble nécessaire. En effet, les critères très exigeants de sélectivité des projets sur le plan économique ou financier peuvent constituer une barrière au fléchage du PIA vers les sujets phytosanitaires ou vers le recours au biocontrôle.

Le cas du marché des alternatives au chlordécone, dont les ravages aux Antilles ont été reconnus par le Président de la République, illustre mon propos. Ce marché offre trop peu de débouchés en termes de géographie et de produits pour lever des financements importants en partenariat avec de gros industriels, ce qui semble l'exclure de la logique de co-investissement en consortium qui est le standard du PIA. Nous nous orientons vers des solutions de niche, au spectre d'efficacité bien plus ciblé que les produits chimiques traditionnels. Leurs débouchés commerciaux en seront d'autant plus étroits en retour.

Ainsi, la quête de l'excellence économique ne doit pas être un obstacle au financement de projets d'intérêt général répondant clairement à une demande sociale ou à des enjeux de santé publique.

Ces dernières remarques sont une bonne transition vers mon point conclusif, à savoir des propositions concrètes pour accroître l'efficacité du PIA dans les secteurs environnementaux et agricoles.

Proposition n° 1 : profiter du mouvement de rapprochement des instituts pour la transition énergétique (ITE) et des instituts de recherche technologique (IRT) pour viser la création d'un organisme concentré sur le secteur agricole et agroalimentaire.

Proposition n° 2 : la fusion de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), deux organismes de recherche réputés pour leur expertise de recherche en matière agricole, doit être mise à profit pour réévaluer la politique de valorisation économique et de maturation technologique des innovations agricoles.

Proposition n° 3 : rendre la clause d'éco-conditionnalité plus ferme dans les appels à projets du PIA afin d'assurer son effectivité dans la sélection, tout en la concentrant sur les projets pour lesquels elle est pertinente.

Proposition n° 4 : mieux agréger l'évolution de la demande sociale et les sujets prioritaires de recherche par le vecteur financier du PIA, pour une innovation plus en phase avec les besoins de la société. Les domaines de l'agroécologie, de l'agroalimentaire et du secteur environnement-santé doivent être privilégiés à ce titre.

Proposition n° 5 : profiter de l'évaluation des dix ans du PIA pour examiner l'opportunité d'intégrer un critère de valeur ajoutée sociale au choix des projets, sans dénaturer pour autant leur contenu en innovation.

Vous l'aurez compris, ma préoccupation dans ce rapport pour avis du PIA 3 a été de centrer mon évaluation sur les sujets de société qui nous ont été fortement mobilisés lors de l'examen de la loi EGALIM. Les orientations du PIA 3 permettront, autant que faire se peut, d'alimenter et de rendre possible la mise en oeuvre de la loi, ainsi que son application jusque dans les changements permis par la science et l'innovation.

En espérant que mes dernières propositions visant à donner un nouveau souffle au PIA trouveront auprès de vous un écho favorable, je vous remercie, mes chers collègues, pour votre attention, et j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la présente mission.

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