Intervention de Stéphanie Do

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphanie Do, rapporteure pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai l'honneur, pour la deuxième année consécutive, d'être rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au logement.

Après une année 2018 marquée par le lancement d'une modernisation sans précédent de la politique du logement en France, l'année 2019 s'annonce comme celle de la poursuite et de la mise en oeuvre des transformations engagées. Partant du constat que la politique du logement ne parvenait pas à remplir les objectifs qui lui avaient été assignés, malgré une dépense publique de plus de 35 milliards d'euros par an, le Gouvernement et la majorité se sont engagés dans une stratégie combinant la libération des énergies pour construire plus, mieux et moins cher, la protection des plus fragiles et l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique. Cette stratégie a été déclinée dans deux textes majeurs et complémentaires : la loi de finances initiale pour 2018 et le projet de loi ELAN, qui a été définitivement adopté début octobre.

Le projet de loi de finances pour 2019 s'inscrit dans cette continuité. En 2019, comme en 2018, les programmes 109 et 135, consacrés au financement des aides personnelles au logement et aux différentes aides à la construction et à la rénovation contribueront significativement à l'effort de réduction des dépenses publiques. Les crédits de paiement (CP) de ces deux programmes sont en baisse respectivement de 8 % et de 7 % par rapport à 2018.

Ces baisses sont principalement dues à la modernisation des aides au logement qui, comme annoncé dès l'automne 2017, se poursuit en 2019. À partir de juin ou de juillet 2019, le montant des aides au logement ne sera plus calculé sur le fondement des revenus de l'allocataire de l'année « n – 2 » mais sur celui des revenus de l'année en cours. Cette réforme, attendue depuis tant d'années, permettra, d'une part, de rendre le montant de ces aides plus juste et plus en adéquation avec les changements de situation des allocataires et, d'autre part, de générer une économie budgétaire importante pour l'État. Elle est permise par la mise en oeuvre de la retenue à la source de l'impôt sur les revenus et par la création, à l'article 50 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'une base ressources regroupant les différentes déclarations de revenus. Le montant mensuel de l'aide personnalisée au logement (APL) sera ainsi actualisé tous les trimestres sur le fondement des revenus des quatre derniers trimestres glissants de l'allocataire.

La mise en oeuvre de cette réforme est un véritable défi technique pour la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Elle est également le début d'un grand changement stratégique visant à moderniser les systèmes d'information et le modèle de délivrance de toutes les aides sociales d'ici à 2021. Les nouveaux outils développés permettront de supprimer des démarches déclaratives lourdes et fréquentes pour les allocataires et de mieux lutter contre la fraude et le non-recours.

Le PLF pour 2019 prévoit une économie de 900 millions d'euros sur les crédits du programme 109 grâce à la mise en oeuvre de cette réforme. Ce gain pour les finances de l'État tient à deux facteurs. D'une part, du fait de la croissance économique et de l'inflation, les revenus des Français ont progressé en deux ans, ce qui conduira à une baisse globale du coût des APL. D'autre part, le système actuel de calcul des APL est asymétrique : les chutes brutales de revenus, comme lors d'une période de chômage, sont prises en compte, notamment grâce à un mécanisme d'abattement sur les revenus de l'année « n – 2 », mais pas les améliorations de revenus, comme le passage du statut d'étudiant à celui de jeune actif salarié. C'est la combinaison de ces deux facteurs qui explique le gain budgétaire engendré par la réforme, sans toutefois qu'il soit possible aujourd'hui de connaître le poids de chacun d'eux. La réforme fera inévitablement des gagnants et des perdants. Pour les jeunes passant du statut d'étudiant à celui de jeune actif, l'impact sera négatif, même si la prise en compte des quatre derniers trimestres amortira la baisse de l'aide. À l'inverse, pour les salariés passant d'un temps plein à un temps partiel, il sera positif.

Je considère que cette réforme est juste et relève du bon sens. Elle constitue un progrès car elle met fin au décalage actuel entre le montant des APL versées et les revenus de plus en plus instables des allocataires, qui ont fréquemment recours à des contrats à durée déterminée et subissent des variations de salaire. Sa mise en oeuvre devra toutefois être accompagnée d'un effort de pédagogie important auprès de tous les allocataires et des bailleurs percevant l'aide en tiers payant.

Les autres économies sur les aides au logement en 2019, de l'ordre de 350 millions d'euros, proviennent majoritairement des effets en année pleine de la loi de finances initiale pour 2018 et d'une mesure nouvelle, la revalorisation en 2019 de la plupart des prestations sociales au taux de 0,3 % au lieu du taux d'inflation.

En compensation de la mise en extinction progressive de l'APL accession, décidée l'année dernière, le Gouvernement propose cette année de créer un nouveau dispositif d'aide aux travaux des propriétaires modestes, doté d'une enveloppe budgétaire de 17 millions d'euros dans le programme 135. Ce nouveau dispositif est en cours d'élaboration et devrait concerner en priorité 1 000 opérations d'accession à la propriété nécessitant des travaux de réhabilitation lourde, en particulier dans les départements d'outre-mer. Je me félicite de cette mesure nouvelle, qui permet de cibler encore davantage les propriétaires modestes et s'inscrit dans le renforcement de la lutte contre l'habitat indigne prévu par la loi ELAN.

Dans mon rapport, j'ai souhaité cette année évaluer et suivre l'application des mesures décidées à l'occasion de la loi de finances initiale pour 2018, en particulier la mise en oeuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le secteur HLM, qui avait fait couler beaucoup d'encre.

À l'issue de négociations parfois âpres entre le Gouvernement et le mouvement HLM, l'article 126 de la loi de finances pour 2018 a procédé à une baisse concomitante des loyers et des APL dans le secteur HLM, via le mécanisme de la RLS. Conformément à l'accord intervenu entre le Gouvernement et une partie du monde HLM, l'effort financier demandé aux bailleurs sociaux devait atteindre 800 millions d'euros en 2018 et 2019, avant de s'élever à 1,5 milliard d'euros en 2020. Il devait être accompagné d'une série de mesures de compensation. Toutes les promesses en la matière ont été tenues.

La mise en oeuvre technique de la RLS a connu quelques difficultés au premier semestre, notamment avec la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, mais le mécanisme fonctionne désormais bien et aucun des acteurs que j'ai auditionnés, qu'ils soient bailleurs ou locataires, n'a rapporté d'incidents techniques depuis cet été ou de problème dans le calcul et l'imputation de la RLS sur les quittances de loyer. En outre, un mécanisme de lissage et de péréquation entre les bailleurs sociaux a été mis en place par l'intermédiaire de la modulation de la cotisation des bailleurs sociaux à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Ce mécanisme permet d'éviter que les bailleurs sociaux logeant une proportion importante de locataires modestes soient plus affectés que les autres alors même qu'ils remplissent mieux la mission sociale qui leur est assignée. Tous les acteurs que j'ai auditionnés ont jugé que ce mécanisme était juste et fonctionnait bien.

Afin de compenser l'impact de la RLS sur l'autofinancement des bailleurs sociaux et donc sur leur capacité à investir dans la construction et la réhabilitation, le Gouvernement s'était engagé à mettre en place une série de mesures d'accompagnement. Celles-ci consistaient principalement à améliorer les conditions de financement des bailleurs sociaux auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour diminuer leurs charges financières. Je peux vous confirmer que toutes ces mesures sont aujourd'hui opérationnelles.

La mesure ayant eu l'impact le plus immédiat a été le gel du taux du livret A qui a dégagé un gain de trésorerie de 670 millions d'euros en 2018 pour les bailleurs sociaux, sous la forme d'intérêts financiers moins élevés. En outre, la Caisse des dépôts et consignations a proposé aux organismes de logement social un mécanisme d'allongement de leurs dettes contractées auprès d'elle : 360 organismes ont opté pour cet allongement, ce qui devrait leur permettre de gagner 350 millions d'euros par an en trésorerie sur les cinq prochaines années.

Une seconde catégorie de mesures concerne plus particulièrement des dispositifs de soutien à l'investissement dont l'objectif est de permettre aux organismes de logement social de maintenir un niveau élevé de construction et de réhabilitation de logements sociaux, malgré une baisse de leur autofinancement. Parmi ces mesures, celle qui a rencontré le plus grand succès est l'ouverture, sur trois ans, de 2 milliards d'euros de prêts de haut de bilan. Un appel à manifestations d'intérêt a été organisé en juin dernier pour une première tranche de 700 millions d'euros. Il a remporté un franc succès auprès des organismes HLM puisque 384 d'entre eux y ont souscrit en un mois seulement.

La plupart des acteurs du logement social redoutaient une forte baisse de la production de logements sociaux et une hausse du nombre d'organismes HLM en difficulté financière dès 2018 ; rien de tel n'a pour l'instant été constaté. D'après le ministère de la cohésion des territoires, le niveau des agréments de nouveaux logements sociaux en 2018 sera proche de celui de 2017 : 107 000 contre 113 000, soit une baisse de 5 % seulement. Par ailleurs, selon la CGLLS, seuls cinq ou six organismes devraient solliciter auprès d'elle la mise en place d'un protocole de redressement financier en 2018, contre dix en 2016 et 2017. Aucun décrochage de la production neuve et aucune explosion du nombre d'organismes en situation de défaillance financière n'est donc observé pour le moment. Je me félicite de ces éléments rassurants qui témoignent de la pertinence et de l'efficacité des mesures de compensation.

Toutefois, tous les acteurs que j'ai auditionnés estiment qu'il est encore trop tôt pour mesurer l'impact réel de la RLS sur les comptes des bailleurs sociaux. Aucune évaluation chiffrée précise n'est pour l'instant disponible et les premières données sur l'évolution de l'autofinancement des bailleurs ne devraient pas être connues avant le printemps 2019.

En outre, des craintes nombreuses s'expriment quant au doublement du montant de la RLS dès 2020, à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Toutes choses étant égales par ailleurs, un montant de RLS à 1,5 milliard d'euros représenterait une baisse de 7 % des recettes locatives des bailleurs et réduirait leur autofinancement à 2 % ou 3 % seulement. À un tel niveau moyen d'autofinancement, la construction de logements sociaux pourrait être affectée.

À moyen terme, seule une diminution des frais de fonctionnement des organismes HLM leur permettra d'absorber une augmentation de la RLS. C'est d'ailleurs le sens et l'objectif de la loi ELAN, qui prévoit une obligation de regroupement des bailleurs d'ici à 2021 afin de les inciter à mutualiser certaines fonctions support. Toutefois, les effets de ces regroupements en termes de mutualisation et de réduction des frais de fonctionnement ne se feront sans doute pas sentir avant 2021 ou 2022. Il en va de même pour la montée en puissance du volume des ventes HLM.

Dans ce contexte, j'estime qu'il est essentiel qu'une évaluation sérieuse de l'impact de la RLS sur la capacité d'autofinancement des bailleurs sociaux soit menée dès 2019 et que des projections chiffrées soient fournies sur l'impact d'un éventuel doublement de la RLS en 2020. Au vu de ces évaluations et des premiers effets des regroupements, le calendrier de la montée en puissance du dispositif de la RLS pourrait être réinterrogée à l'occasion du prochain projet de loi de finances.

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