Intervention de Nicolas Hulot

Séance en hémicycle du mardi 3 octobre 2017 à 15h00
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Présentation

Nicolas Hulot, ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je commencerai par saluer le travail du rapporteur de la commission du développement durable et de la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, dont les réflexions ont permis d'enrichir très utilement ce projet de loi en commission.

Je souhaite aussi remercier les présidents des deux commissions ainsi que l'ensemble des députés pour l'exigence et la qualité de nos échanges en commission, la semaine dernière. Malgré les oppositions légitimes qui se sont parfois manifestées, nous avons su dialoguer avec respect et intelligence. J'espère que nous saurons conserver, en séance publique, l'esprit de co-construction qui a animé nos débats.

C'est la première fois qu'il m'est donné de m'adresser à la représentation nationale. De manière très spontanée, j'avouerai que je le fais non pas du haut de mes certitudes, mais du haut de mes inquiétudes. Je crains en effet qu'ici et ailleurs nous n'en fassions pas suffisamment face à un enjeu qui conditionne tout ce qui est important à nos yeux. Je suis inquiet aussi – mais ce n'est qu'une inquiétude et nous la démentirons – à l'idée que nous trouvions, plutôt que de nous réunir sur un sujet aussi important, une nouvelle occasion de nous diviser.

De fait, le changement climatique nous impose – on peut peut-être s'en réjouir – de nous rassembler au-delà des barrières politiques, économiques, culturelles et sociales. Cet enjeu nous concerne tous : nous gagnerons ensemble, ou nous perdrons ensemble. Il n'existe pas d'autre possibilité : nous devons sceller, sur ce sujet, une cause commune.

C'est presque une litote, le changement climatique, de la même manière qu'il ne connaît pas de frontière géographique, ne peut supporter de clivages politiques. C'est la grande plaie du XXIe siècle, le dérapage d'une société industrielle qui a fait longtemps abstraction des limites de la planète, qui s'enferme dans un modèle ancien, obnubilée par le court terme.

Comme le rappelait l'économiste Bertrand de Jouvenel, « Nous n'habitons plus la même planète que nos aïeux : la leur était immense, la nôtre est petite. » Les événements du mois passé le montrent : notre pays, comme tant d'autres – personne n'y échappe, même si les impacts sont différents et parfois décalés dans le temps – , connaît déjà les prémices du chaos climatique, sous des formes visibles, parfois plus sournoises. La Caraïbe a payé un lourd tribut au désordre que nous avons parfois laissé s'installer.

Nous avons très peu de temps pour inverser la tendance. Je ne sais plus qui disait : « L'avenir de l'humanité reste indéterminé, parce qu'il dépend d'elle. » La bonne nouvelle est que notre avenir dépend encore de nous. Faisons en sorte de ne pas nous réveiller, un matin, devant des phénomènes dont l'ampleur nous dépasserait et auxquels nous ne pourrions plus faire face.

Il ne vous aura pas échappé que, cet été, alors que les événements climatiques se multipliaient, des rapports de la communauté scientifique ont montré que les chances de rester en dessous des 2 degrés Celsius étaient plus faibles que jamais. Je ne céderai pas au fatalisme, car je suis convaincu que les seules choses qui fassent défaut pour faire face aux enjeux climatiques, ce sont l'intelligence et la volonté collectives. Mais nous devons nous mettre en mouvement sans tarder : à moins d'une réaction rapide de la communauté internationale, l'avenir de la planète risque de se transformer en un mauvais film catastrophe. Je vous en supplie, ne soyons pas des spectateurs informés qui assisteraient, indifférents, à la gestation de leur propre tragédie.

L'emballement climatique conduira inévitablement à enfermer des centaines de millions de personnes dans la pauvreté. D'ores et déjà, et parfois pas si loin de nous, il ajoute de la souffrance à la souffrance, de l'injustice à l'injustice, de l'inégalité à l'inégalité. En accélérant la raréfaction des ressources aquatiques et halieutiques et des terres arables, il contribuera à amplifier les conflits et à accroître inexorablement les migrations, depuis des terres jadis nourricières, devenues progressivement, ou de manière soudaine, inhabitables. Sans vouloir faire de catastrophisme, et même si chacun en est convaincu, je rappellerai qu'aucun mur, aucune barrière ne peut résister à la soif de liberté – ou pire, à l'instinct de survie.

Nous n'avons pas choisi la voie du fatalisme. Nous avons encore les moyens d'éviter le pire. Cela suppose maintenant, au-delà des mots, de nous mettre en action de façon résolue. Nous entrons dans une phase décisive : demain se détermine aujourd'hui. Encore faut-il que la réponse soit à la hauteur des enjeux.

L'accord de Paris, auquel la France et la représentation nationale ont beaucoup contribué, est l'aboutissement d'un processus diplomatique qui tient presque du miracle. Il est surtout le début d'un processus, d'une transformation, d'une mutation. Il ouvre la voie à la mise en oeuvre des engagements que nous avons pris, mais surtout, il s'agit d'un serment, un serment universel que nous avons fait à nos enfants. En cela, il est bien plus qu'un accord juridiquement contraignant : nous ne pouvons en aucun cas spolier nos enfants.

Nous devons atteindre aussi vite que possible, et au plus tard au milieu de ce siècle, la neutralité carbone. Depuis la conférence de Paris, d'ailleurs, la France a rehaussé son ambition pour arriver à la neutralité carbone en 2050. Cela ne signifie non pas que nous n'émettrons plus de gaz à effet de serre à cette date – ce serait idéal, quoique irréaliste – , mais que nous n'en émettrons pas plus que ce que les écosystèmes peuvent absorber.

Pour employer une image que vous me pardonnerez, nous devons entamer une cure de désintoxication. Lorsque j'évoque l'effort que nous devons faire pour atteindre cet objectif, je vois les visages se détourner, tant l'exercice semble hors de portée. Les scientifiques sont formels : pour tenir l'objectif et éviter l'irréversibilité des phénomènes, il nous faut laisser 80 % des ressources fossiles dans le sous-sol.

Renoncer volontairement à exploiter des réserves d'énergie est un changement de paradigme. Mais c'est une forme de liberté dont nous pouvons nous emparer, en refusant de céder à cette addiction. C'est la condition indispensable, dont je comprends qu'elle puisse effrayer. Durant 150 ans, dans le monde dit « moderne », les énergies fossiles ont été une aide précieuse pour démultiplier les facultés. L'objectif, désormais, est de s'en affranchir.

Avec l'adoption du plan climat, la France a fait sien l'objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Ainsi, nous ferons en sorte de mettre fin à la production d'électricité à base de charbon d'ici à 2022, tout en proposant aux territoires et aux salariés concernés des contrats de transition.

C'est dans cet esprit que j'ai aussi proposé une série de mesures concernant directement les Français, pour les accompagner dans la transition, en ciblant en priorité les plus modestes.

Vous débattrez dans quelques semaines du projet de loi de finances, qui contient les mesures du paquet solidarité climatique, parmi lesquelles la prime à la conversion pour des véhicules moins polluants, afin que personne ne se retrouve dans une impasse, des primes pouvant aller jusqu'à 3 000 euros en faveur des ménages modestes qui veulent changer leur chaudière pour passer du fioul aux énergies renouvelables et un crédit d'impôt pour financer la rénovation de certains logements.

Toutes ces mesures sont cohérentes avec la loi de transition énergétique, qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique à 32 % d'ici à 2030, et de réduire de 30 % notre consommation d'énergies fossiles à la même date.

Certains, en commission, s'interrogeaient sur le sens de notre politique en craignant que nous n'augmentions nos exportations pour compenser l'arrêt, à terme, de l'exploitation des énergies fossiles sur notre territoire. Si tel était le cas, il y aurait en effet de quoi se poser des questions. Or, ce n'est pas l'un ou l'autre : c'est l'un et l'autre. Nous interdirons progressivement la recherche et l'exploitation des gisements d'hydrocarbures tout en réduisant notre consommation, ce qui nous permettra de limiter les exportations.

C'est aussi pour cette raison que nous avons annoncé la fin de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre d'ici à 2040, avec le soutien des constructeurs automobiles, qui y voient une chance unique de rupture technologique et d'innovation, à ma grande satisfaction.

Je le répète à ceux qui se demandaient, en commission, s'il ne serait pas préférable de continuer à exploiter les énergies fossiles chez nous, plutôt que d'en importer de l'autre bout du monde. Je l'ai dit : c'est l'un et l'autre.

Ces mesures permettront de libérer la France des énergies fossiles. Ce terme peut sembler excessif, mais il est juste, car nous deviendrons ainsi moins dépendants d'énergies que nous devons pour une bonne part importer. Puisque, à terme, la contrainte climatique nous oblige à accélérer la transition énergétique, le fait de savoir exploiter les énergies renouvelables qui se trouvent sur notre territoire – comme l'énergie éolienne, l'énergie solaire, l'énergie hydraulique et la biomasse énergie – nous rend plus autonomes et donc plus libres.

Dans mon esprit, la transition écologique et solidaire se construit autour de trois principes fondamentaux : la prévisibilité, la progressivité et l'irréversibilité. J'essaierai de rester fidèle à cette théorie dans tous les domaines que j'aurai en charge. Pour que la société accepte la mutation et y participe, il convient de ne pas brusquer les choses mais aussi d'empêcher le moindre changement dans les règles du jeu, car les conséquences peuvent en être très préjudiciables pour les acteurs économiques, comme nous avons pu le déplorer dans le domaine de l'énergie solaire.

Force est de constater que, pendant de nombreuses années, quelle que soit la majorité au pouvoir, nous avons trop souvent tergiversé, hésité, prétendu que l'on pouvait ignorer les alertes des scientifiques pour repousser au lendemain les décisions difficiles. C'est le cas de l'exploitation et de l'exploration des énergies fossiles – car ces sujets ne sont pas nouveaux.

Qu'il s'agisse du gaz ou du pétrole de schiste, de l'exploitation des hydrocarbures, en métropole ou en outre-mer, personne n'est allé jusqu'à aligner enfin notre droit avec nos objectifs de lutte contre le changement climatique. C'est l'objet de ce projet de loi.

Il a résulté de ce non-choix une situation intenable. Beaucoup de mes prédécesseurs auraient aimé pouvoir s'appuyer sur une loi de ce type pour sortir de l'ambiguïté qui entoure l'exploration des hydrocarbures en France. J'ai pu constater par moi-même qu'il était parfois impossible de refuser un permis, car l'État s'exposait alors à être condamné par la justice à de lourdes astreintes et pénalités.

Face à cette situation, nous avons décidé d'agir et de présenter ce projet de loi, qui traduit un engagement de la campagne présidentielle. L'État doit être responsable. Il ne peut plus promettre tout et son contraire, entretenir notre addiction aux énergies fossiles en délivrant des permis tout en assumant son rôle de chef de file dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ce n'est pas une question de courage ; c'est une question d'honnêteté et surtout de cohérence. Nous y travaillerons tous ensemble, car il est pour moi essentiel que nous adoptions une politique cohérente.

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