Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 31 octobre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Je concentrerai mon propos sur l'évolution des crédits pour 2019, sur les importants besoins, constatés, de l'institution judiciaire, qui ne trouvent pas ici de réponse, et sur les risques d'une réforme que votre projet de budget anticipe.

S'il y a augmentation des crédits, celle-ci reste néanmoins modeste. Si j'envisage les seuls crédits du programme 166 « Justice judiciaire » qui regroupe les crédits de la justice civile, de la justice pénale et de la justice commerciale, les crédits de paiement pour 2019, ceux qui seront limitativement payés, atteindront un peu moins de 3,5 milliards d'euros. En 2017, ils étaient de 3,315 milliards : cela représente, sur deux ans, une augmentation de 5 % ; si l'on tient compte de l'inflation, plus forte ces deux années, la hausse est ramenée à 1,7 %. Entre 2016 et 2017, les crédits de paiement de la mission avaient augmenté de 7 %.

Il y a donc un écart entre les annonces, parfois fondées, et les moyens effectifs qui seront disponibles pour mener une action d'ampleur changeant la justice tant pour les justiciables que pour ses collaborateurs.

Alors qu'une création de 6 500 emplois sur cinq ans a été annoncée aux syndicats de magistrats, seuls 584 postes reviendront aux services judiciaires, répartis en 400 emplois de magistrats et 184 emplois de fonctionnaires de greffe, soit moins de 10 % des créations.

Selon le très officiel tableau de bord de la justice dans l'Union européenne, établi par la Commission en 2018, l'Allemagne comptait près de deux fois et demi plus de magistrats professionnels pour 100 000 habitants que notre pays en 2016 : un peu moins de 25 pour 100 000 en Allemagne, contre 10,4 en France.

Notre organisation judiciaire est le résultat de décisions prises année après année, dont les gouvernements successifs ont chacun leur part de responsabilité.

Alors que la croissance sera peut-être au rendez-vous, des choix politiques ont été faits au bénéfice des plus aisés, qui privent l'État de précieuses ressources, lesquelles auraient pu bénéficier à notre justice.

Je note aussi que les créations de postes à venir sont gagées par des suppressions discutables dans d'autres secteurs comme celui de l'éducation.

Ce projet de budget, qui constitue un support, renvoie au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui sera prochainement discuté par notre assemblée.

Visant précisément les axes retenus par ce projet de loi – « simplification de la procédure civile », « simplification et renforcement de l'efficacité de la procédure pénale » – , le projet annuel de performances, qui ambitionne de réduire les flux entrants d'affaires à juger, au motif, parfois argumenté, de la simplification, aura des effets sur la gratuité de certains services réalisés pour l'instant par les juridictions.

Dans ces conditions, les crédits de la mission apparaissent en retrait par rapport aux ambitions exprimées et aux besoins affichés. Ce choix peut s'expliquer par le fait que ce budget prend acte des effets d'une désolidarisation, laquelle peut être utile mais ne doit pas se faire au détriment des plus modestes.

S'agissant du programme 101, qui regroupe les crédits alloués à l'aide juridictionnelle, au réseau judiciaire de proximité, à l'aide aux victimes d'infractions pénales ainsi qu'au soutien à la médiation familiale, les crédits de paiement sont en hausse de 16 % entre les exercices 2017 et 2019. La hausse des crédits d'intervention de l'aide juridictionnelle explique pour l'essentiel cette augmentation, à hauteur de 55,9 millions, entre les deux exercices.

J'ajoute qu'entre les exercices 2016 et 2017, ces crédits avaient augmenté, pour cette seule année, de 36 millions, soit une hausse de 10 %, avec une inflation plus faible.

Cette situation mérite d'autant plus d'attention que le projet de réforme de la justice, dont on peut comprendre certains attendus, risque de créer un besoin nouveau en termes d'accompagnement des justiciables.

Je note également que les crédits destinés au développement du réseau judiciaire de proximité baissent globalement sur les deux exercices dont cette majorité a eu la responsabilité, alors que les projets de budget pour 2016 et 2017 prévoyaient une hausse de 20 %.

En commission des lois, notre collègue Cécile Untermaier a par ailleurs relayé nos interrogations sur la situation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, chevilles ouvrières de la réinsertion, qui manquent de moyens, avec un taux d'encadrement très faible.

Elle a par ailleurs évoqué la situation des surveillants de prison, rappelant que les prisons en France souffraient de difficultés récurrentes. Elle a aussi noté que, si le projet de budget pour 2019 prévoit la création de 400 emplois, 2 500 postes seraient dès à présent vacants.

Pour toutes ces raisons, le projet de budget pour 2019 paraît en retrait par rapport aux besoins réels objectivés. De plus, il ne répond pas au sentiment diffus et persistant que notre justice reste une institution moins bien traitée que d'autres, et ce, alors que la réforme en cours d'examen porte en elle un risque d'exacerbation des inégalités d'accès au droit et à la justice.

Enfin, la justice est, au meilleur sens du terme, une entreprise de personnes et de personnels. Miser et investir sur les humains pour rendre plus humaine la justice au quotidien n'est ni un luxe ni un risque mais bien un investissement de la collectivité. Ce budget ne répondant pas à cette préoccupation, nous espérons que des évolutions seront apportées lors de l'examen des amendements. Nous jugerons alors si nous modifions notre vote, qui est actuellement défavorable.

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