Intervention de Jean-Marie Sermier

Séance en hémicycle du mardi 3 octobre 2017 à 15h00
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Sermier :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la présidente de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, comme vient de le dire Fabien Di Filippo, le quinquennat précédent a été marqué, dans le domaine de l'environnement, par des lois relevant d'une vision punitive de l'écologie. C'est un tort : il vaudrait mieux véhiculer, dans l'opinion publique, une image joyeuse de l'environnement. L'ensemble de la société a pris conscience de cet enjeu : nous devons nous montrer capables de prendre notre destin en main et d'accompagner le mouvement qui se dessine afin de laisser notre planète aux générations qui nous suivent dans un meilleur état qu'elle ne serait si nous ne faisions rien.

Certains pensaient qu'avec l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, nous irions vers plus de pragmatisme et de bon sens. Hélas, de ce point de vue, le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui représente une douche froide : on y retrouve l'écologie punitive, avec ces boulets que l'on attache aux chevilles de nos entreprises, contrairement à toutes leurs concurrentes internationales.

Monsieur le ministre d'État, tout le monde est d'accord avec le constat que vous avez dressé dans vos propos. Nous vous le disons une nouvelle fois : nous sommes tout à fait conscients du changement climatique, nous sommes conscients qu'il est d'origine anthropique et nous sommes également conscients que, pour préserver notre planète, il faut prendre des engagements.

Vous avez dit préférer la girafe ; mais, avec ce projet de loi, vous faites l'autruche ! Il n'est en rien comparable aux lois ayant suivi le Grenelle de l'environnement, que vous avez cité tout à l'heure, ni même à la loi relative à la transition énergétique. Vous ne pouvez donc pas dire, en conscience, que ses dispositions pourront, de près ou de loin, nous garantir contre les risques climatiques comme l'ouragan Irma ; ce n'est pas bien. Vous ne pouvez pas tirer argument de cet épisode pour justifier la nécessiter de supprimer, d'ici à 2040, l'exploitation d'une quantité d'hydrocarbures représentant 1 % de la consommation nationale ; ce n'est pas sérieux. Personne ici ne peut raisonnablement croire que ce texte aura un impact climatique décisif. Certes, le battement d'ailes d'un papillon à un endroit donné peut provoquer un ouragan à un autre endroit, et vous pouvez toujours considérer qu'une diminution de 1 % des exploitations d'hydrocarbures est un commencement. Il n'empêche que vous confondez tragiquement la production et la consommation.

On retrouve, aux articles 6 et 7 du texte, le risque de sur-transposition des directives européennes. On y retrouve aussi l'attitude pessimiste qui aboutit à figer les choses plutôt qu'à parier sur le progrès et l'innovation. Interdire l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures en France : voilà une idée simple et facile à vendre aux médias, que vous connaissez si bien !

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le texte ne s'embarrasse pas des subtilités qui sont pourtant nécessaires à une politique énergétique juste et équilibrée. C'est un projet de loi d'affichage, qui n'a été élaboré et rédigé qu'à des fins médiatiques : c'est de la communication pour la communication. La communication peut être nécessaire, monsieur le ministre d'État, et il ne fait pas de doute que nos concitoyens ont besoin qu'on leur rappelle régulièrement que le réchauffement climatique n'est pas un problème de spécialistes mais qu'il nous concerne tous.

À cet égard, vous avez eu raison de rappeler que ce sont probablement les plus fragiles, les plus pauvres qui en subiront les conséquences les plus graves. Je rappelle que les migrations dues au changement climatique ne sont pas pour 2040 : elles existent déjà aujourd'hui, et un certain nombre de territoires, notamment d'archipels, risquent de disparaître dans quelques années seulement.

Vous avez donc raison de communiquer sur ce thème, à condition que cette communication s'appuie sur un projet de loi fondateur, propre à changer réellement le cours des choses, et non à interdire pour interdire. C'est pourtant ce que vous avez choisi de faire, et tant pis si, au passage, cela met en péril des milliers d'emplois sur notre territoire, si cela creuse le déficit de la balance commerciale française, si cela augmente les émissions de gaz à effet de serre !

Mes chers collègues, le présent projet de loi représente d'abord un mauvais calcul pour l'écologie elle-même. Le Gouvernement aurait fait preuve d'audace et d'ambition s'il avait proposé un texte visant à réduire la consommation d'hydrocarbures. Il y a pourtant des choses à faire dans ce domaine. Pardonnez-moi de prendre pour exemple ma ville, Dole, dans le Jura : à l'occasion de la semaine de la mobilité, nous y avons mis en démonstration une navette autonome électrique ; il est évident que ce système répond à une attente et sera le transport de demain. Nous croyons aux véhicules économes en énergie, intelligents et connectés. Nous croyons à ceux qui fonctionnent à l'hydrogène. À ce propos, la pile à hydrogène pourrait avoir du succès dans nos territoires, mais en France elle n'avance pas, parce que la législation ne le permet pas suffisamment ; il faudrait légiférer de manière positive pour encourager ce genre de technologie.

Le gouvernement commet une affreuse confusion entre la production et la consommation d'hydrocarbures. La production nationale étant stoppée net et la consommation restant au même niveau, il nous faudra importer les 815 000 tonnes de pétrole, jusque-là produites sur notre sol. Or les pays auprès desquels nous nous fournirons n'ont probablement pas les mêmes exigences écologiques que nous pour l'extraction et le stockage des hydrocarbures. Disons-le simplement : leurs procédures de contrôle de leurs installations sont sans doute moins fiables que celles appliquées en France. De plus, il faut tenir compte, dans le bilan écologique, du coût du transport de ces hydrocarbures. On estime en effet qu'une tonne de pétrole produite en France émet en moyenne trois fois de moins de CO2 qu'une tonne de pétrole importée. C'est là la première faute de ce texte, son péché originel : il aboutira à augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons bien entendu l'objection que vous avez formulée tout à l'heure : notre consommation devrait baisser de 80 % à l'horizon 2040. Mais quand bien même elle diminuait effectivement de 80 %, nous aurions toujours besoin de 20 % de notre consommation actuelle d'hydrocarbures. Pourquoi alors nous priver du 1 % que nous extrayons de nos sous-sols ? C'est une idée assez drôle, en somme : parce que nous ne pouvons produire nous-même tous les hydrocarbures dont nous avons besoin, il nous faudrait supprimer la totalité de notre production !

Ce projet de loi, enfin, affaiblit une filière industrielle d'excellence internationalement reconnue. L'arrêt de la production nationale d'hydrocarbures mettra en difficulté les industries pétrolières et gazières, qui représentent 1 500 emplois directs et 4 000 emplois indirects, essentiellement localisés en Aquitaine et dans le bassin parisien, Julien Aubert l'a rappelé tout à l'heure.

Le manque à gagner en recettes fiscales pour les collectivités locales concernées est estimé à 20 millions d'euros, et, naturellement, aucune compensation financière de l'État n'est envisagée. De plus, ce projet de loi privera nos collectivités d'outre-mer d'un vrai potentiel de développement, en particulier la Guyane, qui a connu en mars dernier un important mouvement social, mettant en lumière ses difficultés économiques aigües.

Vous nous dites que les entreprises auront le temps de s'organiser puisque le renouvellement des concessions actuelles sera possible jusqu'en 2040. Mais soyez sans illusions ! Les entreprises qui détiennent un contrat de concession espéraient pouvoir le renouveler jusqu'à l'épuisement du gisement – et c'est bien légitime. Toutefois, avec cette date butoir de 2040, elles cesseront d'investir sur les sites et commenceront à organiser leur départ. Les difficultés en matière d'emploi vont commencer dès maintenant.

Monsieur le ministre d'État, quand on rencontre un élu local, il parle des chefs d'entreprise préoccupés par ce changement brutal de législation, des salariés inquiets par la fermeture annoncée de leur usine et de ceux qui se battent pour obtenir des compensations et ne pas laisser leur territoire à l'abandon. Vous avez dit tout à l'heure que la solidarité nationale devait jouer. Mais, pour qu'elle joue, il aurait fallu qu'elle soit inscrite dans le texte de loi : or elle ne l'est pas. Ces territoires ne pourront donc finalement faire jouer que la solidarité territoriale et nationale déjà en vigueur : on ne pourra que répartir un peu différemment l'existant ; ce n'est pas ce que les uns et les autres attendaient.

Non seulement le texte stoppe une activité industrielle mais il fige la situation pour l'avenir. En effet, il interdit totalement le principe d'une recherche expérimentale de gisements. Or, en raison des moyens considérables consacrés à la recherche et au développement par les grands groupes industriels, on peut raisonnablement penser que des progrès techniques déterminants seront accomplis, et qu'un jour ils permettront d'aboutir à des solutions respectueuses de l'environnement. Pardon de vous le dire : la loi du 13 juillet 2011, portée par le président Christian Jacob, était plus audacieuse que la vôtre puisqu'elle interdisait toute exploration de gaz de schiste en France par la fracturation hydraulique, mais laissait la possibilité de rouvrir la recherche au cas où des techniques alternatives irréprochables sur le plan écologique seraient mises au point. J'ajoute que la recherche d'hydrocarbures constitue une source de connaissance géologique, notamment des sous-sols de grande profondeur. L'exploration off-shore permet de mieux appréhender l'environnement marin ou les ressources sous-marines. La recherche sert donc la science et contribue également à des travaux pour développer de nouvelles filières durables. Il est dommage d'empêcher le progrès et l'innovation. D'ailleurs, quel mauvais signal pour une société que de ne pas avoir foi dans ses chercheurs et dans la science, c'est un élu de la ville où est né Pasteur qui vous le dit !

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