Intervention de Philippe Michel-Kleisbauer

Séance en hémicycle du vendredi 2 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Défense ; anciens combattants mémoire et liens avec la nation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Michel-Kleisbauer, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ils s'appelaient Monan Diop, Augustin Sadio, Goudiaby Bakary, Kondé Mamadou ou encore Seck Diégane. Ces noms sont ceux de soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais, exécutés en juin 1940 par la division SS Totenkopf de l'armée nazie, en route vers Lyon. Séparés des blancs, mitraillés, écrasés sous les chenilles des chars parce qu'ils étaient noirs, ces militaires sont tous morts pour la France. Leurs corps reposent dans la nécropole nationale du tata sénégalais de Chasselay, au nord de Lyon, où je me suis rendu il y a quelques semaines. Y sont rassemblés 194 corps de tirailleurs et ceux de deux légionnaires morts pour la France, incarnant avec force la phrase de Léopold Sédar Senghor qui orne le mémorial de l'armée noire de Fréjus : « Passant, ils sont tombés fraternellement unis pour que tu restes Français. »

De la division bleue et de ses glorieux combats de Bazeilles, dans les Ardennes, à la boue des tranchées de Verdun puis à la libération de la Corse et de la Provence, ceux qui composent l'armée noire ont joué un rôle essentiel dans la défense de la France. Dans quelques jours, le Président de la République, Emmanuel Macron, devrait se recueillir devant le monument aux héros de l'armée noire de Reims. Il nous faut collectivement mesurer l'importance d'un tel acte alors que, trop souvent, nous ne nous sommes pas montrés à la hauteur dans la commémoration du souvenir des tirailleurs. Ne voyez pas dans mes propos une quelconque forme de repentance. Il s'agit simplement de mettre en lumière un aspect parfois oublié de la mémoire nationale et de souligner l'importance de sa transmission. La transmission de la mémoire nationale, voilà, madame la ministre, chers collègues, ce dont je souhaite parler ce matin.

Car le projet de budget qui nous est soumis n'appelle aucune critique particulière, bien au contraire : élargissement du bénéfice de la carte du combattant aux militaires français déployés en Algérie entre 1962 et 1964, que nous avons tous voulu sur ces bancs et que vous, Geneviève Darrieussecq, avez obtenu ; revalorisation des expertises médicales réalisées pour l'instruction des dossiers de pension militaire d'invalidité ; mise en place d'un plan d'action en faveur des harkis et de leurs familles ; 35 millions d'euros afin de permettre à l'Institution nationale des Invalides d'être l'acteur que tout le monde attendait dans la prise en charge du syndrome post-traumatique ; enfin, un vrai post-rôle 4. Je n'oublie pas le monument dédié à la mémoire de nos morts en opérations extérieurs qui sera inauguré cette année. Les motifs de satisfaction sont donc nombreux. Le projet de loi de finances conforte les droits existants en matière de reconnaissance et de réparation, et traduit les décisions prises à l'issue de la vaste concertation que vous avez menée avec le monde combattant. Qu'il me soit d'ailleurs permis de souligner, madame la ministre, combien cette méthode a été appréciée.

C'est pourquoi il m'a paru important de me concentrer sur le défi de la transmission de la mémoire combattante. Les survivants des grands conflits du XXe siècle sont de moins en moins nombreux. Qu'en sera-t-il dans dix ans ? Les représentants des associations du monde combattant savent qu'il leur faudra trouver les moyens de conserver et de mettre en valeur leur patrimoine et leur mémoire.

Je suis assez favorable, pour ma part, à la constitution d'une maison commune qui abriterait toutes ces mémoires. J'emploie le pluriel à dessein car ce qu'il faut préserver, c'est bien la diversité de la mémoire combattante, reflet de la variété des engagements, des combats et des souffrances. Cette maison commune, certains de nos anciens l'appellent de leurs voeux. Sachons les accompagner dans ce mouvement : offices, fondations et associations, tous les fanions derrière un même drapeau.

Ensuite, afin d'affermir le lien entre la nation et son armée, il nous faut poursuivre la réfection des nécropoles nationales et la modernisation des hauts lieux de la mémoire nationale. Les nécropoles nationales accueillent essentiellement les corps de jeunes Français, des enfants de la France qui se sont sacrifiés pour elle. Face au sacrifice de la jeunesse, nul ne peut demeurer indifférent. Il ne faut pas oublier les musées des armées, y compris les musées d'arme, moins connus mais détenteurs de collections d'une richesse exceptionnelle. Ces lieux sont des relais essentiels pour transmettre la mémoire, sensibiliser nos concitoyens, notamment les plus jeunes, aux questions de défense et susciter bien des vocations.

Mémoire des conflits, jeunesse… Comment ne pas aborder l'impérieuse nécessité de conforter le vif intérêt des jeunes, de tous les jeunes, pour la mémoire ? Il y a là aussi un enjeu de cohésion nationale. Combien de ceux qui éprouvent parfois le sentiment de ne pas faire pleinement partie de la communauté nationale s'y rattachent instantanément en apprenant qu'un de leurs aïeux a versé un sang pas moins rouge que les autres pour la défendre ? Il y a là sans doute une piste de réflexion pour le futur service national universel.

Pour conclure, qu'il me soit permis de saluer les hauts représentants du monde combattant qui nous écoutent aujourd'hui. C'est aussi en leur nom que la commission de la défense nationale et des forces armées a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission et qu'elle entend redonner à la mémoire combattante son unique adresse : la France.

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