Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

Je suis bouleversée par vos propos, madame Dubois, et je vous en remercie.

Monsieur Testé, je siège au conseil d'administration de l'AFP, avec qui nous avons des correspondants communs ; nous nous heurtons donc aux mêmes difficultés, en termes de sécurité de nos journalistes sur le terrain. L'AFP et FMM ont déjà été endeuillés. Nous avons été frappés quatre fois, à RFI essentiellement. J'ai vécu le 2 novembre 2013 l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Nord-Mali. Pour tous ceux qui vivent ces drames, il y a un avant et un après. La sécurité n'est alors plus un mot, mais une question fondamentale.

Quand ces assassinats ont eu lieu, la société avait fraichement fusionné et il y avait des procédures différentes à RFI, à MCD, à France 24. Nous avons donc réalisé un gros travail de mise en commun et créé un poste de directeur de la sûreté, tenu aujourd'hui par un ancien colonel. Nous avons tout de suite mis en place une cartographie des zones et des risques, avec des couleurs. La difficulté est de ne pas rater le passage du vert au orange ou au rouge dans une zone, car nous pouvons alors avoir des journalistes sur place qui sont en danger, sans que nous ayons eu le temps de mettre en place des dispositifs de sécurité. Cette cartographie est mise à jour régulièrement, grâce notamment aux remontées d'information de nos journalistes et correspondants ; nous communiquons volontiers ces informations et cette cartographie aux autres médias. Ils savent que nous sommes les spécialistes de l'international, ils n'hésitent donc pas à nous demander conseil. Nous sommes très heureux de cette fraternité.

Nous avons également mis en place des procédures très strictes en fonction des couleurs. Ces procédures concernent, par exemple, le contenu de la trousse de secours, la façon de se loger, de recruter le guide… Tout est inscrit. Un reportage ne sera réalisé que si un certain nombre de points ont été validés en matière de sécurité. En effet, aucun reportage ne vaut une vie, même si le risque zéro n'existe pas.

Nous avons commencé par organiser des stages de formation aux métiers de journalistes et de techniciens en zones de danger. Ce stage est désormais dans le catalogue de l'INA et est donc ouvert à toute la presse. Durant cette formation, tout est passé en revue, même les agressions sexuelles et les traumatismes psychologiques, et nous avons donné aux grands reporters « qui n'ont peur de rien » l'occasion de dire que si, justement, parfois ils ont peur. Ils ont le droit ne pas être des super héros, de le dire et d'avoir besoin d'assistance psychologique.

Fabrice Fries est confronté aux mêmes problématiques que nous. Nous avons parfois mené des exfiltrations ensemble, comme au Burundi, où toute une famille a été sauvée, en collaboration avec l'AFP et l'ambassadeur. J'ai d'ailleurs invité des journalistes de l'AFP à venir à nos stages ; eux font plutôt des stages de l'armée.

Concernant les fausses nouvelles, je dirai un mot sur les observateurs, une signature de France 24 : il s'agit d'un réseau de plus de 5 000 personnes dans le monde, parlant différentes langues et qui nous alertent sur ce qu'elles voient – dans le monde et sur internet – en nous envoyant des photos, des films et des textes ; nous les validons – une sorte de label – comme des sources sûres. La rédaction de France 24 a développé énormément de méthodes pour débusquer les fausses informations et notamment pour lire les images et définir si elles sont ou non truquées. Nous avons mis en ligne des guides de décryptage. Nous le faisons avec Facebook et Google, mais nous serions encore plus performants si nous disposions de plus de ressources. Avec nos scores sur les réseaux sociaux, si la publicité suivait, nous aurions certainement moins de problèmes de financement.

S'agissant de la loi sur la manipulation de l'information, il faut la tester. Nous avions fait valoir le fait que, tout allant tellement vite avec le numérique, si un juge met 48 heures pour intervenir, les dégâts peuvent être énormes. Par ailleurs, le juge ne dispose pas de tous les éléments pour démontrer que l'information est fausse, et, si elle l'est, le fait de la mettre en exergue risque de lui donner un label de vérité. Cependant, s'il est nécessaire de dire que l'on n'est pas d'accord avec les infox qui mettent en péril nos démocraties. D'où l'importance de l'éducation aux médias. Les enfants doivent être armés, dès leur plus jeune âge, pour leur éviter d'être vulnérables ; nous ne pouvons pas mettre un gendarme derrière chaque infox. Le ministre de l'éducation nationale en est bien conscient et a inscrit dans les programmes l'éducation aux médias. FMM s'est engagée dans l'éducation aux médias et nous sommes prêts à dispenser des formations aux formateurs. Il faut en effet former les enseignants et les enfants. Nous souhaiterions même pouvoir recevoir davantage d'enseignants, car nous refusons des milliers de demandes faute de financement.

L'autre point important est le statut des « GAFAM ». Si nous continuons à prétendre qu'ils sont des hébergeurs et qu'ils se lavent les mains des contenus, nous aurons beau déployer autant d'efforts que nous voulons… Nous sommes des éditeurs, nous savons ce que cela veut dire et connaissons bien la 17e chambre correctionnelle – qui traite des délits de presse. Or, quand je suis amenée à me présenter devant cette chambre, ce n'est pas moi qui ai écrit l'article ou choisi son titre, mais je rends compte, je suis responsable, j'assume. C'est l'éditeur le responsable et non l'hébergeur ; tel est l'enjeu. C'est la raison pour laquelle il conviendrait de faire passer le statut des GAFAM d'hébergeurs à éditeurs.

Concernant la place du français, pour paraphraser Sacha Guitry, pour moi le français n'est jamais contre les autres langues, ou alors tout contre. De sorte que langues étrangères, multilinguismes, et francophonie, non seulement ne sont pas opposés mais vont de pair. Quand une personne ne parle pas le français, je lui parle dans sa langue. D'ailleurs, quand RFI diffuse en mandingue, elle connaît immédiatement une augmentation de 30 % dans les zones mandingophones parce que les personnes qui comprennent le mandingue écoutent ensuite le programme en français, étant aussi francophones. Quand, au Vietnam, nous diffusons en anglais, les autorités nous demandent le français. Quant au Cambodge, nous sommes passés à 12 heures de diffusion en khmer, les autorités nous ont donné une seconde fréquence pour diffuser 24 heures en français. Quand nous lançons l'espagnol en Amérique latine, l'Argentine nous programme sur la TNT où nous diffusons 18 heures en français.

Par ailleurs, le français peut être appris à partir de vingt langues étrangères, des langues référencées ; nous allons chercher les étrangers. De sorte que les langues étrangères contribuent à la francophonie et que cette dernière contribue à l'attractivité de notre pays. La langue française s'enrichit des autres langues.

En conférence de rédaction, quinze langues sont parlées et 66 nationalités sont représentées. Quand il se produit un événement – toujours douloureux – entre les Territoires palestiniens et Israël, par exemple, un débat s'engage entre les arabophones, les anglophones et les francophones. Ils peuvent ne pas être d'accord du tout, mais ce qui sera diffusé en arabe, en français et anglais, sur nos antennes, sera riche car tout le monde aura élargi son périmètre et modéré ses ardeurs. Nous avons beaucoup de chance d'être la tour de Babel d'Issy-les-Moulineaux !

Monsieur Garcia, vous me demandez quels types de sponsors chercher : je suis entièrement d'accord pour que vous nous donniez un coup de main ! J'ai parlé de sponsor parce que, cet été, un séminaire a été organisé et a réuni les ambassadeurs de France en Amérique latine, qui se sont fortement mobilisés sur le projet. L'ambassadeur de France en Argentine m'a invitée en décembre, après le G20, l'Argentine étant très prometteuse pour le soutien aux initiatives françaises. Alors un journal ne peut pas être sponsorisé, bien entendu, mais nous pourrions envisager des partenariats avec des entreprises latino-américaines, ou d'autres télévisions pour enrichir des programmes. Et après tout, un projet avec la Colombie peut aussi bénéficier de l'aide publique au développement, même si l'Afrique est prioritaire. Enfin, nous pouvons envisager des collaborations avec d'autres opérateurs français installés là-bas. À titre indicatif, pour passer à 8 heures de diffusion en espagnol, 500 000 euros seraient nécessaires – et environ le double pour 10 heures.

Concernant Franceinfo, nous avons innové avec, par exemple, la reprise en direct sur son antenne, en journée, d'une édition spéciale de France 24. En effet, quand nous couvrons un événement qui a été programmé, tel qu'une Assemblée générale de l'ONU, nous pouvons organiser une bascule en direct, France 24 ayant des caméras à l'étranger ; mais nous ne l'avions encore jamais fait. Nous avons aussi contribué, je vous l'ai dit, à la création de l'onglet numérique Vrai ou fake. Nous y trouvons Infos-Intox, les observateurs, les émissions de décryptage de RFI, des émissions de France 24 sur toutes les fake news européennes, etc.

La prochaine étape de la coopération avec les autres diffuseurs publics, c'est l'offre culturelle mais je ne peux rien vous dévoiler pour l'instant, puisque nous l'annoncerons au mois de novembre. FMM aura une signature internationale, mais nous parlerons aussi de la culture, en France, qui vient d'ailleurs.

Concernant la logistique, nous avons par exemple regroupé nos acheteurs pour qu'ils lancent des appels d'offres ensemble. Et s'agissant des cyber-attaques, nous avons un socle commun.

Madame Dumas, nous sommes diffusés dans les DROM et l'audience est très bonne. Par ailleurs, nous diffusons tous les jours, sur RFI, le journal des DROM ; nous sommes donc au courant de ce qui s'y passe. Nous avons accès aux sujets de France Ô, notre accord avec France Télévisions nous le permettant. Les journaux de France 24 reprennent l'actualité à travers des sujets de France Télévisions – nous n'avons pas de correspondants en métropole ni dans les DROM.

S'agissant de l'apprentissage de l'arabe, j'y suis bien évidemment favorable. Je rêverais de parler les quinze langues qui sont parlées dans nos rédactions ; chaque langue apporte une réalité différente. L'arabe est une grande langue, mieux nous la parlons mieux nous sommes armés pour contrer les balivernes répandues sur n'importe quel support. Aujourd'hui, pour apprendre l'arabe, nous disposons du meilleur support : Le Talisman brisé. Il s'agit d'une méthode élaborée intégralement avec MCD, avec laquelle on apprend le français à partir de l'arabe, et inversement. Une méthode d'apprentissage de langue n'est pas neutre – nous nous servons de la Déclaration des droits de l'homme pour apprendre le français ; apprendre l'arabe par une méthode laïque me semble nécessaire.

J'enrage car je ne peux pas recruter de journalistes arabophones français. Je suis obligée de les recruter dans des pays où ils ont appris l'arabe littéraire utilisé dans les médias. C'est bien aussi, mais nous gagnerions à avoir des jeunes Français maîtrisant l'arabe classique.

Quand MCD a été diffusée à Marseille, lorsqu'elle a été capitale européenne de la culture, en 2013, nous avons connu un grand succès. Sans avoir fait de publicité, notre notoriété a pris 20 % en six mois. Toutes les radios arabophones de France nous ont contactés. J'aimerais beaucoup que MCD soit diffusé sur la radio numérique terrestre (RNT), mais tout est une question de coût et d'arbitrage. Si nous mettons de l'argent sur ce projet, nous ne le mettons pas ailleurs ; alors quelle est notre mission principale ? Remarquez, la RNT ne coûte pas grand-chose et nos journalistes sont partant pour contribuer à l'apprentissage de l'arabe et pour se déplacer dans les classes.

Concernant la publicité, nous dépendons aujourd'hui de la régie France Télévisions Publicité. Nous avons lancé un appel d'offre pour France 24. Je ne peux pas vous en livrer le résultat, car notre conseil d'administration se tient demain et décidera. Mais, dans ce cadre, des perspectives intéressantes s'ouvrent. Même s'il existe des difficultés sur le numérique, le rapport de forces n'étant pas équilibré, nous avons de bons échanges avec les dirigeants de YouTube et de Facebook. Toutefois, nous ne pouvons pas perdre notre âme. Les contenus de marque, brand content en anglais, sont une nouvelle forme de publicité : cela signifie que le contenu d'une info est financé par une marque. C'est une pratique qui demande discussion. Nous devons donc l'étudier avec les journalistes, les rédactions, les directeurs de chaîne, car notre goodwill, notre valeur ajoutée à l'international, c'est notre crédibilité et celle-ci ne doit jamais être entamée – pas plus que notre indépendance. Nous prévoyons tout de même une augmentation de nos recettes publicitaires ; le COM prévoyait plus de 15 %, mais l'appel d'offres devrait nous permettre de faire mieux.

Madame Dubois, vous avez également rappelé le rôle civilisationnel de FMM. L'altérité est notre culture de groupe, du fait des 66 nationalités et des quinze langues parlées. Mais aussi parce que nous sommes présents dans des pays où, ce qui nous semble naturel ici, ne l'est pas du tout là-bas. De sorte que nous mesurons la valeur de vivre ici : la démocratie, la culture, le service public, les pompiers qui interviennent 24 heures sur 24… Nous avons une conscience plus forte que si nous vivions uniquement à l'intérieur de nos frontières. Je rêve que le Français regardent davantage d'actualités internationales pour mesurer à quel point il fait bon vivre en France. La France a un rôle majeur à jouer dans le « ressaisissement contemporain », évoqué par le Président de la République durant le Sommet de la francophonie. Face au populisme, à la politique américaine, à la multiplication des conflits, à la radicalisation, au terrorisme, un ressaisissement – sur nos valeurs – est nécessaire. Et la France a un rôle à jouer, car elle sait parler à tout le monde. L'émission Pas 2 quartier diffusée sur France 24 est un pied de nez à toute fatalité. Nous sommes accueillis à bras ouverts dans des quartiers abandonnés par la République et, nous dit-on, radicalisés. Nous avons développé un réseau dans toutes les banlieues de France, qui nous envoie des sujets. J'aimerais que l'on dise à la jeunesse de notre pays, y compris à celle des quartiers, que la France la prend dans ses bras. Je pense que nous en sommes capables et nous, nous aimerions bien le faire. Je vous recommande, À voix haute, un concours d'éloquence à Saint-Denis et à Nanterre. Une leçon de français ! Nos banlieues ont du talent !

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