Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

Monsieur Vignal, vous pouvez faire livrer le semi-remorque de roses au 80 rue Camille-Desmoulins, à Issy-les-Moulineaux ! (Sourires.)

S'agissant du sommet d'Erevan, nous ne prenons pas toujours la mesure, en France, de l'enjeu d'un sommet de la francophonie. Cette année, le sommet s'est tenu en Arménie, et c'est Mme Mushikiwabo, une Rwandaise, qui a été nommée secrétaire générale – vous voyez où je veux en venir. Un grand moment d'émotion. Parmi les 83 États membres de l'OIF, 14 sont membres de l'Union européenne. Or la francophonie ne se voit pas assez dans l'Union, peut-être conviendrait-il de le rappeler aux citoyens. L'OIF est vraiment un outil formidable et très important.

Bien entendu, nous souhaiterions en faire davantage, mais le budget de l'État est contraint. Cependant, toute une série d'actions que nous menons pourrait correspondre aux objectifs de l'APD, à l'instar de la BBC, et aujourd'hui, je ne vois pas quelle autre source financière pourrait nous être allouée.

Maintenant, il y a la question de la réforme de la redevance, au sujet de laquelle j'ai lu des propositions intéressantes dans le rapport de Mme Bergé. Il convient en effet de dépoussiérer cette ressource et de sanctuariser l'audiovisuel dans le cadre de cette redevance, en affirmant, par exemple que l'audiovisuel extérieur – FFM et TV5 Monde – représente 9,5 % de la redevance. Nous aurions ainsi une recette dynamique et pourrions faire beaucoup. L'autre ressource financière possible est, comme je viens de l'indiquer, l'APD – pour 2019 et les années à venir. Car nous ne pouvons rien lâcher. À l'international, si vous disparaissait une année, c'est fini, vous êtes remplacé. Avec ces financements supplémentaires, nous serions excellents, car nous sommes déjà très performants.

Madame Granjus, comment rester performants dans le numérique face à des communautés qui peuvent parfois dériver, être haineuses et même menacer nos journalistes ? Il n'y a pas trente-six solutions. Une de nos entreprises de sous-traitance intervient quand un pic de violence se produit, comme en 2015, quand certains de nos journalistes ont reçu des menaces en français et en arabe. Notre société prestataire, dans de pareilles situations, intervient et bloque cette déferlante de haine. Nous recrutons également des managers de communautés – nous en avions prévu dans le COM –, le service public ne pouvant pas se permettre de laisser passer des propos homophobes, racistes, misogynes… Malgré cela, nous sommes parfois débordés et de tels commentaires sont diffusés, car nous n'avons pas assez de monde pour tout filtrer. En outre, les spécialistes du numérique nous ont expliqué qu'en cas de diffamation, il ne fallait surtout pas supprimer la page, car ce serait interprété comme un refus de dialoguer. C'est donc très compliqué.

Je reviens à l'OIF et à l'accord de coopération que nous avons signé, car j'ai oublié de répondre à votre question, madame Charvier. S'agissant de la promotion de la langue française, c'est justement avec l'OIF que nous avons mis en place la méthode Le Talisman brisé pour apprendre le français. J'espère que la nouvelle secrétaire générale reconduira cette stratégie. S'agissant de l'innovation, nous formons avec l'OIF, chaque année, des jeunes blogueurs. Nous distribuons également un prix de l'innovation numérique pour les jeunes médias, avec Reporters sans frontières et l'OIF. Enfin, nous sommes, lors de ces sommets, particulièrement bichonnés, puisque nous avons droit, avec TV5 Monde, à des studios, à des laissez-passer et avons la possibilité de décrocher des interviews exclusives, contrairement à d'autres médias dont les journalistes sont obligés de courir un peu partout, caméra à l'épaule.

Concernant le peul, il est vrai qu'il s'agit d'une obsession ; pourquoi ? Parce que j'ai dû faire un choix, car nous souhaitions diffuser en mandingue et en peul, et que nous n'avons pas eu assez d'argent – 700 000 euros environ sont nécessaires pour une rédaction et une heure par jour de diffusion en peul. Lancer le mandingue a été un acte politique car nous avions conscience du déséquilibre que nous allions créer. En effectivement, les Peuls nous ont aussitôt sollicités. Je rappelle que la force Barkhane intervient dans la zone, et que les fake news existent aussi dans les langues africaines, tous comme les radios de propagande. Diffuser en peul était donc important, mais nous n'avions pas le financement. Toutefois, au premier semestre 2019, nous installerons à Dakar la rédaction pour le mandingue. Nous avons construit un studio qui nous permettrait d'accueillir le peul. Avec le CFI et l'AFD, nous sommes en train de développer un projet visant à diffuser deux magazines en peul de 26 minutes hebdomadaires. Certes, ce n'est pas assez, mais nous sommes au coeur de nos priorités. Nous allons former des jeunes et le studio que nous construisons servira aussi d'école pour l'éducation aux médias – numériques et linéaires.

En ce qui concerne la liberté de la presse, nous sommes présents dans des zones où elle n'est pas vraiment respectée ; nous avons, par exemple, dû exfiltrer des correspondants, et l'un d'eux a fait deux ans et demi de prison au Cameroun. Certains pays ont du mal, car nous sommes très puissants. Nous avons donc une responsabilité très lourde, puisque, quand nous livrons une information, pour des millions de gens dans le monde, c'est la vérité, notamment au Maghreb et en Afrique. Alors forcément, des entraves à la liberté de la presse se mettent en place, mais nous les connaissons depuis longtemps.

S'agissant de la gouvernance de l'audiovisuel public et de la création d'un holding, j'estime que les structures doivent s'adapter aux missions et non l'inverse. Dans ce cadre, j'ai toujours pu constater que, quand une même entité avait une double mission, nationale et internationale, l'international n'était pas sa principale préoccupation. Votre commission est un contre-exemple et je m'en réjouis. À ma sortie de l'École nationale d'administration, la première chose que j'ai eu à faire a été de rédiger un décret relatif à la défilialisation de RFI par rapport à Radio France. Pourquoi ? Parce que les présidents successifs de RFI estimaient que leur budget était une résultante de celui de Radio France. Ma crainte est donc que l'international passe à la trappe. Par ailleurs, FMM est une société qui a déjà fusionnée la radio et télévision et signé un accord unique d'entreprise. Or une holding finit toujours par une fusion ; regardez France Télévisions et FMM. Nous ne souhaitons pas recommencer.

Concernant notre collaboration avec Arte, je vous l'ai dit, nous avons réalisé des onglets croisés sur nos sites, ce qui est intéressant car ils nous permettent de toucher des publics qui ne sont pas les nôtres. Si Arte a d'autres projets, nous devons, de notre côté, arriver à absorber les économies. Bien entendu, nous serions très heureux de collaborer à nouveau avec cette chaîne mais, vous le savez, nous produisons déjà beaucoup de programmes communs.

S'agissant des correspondants, nous ne tiendrions pas sans Radio France. Nous représentons, pour les correspondants multicartes, environ 60 % de leurs revenus ; de sorte que les correspondants étrangers, sans nous, et sans les piges – environ 20 % – qu'ils réalisent pour Radio France, ne pourraient pas vivre de leur métier. Notre réseau serait alors moins fort et moins compétent. La complémentarité Radio France-RFI est vitale.

Concernant notre baisse de notoriété, il faut savoir de quoi nous parlons. Quand nous passons de 100 % à 98 % de notoriété, il est très facile, l'année suivante, de repasser à 100 %. La différence est très fine. N'oubliez pas que nous avons été fermés, une partie de l'année 2017, en RDC– 85 millions d'habitants ! Mais je ne suis pas très inquiète concernant les zones traditionnelles d'influence, même si, je vous l'ai dit, nous devons profiter de notre présence et du poids que nous pesons pour continuer à creuser le sillon. Nous ne devons surtout pas relâcher nos efforts, puisque la majorité des mesures que je propose concerne l'Afrique.

Quant à notre avenir, nous devons distinguer les offres. L'avenir n'est pas le même pour une chaîne généraliste, une chaîne d'info ou une chaîne sportive. Des sujets se traitent en direct et continueront à être regardés sur un grand écran. D'autres sujets, plus patrimoniaux, seront regardés de plus en plus en délinéarisé « quand je veux, où je veux ». C'est avec cela que nous devons jongler. Cependant, même si le phénomène est mondial, il ne se développe pas avec la même rapidité en Afrique – où à certains endroits nous diffusons toujours en ondes courtes, car il n'y a pas d'électricité – qu'en Occident. Notre difficulté est bien de gérer un monde pluriel, avec des médias qui s'adaptent dans les différents pays.

Madame Petit, nous pouvons reprendre les programmes de France Télévisions, et non pas seulement de France Ô.

Pour contrer les cyber-attaques, nous avons créé une cellule composée de quatre personnes. Bien entendu, des mesures de protection, telles que les pare-feu, avaient été mises en place bien avant l'attaque subie TV5 Monde, qui constituait un véritable acte de guerre destiné à tuer la chaîne. Nous savons qu'une chaîne d'information court un risque plus important qu'une chaîne généraliste ou culturelle. Nous avons également des équipes – en mutualisation avec les autres sociétés de l'audiovisuel public – qui surveillent et contrôlent que des comptes secrets n'essaient pas de remonter vers les unités centrales. Elles repoussent continuellement de tentatives d'intrusion.

Concernant l'éducation aux médias, elle fait partie des chantiers du service public, c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas entrés en relation avec le ministre de l'Éducation nationale. Il s'agit d'un chantier commun avec Arte et France Télévisions, qui disposent de moyens importants pour l'éducation. Nous sommes, par ailleurs, très présents dans le CLEMI. Mais pour l'apprentissage des langues étrangères, nous pourrions en effet en parler avec le ministre. Nous sommes également très engagés dans la semaine des médias à l'école et nous aimerions accueillir davantage d'enseignants. Nous serions disposés à participer à une telle journée une fois par trimestre, en recevant non pas quinze, mais vingt-cinq enseignants.

Enfin, monsieur Raphan, vous me demandez, très directement, combien il nous manque. Je n'ose même pas prononcer le chiffre. Je puis juste vous dire que, lorsque j'ai chiffré mon plan stratégique pour le présenter en mars au CSA, j'avais inscrit « + 25 % ». Avec 15 millions d'euros supplémentaires à l'horizon de 2022, nous pourrions réaliser beaucoup de choses. Mais attention, je ne veux surtout pas que ce soit mal interprété : je ne veux rien enlever aux autres ! Je défends le service public dans son ensemble et je connais les contraintes. Je dis juste que si nous trouvons des relais de financement pour un montant d'une quinzaine de millions d'euros, ce serait très favorable à l'influence de la France dans le monde.

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