Intervention de Olivier Marleix

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, rapporteur pour avis :

Je suis heureux d'être le premier, monsieur le ministre, à vous interroger quelques jours après votre prise de fonctions. J'espère que le marathon budgétaire qui vous attend aujourd'hui ne vous découragera pas de revenir devant la commission des Lois.

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » constitue le cadre budgétaire des moyens dont le ministère de l'Intérieur dispose pour assurer trois de ses responsabilités : garantir l'exercice des droits des citoyens, assurer la présence et la continuité de l'État et mettre en oeuvre des politiques publiques sur l'ensemble du territoire. Cette mission se décline en trois programmes : le programme 307 « Administration territoriale », le programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » et le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ».

Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit qu'y seront consacrés environ 2,8 milliards d'euros, montant légèrement supérieur à celui inscrit en loi de finances initiale pour 2018, avec une augmentation de 3 % hors fonds de concours mais cette variation s'explique essentiellement par la mobilisation des ressources consacrées à l'organisation des élections européennes au mois de mai prochain.

Avec près de 33 000 équivalents temps plein travaillé (ETPT), les effectifs sur la mission sont en légère baisse, de 1 %, ce qui correspond, à périmètre constant, à la poursuite du processus d'adaptation engagé en 2016, avec deux objectifs, souvent contradictoires : assurer la pérennité de la présence de l'État sur l'ensemble du territoire et contribuer au redressement des finances publiques.

En tant que rapporteur pour avis, je m'étais attardé l'année dernière, parmi les moyens du programme 307, sur deux enjeux. Le premier est la mise en oeuvre du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG). Cette mise en oeuvre est, à mes yeux, marquée par deux défauts. D'abord, ce qu'on a appelé à juste titre le « bug des cartes grises » a conduit certains usagers à attendre pendant parfois plusieurs mois ce document. La crise est, je crois, derrière nous, monsieur le ministre, mais je déplore que le Gouvernement se soit contenté d'une phase d'expérimentation aussi courte – de deux mois seulement – et soit passé à la phase de généralisation, malgré le fait que des dysfonctionnements évidents avaient été observés. Cela s'est produit aux dépens des usagers, qui ont parfois été verbalisés pour une faute revenant à l'administration.

J'avais également regretté la fermeture des guichets d'accueil des préfectures aux Français. Les seuls usagers encore admis physiquement dans les préfectures et échappant au tout dématérialisé sont, de façon pour le moins paradoxale, les étrangers. Cette mission continue d'absorber la totalité des moyens nouveaux que vous arrivez à dégager grâce à des réductions massives d'emplois par ailleurs. Si je regrette toujours ce choix pour le moins contestable, je me réjouis que votre prédécesseur ait mis en place une sorte de service minimum d'accompagnement, avec 313 points d'accueil numériques, essentiellement dans les préfectures. Vous avez parlé tout à l'heure de proximité, monsieur le ministre. J'aurais aimé que ces points d'accueil numériques puissent exister aussi dans les sous-préfectures qui n'en sont pas dotées actuellement.

L'autre sujet qui m'avait alerté est celui des moyens « peau de chagrin » consacrés au contrôle de légalité. Cette observation demeure. Je veux redire très solennellement, monsieur le ministre, mon inquiétude quant à la portion très congrue consacrée à ces moyens et aux conséquences qui ne manqueront pas d'en résulter. Le décalage entre les lois de moralisation, de transparence et de confiance qui s'empilent au Parlement et l'absence de tout contrôle sur le terrain risquent de finir par se voir. Un seul exemple : la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 fait obligation, en son article 8, aux communes de plus de 10 000 habitants, aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont elles sont membres, aux départements et aux régions de mettre en place un dispositif de recueil des alertes pour prévenir la corruption. Cela devait être fait au 1er janvier 2018. Or, selon l'Agence française anticorruption, 8,7 % seulement des communes et 5,1 % des EPCI ont répondu à cette obligation. Malgré cette absence massive d'application de la loi, je n'ai pas connaissance que les préfets aient effectué des rappels à la loi auprès des collectivités locales oublieuses. Je pense que notre démocratie n'a pas les moyens de s'offrir des scandales de corruption ou de manquement à la probité dans notre vie politique locale. Il est pour le moins regrettable que les obligations imposées par la loi – par une majorité à laquelle, d'ailleurs, vous apparteniez, monsieur le ministre – restent lettre morte. Une fois encore, l'application de la loi sur le territoire est la première des missions du contrôle de légalité. Vos services, monsieur le ministre, doivent se sentir soutenus et forts dans ces missions. De ce point de vue, j'accueille avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction votre volonté de sortir de la « tout-régionalisation » et de redonner des moyens à l'échelon départemental – ce qui me semble une nécessité absolue.

Cette année, je me suis davantage intéressé au programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative ».

S'agissant de la vie cultuelle, tout d'abord, il est regrettable que ce budget ne marque plus aucune ambition. Des initiatives avaient été prises en 2015-2016 par Manuel Valls, notamment en matière de formation civique des imams. Aujourd'hui, les crédits et les initiatives ont un encéphalogramme plat. Vous me direz que le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), dont les crédits sont inscrits sur le programme 216, contribue aussi aux moyens de lutte contre la radicalisation mais globalement, les crédits de ce fonds diminuent après avoir connu, en 2018 déjà, une baisse très lourde. J'ai d'ailleurs aussi un doute quant à la déconcentration des crédits du FIPD et à la capacité réelle des préfets à trouver des interlocuteurs fiables et pertinents au niveau local. Bref, votre prédécesseur vous a laissé un testament alarmiste sur la situation très dégradée dans les quartiers. Je comprends qu'il ait pu considérer que les moyens dont il disposait dans ce projet de loi de finances n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu.

Dernier sujet au sein de ce programme 232 : les moyens consacrés au contrôle des comptes de campagne et au financement des partis politiques.

L'année 2018 a été, pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), celle de toutes les polémiques, qu'il s'agisse de l'enquête ouverte par le parquet de Paris sur la campagne de M. Mélenchon, des révélations de ristournes dont aurait bénéficié le candidat Emmanuel Macron jusqu'à la rémunération du président de la CNCCFP, François Logerot, qui a été à tort mis en cause.

Je souhaiterais que le ministre nous donne son avis sur les critiques qui ont pu être adressées à la CNCCFP, l'un de ses rapporteurs ayant démissionné bruyamment en novembre 2017. Quel regard portez-vous sur ces dysfonctionnements ? Je voudrais aussi, monsieur le ministre, que vous nous donniez votre sentiment sur les moyens dont dispose cette commission : 51 ETPT, c'est parfois trop, notamment les années où il n'y a pas de scrutin ou un seul scrutin comme cette année, mais ce peut être très insuffisant les années où il y a, comme en 2017, autant de scrutins à la fois – présidentiel, législatif et sénatorial.

Enfin, s'agissant des comptes de campagne, la commission a aussi constaté, à l'occasion de l'élection présidentielle en 2017, des dépassements des montants de dons des personnes physiques autorisés par la loi. Ces montants sont, je le rappelle, de 4 600 euros par campagne électorale. Vingt-quatre dons, dans le cadre de la campagne de M. Macron, dépassaient ce plafond. La commission note aussi dans son rapport que les partis politiques, par la contribution qu'ils apportent aux comptes de campagne, sont aussi un moyen de collecter des dons de personnes physiques, cette fois à hauteur de 7 500 euros. Ainsi, dans le cas de la campagne de M. Macron, au-delà du million d'euros de dons affiché dans le compte de campagne, il faut ajouter 5 millions d'euros de dons effectués au parti En Marche !, créé pour la campagne. Ce chiffre concerne la seule année 2016 puisque nous n'avons pas encore connaissance des dons récoltés au cours de l'année 2017. Le président Logerot, lorsque je l'ai auditionné, a souligné que, s'agissant de la campagne de M. Macron, 90 % des dons avaient bénéficié au parti, qui les avait transférés. Cette pratique ne contredit pas expressément la loi mais use et abuse d'une forme de syllogisme juridique en vertu duquel puisque les partis politiques peuvent concourir aux dépenses des campagnes électorales, les dons faits aux partis politiques peuvent aussi concourir à ces campagnes. Cela va à l'encontre si ce n'est de la lettre de la loi, du moins de son esprit. Je rappelle que tous les dons sont remboursés à hauteur de 66 % par le contribuable. Il est précieux, dans ce cas-là, d'être le candidat des gens qui ont de la trésorerie… Ne vous semblerait-il pas nécessaire, monsieur le ministre, d'en revenir à une pratique plus conforme à l'esprit de la loi ? Ne serait-ce pas plus équitable ?

Enfin, l'aide publique aux partis représente 63 millions d'euros chaque année, financés sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de la République » (AGTE). S'agissant en particulier de la première fraction de cette aide publique, les dispositions d'adaptation des seuils prévues à l'article 3 du projet de loi ordinaire pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ne me semble pas tenir compte de l'introduction d'une dose de proportionnelle pour l'élection des députés. En clair, seules les voix qui seront acquises au scrutin majoritaire continueront d'ouvrir droit au financement au titre de la première fraction et pas les voix acquises au scrutin proportionnel. Or, il me semble que les petits partis auront plus de facilité à présenter une liste nationale que des candidats dans chaque circonscription : pouvez-vous nous éclairer sur ce choix du Gouvernement ?

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