Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

De nombreuses questions ont été posées sur ce sujet d'importance, qui nous rassemble tous.

Je vais commencer par les questions de M. Fauvergue sur la nécessité d'une approche mutualisée entre police et gendarmerie en matière de police technique et scientifique. Cela ne doit pas faire de débat. Ce doit être une exigence.

Nous avons demandé que soit poursuivi le processus de mutualisation. Des actions ont déjà été engagées, comme la rationalisation de l'implantation des plateaux techniques de révélation des traces papillaires, avec l'objectif d'une centaine de plateaux pour les deux forces, comme le préconisait d'ailleurs la Cour des comptes, ou la recherche de l'interopérabilité des deux forces et le partage des savoir-faire et des formations. Des spécialisations techniques pourront être envisagées pour les activités à faible sollicitation. Je ne vais pas les citer, mais vous les connaissez, et il est nécessaire qu'on travaille sur cette interopérabilité.

La feuille de route conjointe à la police et à la gendarmerie nationales a été élaborée et signée par les deux directeurs généraux ici présents en mars 2018, pour amorcer cette convergence souhaitée.

La convergence s'organise, elle progresse pas à pas, et je maintiendrai la pression pour y parvenir. Mais je crois avant tout au rapprochement des pratiques et des cultures professionnelles, ainsi qu'à la mutualisation des capacités qui me semblent produire des effets plus durables qu'une simple réorganisation des services. Et je sais pouvoir compter sur celles et ceux qui m'entourent pour pouvoir avancer en ce sens.

S'agissant des transferts de services spécialisés, je dirai que l'exigence de résultats probants en matière de sécurité sur la plaque parisienne est forte. Elle est essentielle, elle est demandée par tous et c'est légitime, en raison de la densité de population dans cette zone, mais aussi parce que celle-ci abrite le coeur des institutions de notre République. La DGPN, la DGSI, le préfet de police y concourent, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur.

Est-ce qu'une banalisation, au sens de l'organisation actuelle, rendrait la préfecture de police plus efficace et plus efficiente, que ce soit en matière de sécurité ou d'ordre public, de police judiciaire, de renseignement ou de lutte contre l'immigration irrégulière ? Je vous le dis sans gêne : la question mérite d'être posée. C'est un chantier que nous allons ouvrir avec Laurent Nuñez, sans a priori, mais aussi sans parti pris de normalisation. La normalisation n'est pas un objectif en soi, mais nous ouvrons ce chantier et nous allons avancer en la matière. Nous reviendrons pour échanger, si Mme la présidente nous y invite, au moment où nos réflexions seront un peu plus affinées.

Faut-il un commandement unique des forces d'intervention ? Après les attentats terroristes de l'année 2015, quatre nouvelles directions ont été données, avec le Schéma national d'intervention des forces de sécurité : une meilleure couverture du territoire pour réduire les délais d'intervention ; la création des antennes du RAID et du GIGN en métropole comme outre-mer ; l'optimisation des moyens à travers le recensement et l'évaluation des capacités rares dont dispose chacune des entités d'intervention spécialisée ; l'adoption d'une procédure d'urgence qui autorise l'unité disponible la plus proche à intervenir hors de sa zone de compétence en cas de péril immédiat, et en cas de crise majeure, la mise en place d'un commandement des opérations d'intervention spécialisée.

Comment faut-il faire évoluer ce dispositif ? Là encore, je suis par principe favorable à tout ce qui pourra être fait pour améliorer la coopération opérationnelle entre nos forces d'intervention et, in fine, pour la sécurité des Français. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux différentes directions générales de ne pas hésiter à me faire des propositions sur les adaptations qu'elles jugeraient pertinent d'apporter à notre dispositif.

L'arrivée d'un nouveau ministre doit permettre une mise à plat, pour évaluer, décider, changer. Mais je ne souhaite pas changer pour changer parce qu'il y aurait un nouveau ministre. Je ne pratique pas cette culture assez classique, qui amène le ministre à considérer que son successeur est un usurpateur et, accessoirement, son prédécesseur un incompétent. Je pense qu'il faut nous inscrire dans la logique de la force du ministère de l'Intérieur qui, bien évidemment, dépasse la qualité de ceux qui le dirigent comme ministres. J'examinerai, le cas échéant, dans un double souci d'efficacité et de pragmatisme, chacune des propositions.

Plusieurs d'entre vous ont abordé la question, évidemment majeure, des tâches indues. Il faut réduire celles-ci pour donner des capacités opérationnelles aux forces de sécurité. C'est un axe fort de la police de sécurité du quotidien.

Certaines missions « périphériques » – sans jugement de valeur – ont déjà été réduites.

Les gardes statiques des policiers ont été considérablement réduites sous le ressort de la DGPN. Plus aucun tribunal de grande instance ne fait l'objet d'une garde statique. Seules vingt-quatre préfectures font encore l'objet d'une présence policière, et les travaux engagés par le ministère permettront de réduire encore ce format dans les mois à venir. Il en est de même pour les extractions judiciaires ; une instruction de la garde des Sceaux pose un certain nombre de principes en la matière.

Nous devrons réévaluer cette réalité en 2019, et ne pas hésiter à chercher les meilleures solutions pour limiter les tâches indues.

Vous avez pu noter que j'ai proposé que l'on mette fin à la sécurisation à vie des anciens ministres de l'Intérieur. Cela s'appliquera évidemment à celui qui vous parle à l'instant présent, sous réserve d'une évaluation du risque pour chacune et chacun d'entre eux dans la mesure où ce risque peut perdurer au-delà de cinq ans. Je propose qu'il soit mis fin à cet avantage qui accompagne le ministre de l'Intérieur tout au long de sa vie, même quand il ne l'a été que quelques semaines. Je pense que cela fait partie des tâches indues, et qu'il est essentiel de reconcentrer nos moyens sur la sécurité des Français.

Nous allons poursuivre en ce sens sur un certain nombre de points. On a parlé des procurations ; je pense que le dispositif de procuration électorale en ligne va alléger les forces de sécurité. Nous devons relancer notre réflexion avec le ministère de la santé, pour favoriser le déplacement des médecins dans les locaux de police et de gendarmerie plutôt que d'organiser des transports. Autant de sujets sur lesquels le chantier est engagé. Mais il faut rester vigilant, et je comprends parfaitement le sens de vos questions. Nous devrons effectivement, monsieur Fauvergue, nous rencontrer prochainement pour parler de la question des polices municipales et autres acteurs de la sécurité, soulevée dans le rapport que vous avez rédigé avec Mme Alice Thourot.

Vous avez évoqué la constitution de centres départementaux communs de la police et de la gendarmerie dans la gestion des appels. Je pense qu'il est essentiel que le ministère de l'Intérieur fasse d'abord avancer sa réflexion dans son propre périmètre – c'est la consigne que j'ai passée – pour poursuivre les travaux déjà engagés. Mais il faut aller au-delà et réfléchir à inclure le SAMU parce que l'on sait bien que l'équilibre de la répartition se détermine au moment de l'appel et que, de ce fait, il faut être particulièrement attentif. Un rapport d'inspection IGA-IGAS, qui traite de cette question, et notamment de l'articulation entre les SDIS et les SAMU, sera prochainement rendu. On compte dix-neuf plateformes communes 15-18, dont deux virtuelles, qui sont déjà en place, et sept autres en projet.

Je suis très favorable à cette démarche de mutualisation. Le ministère de l'Intérieur n'exclut pas de l'approfondir d'abord dans son propre périmètre et, pourquoi pas, dans un périmètre plus large. Mais attention aux fausses bonnes idées, qui fragiliseraient l'ensemble du système.

Madame Hai, si vous m'y autorisez, je vous enverrai par écrit quelques éléments plus précis sur les mesures prises pour assurer le renforcement des taux d'encadrement et conforter la filière d'investigation. Mais sachez d'ores et déjà que le renforcement des taux d'encadrement dans la police nationale est au coeur de la feuille de route sociale, que la structuration se fait autour du recrutement des commissaires, des officiers, des gradés et des gardiens, et qu'il est essentiel que nous rénovions en profondeur la structure de l'encadrement – pour répondre à votre préoccupation. Quelques mesures ont été prises, nous avancerons aussi sur ce sujet.

De la même façon, la filière d'investigation est de celles dont la feuille de route sociale a permis la valorisation. Je pense que cela va dans le bon sens.

Sur l'allocation spécifique d'ancienneté (ASA), le Conseil d'État a confirmé l'interprétation du ministère : la prescription quadriennale s'applique, et nous aurons provisionné 13 millions d'euros pour d'éventuels contentieux.

M. Grau m'a interrogé sur la création d'une direction centrale des achats, avec la décentralisation des crédits pour les travaux du quotidien et l'usage des cartes d'achat. L'idée est que ce service pilote les 3 milliards d'euros d'achats du ministère de l'Intérieur. Il regroupera tous ceux qui, au sein du ministère de l'Intérieur, exercent une fonction d'acheteur, soit 400 personnes. L'objectif est à la fois de professionnaliser la fonction tout en la rendant moins consommatrice de ressources humaines, mais aussi de réaliser des économies par la massification des achats, et de sécuriser les procédures en renforçant leur qualité. Mais je répète, et nous aurons l'occasion de travailler sur le sujet, que cette logique n'est pas incompatible avec la déconcentration des expressions de besoins ou des actes d'achat – sous réserve, bien sûr, d'un encadrement.

Vous m'avez posé une autre question, monsieur le député, sur la valorisation des inventions internes, y compris en termes de brevets. Vous le savez comme moi, le droit en matière d'inventions est très complexe. Un logiciel, notamment, n'est brevetable que sous certaines conditions qui ne sont pas toujours évidentes à remplir.

Dans l'optique d'une recherche de ressources complémentaires, les services mènent des études de brevetabilité qui consistent à apprécier le coût de la procédure par rapport aux perspectives de recettes qu'on peut attendre du brevet. Quand l'équilibre paraît positif, nos services s'y engagent. Mais il faut aussi mettre en parallèle notre volonté d'avoir une République numérique, et le fait que l'article 16 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique pose comme principe que les services publics adhèrent au principe de la politique du logiciel libre. Si l'outil est utile pour l'ensemble de nos concitoyens, il ne faut pas chercher à le « privatiser » pour qu'il nous rapporte, puisque son meilleur rapport, c'est celui de son utilité.

Monsieur Ciotti, vous avez plaidé en faveur du modèle particulier de notre sécurité civile. S'il est un modèle que beaucoup de pays étrangers viennent observer, il est évident que nous devons le protéger.

Vous avez évoqué la question des transferts de charges et celle de la sécurité des interventions, à la fois pour la sécurité de celles et ceux qui sont accompagnés, mais aussi de nos sapeurs-pompiers eux-mêmes. Je vous répondrai de façon détaillée.

Pas moins de 610 faits d'agression sur nos pompiers ont été constatés au 1er octobre 2018. Je ne peux évidemment pas tolérer une telle situation. Je poursuivrai – et je demande à mes services de poursuivre – de façon déterminée la lutte contre ces agressions.

Ces agressions doivent être sanctionnées. Vous parliez d'un taux de plainte de 20 %. Il faut encourager, et des instructions seront données en ce sens, chaque femme, chaque homme qui, dans le cadre de ses fonctions, est victime d'une atteinte, à porter plainte pour que des sanctions puissent être mises en oeuvre. Il me faudra également discuter avec Mme la garde des sceaux des conditions de protection, y compris judiciaire, de celles et ceux qui servent chez nos sapeurs-pompiers et qui, en intervention, doivent être tout particulièrement protégés.

J'avais en tête que l'agression d'un pompier constituait une circonstance aggravante depuis la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Nous allons le vérifier. Mais ça n'est peut-être pas le cas pour les outrages. Mais s'il fallait renforcer le régime de protection en cas d'agression, et considérer que c'est une circonstance aggravante, je soutiendrai toute initiative parlementaire allant en ce sens.

Ensuite, au-delà de la sanction et de la menace judiciaire, qui est une façon de protéger aussi celles et ceux qui interviennent pour la sécurité civile, un plan d'action a été élaboré pour garantir la sécurité de nos sapeurs-pompiers, avec des protocoles opérationnels qui sont construits systématiquement au plus près du terrain pour prévenir les agressions, et selon les zones, avec des renforts, avec des accompagnements, de gendarmes, de policiers, partout où c'est nécessaire, dès que la situation l'exige.

Je voudrais aussi vous parler des caméras mobiles, dont l'expérimentation a été autorisée par la loi du 3 août 2018. Une quinzaine de SDIS se sont portés candidats pour équiper leurs hommes. Nous allons faire le test. Mais je suis convaincu, car ce sont les retours que nous en avons, que ce dispositif permet de faire baisser sensiblement la pression lors de situations tendues. Je ne peux donc que l'encourager.

Vous avez évidemment évoqué l'arrêt « Marzak » et les préoccupations qu'il a fait naître chez nos sapeurs-pompiers, mais aussi chez nous. Il est évident que nous devons nous battre ensemble pour préserver notre modèle.

Deux orientations au moins semblent envisageables pour prendre en compte les impacts de cette jurisprudence. La première est d'envisager la transposition de la directive de 2003 en exploitant toutes les facultés de dérogation prévues par le texte. La seconde consiste à engager une démarche auprès des autorités européennes pour obtenir une évolution de la directive, de manière à exclure de son champ d'application l'activité de sapeur-pompier volontaire. Je crois que la meilleure réponse correspond à une combinaison de ces deux orientations. Nous allons nous y engager totalement, et j'aurai besoin pour ce faire de l'expertise de certains d'entre vous. Aujourd'hui, 69 % de nos sapeurs-pompiers volontaires ont une activité salariée à côté. On voit quel peut être l'impact de cette jurisprudence, et la menace qu'elle fait peser sur notre dispositif de sécurité civile. Je serai à vos côtés et aux côtés de nos sapeurs-pompiers, totalement mobilisé, pour faire en sorte de préserver notre modèle.

Sur la gratuité de la circulation des véhicules de secours sur les autoroutes, je n'ai pas tous les éléments de réponse. Je vais regarder. Les services en mission pourraient disposer de télé-badges pour circuler rapidement, leur passage étant refacturé ultérieurement. Cela pose des problèmes juridiques et techniques, mais on va tenter de trouver des solutions.

Enfin, Monsieur Kamardine, soyez rassuré : à Mayotte, la police n'est pas dépourvue de moyens. Les dépenses de personnel ont atteint 2,4 millions d'euros en LFI pour 2018. Nous avons débloqué 340 000 euros de moyens supplémentaires en cours d'année, compte tenu des tensions que vous avez soulignées, et que personne ne conteste. Cela peut paraître insuffisant, mais c'est tout de même une augmentation significative, de 28 % par rapport à 2017. Je rappelle que 650 policiers sont mobilisés, soit deux fois plus qu'il y a dix ans, et que la loi de finances pour 2019 devrait nous permettre d'envoyer sur ce territoire 25 renforts supplémentaires. La gendarmerie est également accompagnée. Elle dispose de moyens positionnés à Mayotte, avec le 3e escadron de gendarmes mobiles qui sera maintenu sur place au moins jusqu'à la fin de l'année. Par ailleurs, 16 militaires supplémentaires rejoindront le territoire d'ici à 2019.

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