Intervention de Jean-Michel Jacques

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Jacques :

Merci, Monsieur le président. Effectivement, j'ai eu l'honneur de conduire une délégation pluraliste de notre commission pour une mission auprès des forces engagées dans la bande sahélo-saharienne. Plusieurs parlementaires de différents groupes étaient présents. Vous les avez déjà présentés, Monsieur le président. L'objectif de cette mission était de mieux appréhender les origines de la crise au Sahel et ses facteurs de résolution ; de visiter deux bases militaires françaises : une à Niamey et l'autre à Gao ; de rencontrer le chef des forces maliennes à Gao et nos homologues parlementaires à Niamey ; de mesurer les effets d'un environnement hors normes sur les hommes et les matériels ; de s'enquérir des améliorations à venir de la condition militaire à Niamey et à Gao.

Comme vous le voyez sur la carte, l'opération Barkhane est une opération régionale, qui répond à des enjeux transfrontaliers, caractérisée par une ampleur territoriale comparable à celle du continent européen et par un environnement désertique éprouvant pour les hommes et les femmes, ainsi que pour le matériel.

Nous avons rencontré trois ambassadeurs : Son Excellence Marcel Escure, ambassadeur de France au Niger, Son Excellence Jean-Marc Châtaignier, envoyé spécial pour le Sahel, et Son Excellence Alain du Boispean, conseiller politique de l'envoyé spécial Sahel. D'après ces trois acteurs de la diplomatie française, les principaux facteurs de la crise au Sahel sont :

1.– l'immensité de ses territoires, qui sont mal contrôlés aujourd'hui ;

2.– une démographie galopante qui ronge les gains de développement possibles ;

3.– une pauvreté et un sous-développement qui nourrissent l'économie informelle, la corruption et fragilisent les institutions locales ;

4.– des tensions interethniques ;

5.– un djihad opportuniste, qui sert parfois de prétexte à des chefs de guerre locaux et à des trafiquants qui profitent de l'instabilité pour faire prospérer une économie parallèle.

Face à cette problématique, la réponse doit être globale et associer quatre aspects : un aspect militaire – la défense –, un aspect diplomatique et l'aide au développement, auxquels il faut ajouter la démocratie. Il faut favoriser dans ces différents pays une meilleure représentation de la population, des différentes ethnies, dans les instances locales, pour en accroître la légitimité.

La priorité de notre action militaire est de produire de la sécurité, pour favoriser la reconstruction d'États aujourd'hui contestés. Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement. Il faut ainsi conduire plusieurs actions concomitantes, produire de la sécurité y compris dans les zones les plus reculées – et quand on voit la taille de ces pays, on comprend que cela n'a rien d'évident. Il faut contenir les menaces terroristes et savoir les neutraliser dès qu'elles se reconstituent.

En parallèle, la force Barkhane entreprend des actions civilo-militaires de différentes natures comme du génie civil, le forage de puits, l'aide médicale à la population, la fourniture de services vétérinaires, etc. Elle contribue aussi à la formation des armées de nos partenaires, lorsqu'ils en font la demande, pour qu'ils soient eux-mêmes plus efficients sur le terrain.

Plusieurs points positifs méritent d'être soulignés. L'ensemble des députés présents a pu constater que la force Barkhane était respectée et acceptée. Plusieurs témoignages de nos partenaires africains l'ont confirmé : « On a besoin de vous », a-t-on souvent entendu. À ce jour, le Sahel est au coeur d'une dynamique positive qui associe de nombreux pays. Les renforts estoniens, allemands et britanniques répondent à de vrais besoins. La force du G5 Sahel attire des financements internationaux, gages d'une prise de conscience mondiale. Voilà pour les points positifs et les opportunités à saisir.

Nous avons tout de même identifié plusieurs points de vigilance. Le manque de capacités de transport tactique pour nos forces reste patent, en dépit du renfort bienvenu et très apprécié des Chinook britanniques. Par ailleurs, l'usure rapide des matériels engendre un flux logistique important et représente une contrainte importante sur le plan opérationnel. La faiblesse des armées du G5 Sahel, en particulier de celle du Mali – « l'homme malade » de la région, pour reprendre l'expression de nos diplomates – reste préoccupante. Nous devons aussi être vigilants à l'égard des groupes armés transnationaux qui pourraient se fédérer sous la bannière de l'islamisme, sachant que l'appartenance ethnique reste un déterminant important aujourd'hui, qui transcende les frontières. J'ajouterai que les armées locales sont encore sous-équipées à ce jour et souffrent de l'absence de culture de maintien en condition opérationnelle. Nous pensons que nous avons un rôle à jouer dans ce domaine, par la formation de mécaniciens. Un dernier point de vigilance est lié au risque d'épuisement sur des fronts multiples compte tenu du nombre de pays concernés par cette situation de crise.

Nous avons visité deux bases militaires françaises, l'une à Niamey, au Niger, l'autre à Gao, au Mali. La base aérienne projetée (BAP) de Niamey fait la taille d'une petite ville. La ressemblance ne se mesure pas qu'à cette aune, au point que je dirais même que son chef de corps est l'équivalent d'un maire. L'ensemble des sujets auquel il est confronté forme une liste surprenante. Le développement de la base suscite en effet des questionnements aussi bien sur la gestion des déchets que sur l'approvisionnement en énergie. C'est dire combien les compétences de nos chefs militaires doivent être étendues et nous ne pouvons que constater que la formation des officiers français correspond bien à ces besoins. Elle leur confère aussi bien une capacité à entretenir des relations avec de nombreux interlocuteurs locaux qu'à maîtriser les enjeux du développement d'une base. En l'occurrence, la BAP de Niamey est un véritable pôle logistique qui fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Pour illustrer mon propos, je précise que la BAP de Niamey a accueilli en 2017 près de 6 000 tonnes de fret, soit la moitié du trafic de l'aéroport de Bordeaux, plus de 7 000 mouvements d'aéronefs, soit le trafic de l'aéroport de Nantes, et plus de 4 500 passagers, soit 80 % des relèves de Barkhane. La BAP de Niamey est aussi un pôle de rayonnement local. Au plan économique, elle représente près de 11 millions d'euros par an de contrats locaux, qui permettent de diffuser une certaine richesse alentours, et 35 millions d'euros par an d'achats de carburant, qui en font le premier consommateur national, avant l'aéroport international de Niamey. La BAP organise aussi des actions civilo-militaires, comme je l'ai précédemment évoqué.

La BAP est enfin un outil de combat dont nous avons pu voir plusieurs capacités au cours de notre séjour. Entre autres : des capacités de renseignement avec 4 drones, un C160 Gabriel, et un ATL2 de la marine nationale, ce qui peut paraître assez curieux, mais s'avère somme toute cohérent avec ces grandes étendues désertiques, semblables à une mer, où les techniques de renseignement sont, somme toute, comparables. La capacité d'intervention repose sur deux Mirage 2000D et deux Mirage 2000C. Enfin, la capacité de projection s'appuie sur un Boeing C135, deux Transall C160, et un CASA CN 235 MEDEVAC à Gao.

Je voudrais juste faire un focus sur le drone MQ-9 Reaper de General Atomics que nous avons pu voir, avec son équipage. Je rappelle que la doctrine française est d'avoir toujours un homme dans la boucle et des équipages physiquement présents sur les théâtres d'opérations. Nous avons eu la chance de discuter avec cet équipage, composé de quatre opérateurs : un pilote à distance, un opérateur capteur, un officier de renseignement et un opérateur image.

Les perspectives pour 2019 sont marquées par l'armement des drones Reaper, qui confèrera à la force Barkhane beaucoup plus d'efficacité et surtout de rapidité, et le remplacement des C135 par des MRTT et des C160 par des A400M et des C130J.

Sur la plateforme opérationnelle désert (PfOD) de Gao, nous avons aussi pu voir différents groupes tactiques « désert » (GTD) :

– le GTD aérocombat, composé de personnels du 1er régiment d'hélicoptères de combat (1er RHC), qui a présenté un hélicoptère d'attaque Tigre et un hélicoptère de manoeuvre Caïman ;

– le GTD infanterie, composé de personnels du 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP) et du 2e régiment étranger d'infanterie (2e REI) ;

– le groupement des commandos parachutistes (GCP) composé d'éléments du 2e REP et appuyé par le 17e régiment du génie parachutiste (17e RGP) et du 35e régiment d'artillerie parachutiste (35e RAP) ;

– le GTD blindés, issu du 1er RHC, qui a présenté un AMX 10 RC ;

– le groupement de recherche multicapteurs (GRM), qui explore dans la profondeur le terrain situé derrière les lignes ennemies, équipé d'ordinateurs portables « durcis » qui résistent aux tempêtes de sable et du mini-drone Black Hornet.

Par ailleurs, nous avons eu l'occasion d'échanger avec des chefs de détachements étrangers : le chef du détachement britannique – les pilotes des Chinook que j'évoquais plus tôt – et le chef du détachement estonien, à Gao, ainsi que le chef du détachement allemand, à Niamey, qui assure notamment des formations en génie civil sur place.

La mission a aussi permis de rencontrer des autorités locales. Les échanges avec nos homologues ont été fructueux et nous avons particulièrement apprécié leur présence dès notre arrivée à l'aéroport, qui restera un beau souvenir pour chacun d'entre nous. Nous avons rencontré M. Ousseini Tinni, le président de l'Assemblée nationale du Niger, et M. Hamma Assah, le président de la commission de la Défense et de la sécurité, en présence de plusieurs membres de cette commission. Par ailleurs, nous avons aussi échangé avec le colonel Yacouba Sanogo, le chef des forces maliennes à Gao.

Lors de notre séjour, nous avons pu mesurer les effets d'un environnement hors normes sur les hommes et les matériels.

Vous le voyez sur la diapositive derrière moi, avec ces photos de pneus endommagés. Nous avons visité un atelier, à Gao, uniquement consacré au changement de pneus de véhicules qui partent en mission. C'est impressionnant. C'est une usine qui tourne 24 heures sur 24 avec du personnel qui travaille dans des conditions difficiles. C'est en effet une activité très physique et il fait chaud. L'état des pneus fait prendre conscience de la nécessité d'avoir une logistique efficace.

Cet environnement est aussi difficile pour les personnels. Les températures oscillent entre 40 et 60 degrés Celsius pendant plus de six mois dans l'année.

La consommation d'eau indispensable à chaque homme est de dix litres d'eau par jour pour une activité normale. Mais dès que les personnels partent en mission avec des charges de 40 voire 60 kilos, notamment du fait du poids des munitions et des gilets pare-balles, les besoins d'eau augmentent. Le sable et la poussière sont omniprésents, dès qu'il y a des mouvements. Le bruit est incessant, du fait des opérations. Il y a continuellement des allers-et-retours, des mouvements d'hélicoptères et d'avions qui alimentent ce bruit constant.

Le service de santé des armées est évidemment très présent à travers un dispositif que je voudrais vous rappeler brièvement.

Ce qu'on appelle le Rôle 1, ce sont en fait des combattants sur le terrain qui assurent la prise en charge des blessés avec leur formation de secouristes. Parfois, il s'agit d'infirmiers ou d'auxiliaires sanitaires spécialisés, au sein des groupes de combat, qui peuvent procéder aux premiers gestes. Une fois ceux-ci réalisés, le personnel est évacué sur le Rôle 2, l'équivalent des urgences à proximité du théâtre d'opérations. Le Rôle 3 est quant à lui un hôpital de campagne avec des spécialités de réanimation, de la chirurgie, un plateau complet. La France a un savoir-faire spécifique en la matière. Après un passage en Rôle 3, le personnel peut être évacué vers le Rôle 4, qui correspond à un hôpital militaire sur le territoire national.

Je laisserai mes camarades compléter…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.