Intervention de Hélène Vainqueur-Christophe

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 16h25
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter mon avis sur la mission « Santé », dont les deux tiers des crédits sont affectés au programme 183 qui finance en quasi-totalité l'aide médicale de l'État (AME). Le tiers restant, quelque 480 millions d'euros, finance le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». C'est sur la question de la prévention dans les outre-mer que j'ai choisi de centrer mon analyse, dans le but surtout de vous alerter.

Il y a longtemps que l'on sait que la situation sanitaire des populations des outre-mer n'est pas satisfaisante.

Vous me permettrez de vous rappeler quelques éléments qui donneront la mesure du problème : l'espérance de vie outre-mer est inférieure de plusieurs années à celle constatée dans l'Hexagone ; le tiers des décès survient avant soixante-cinq ans ; les taux de mortalité maternelle et infantile sont bien plus élevés ont même tendance à augmenter dans certains territoires.

La prévalence des maladies chroniques est préoccupante. Elle est liée notamment à l'obésité qui induit des pathologies comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires. À cela s'ajoutent les maladies vectorielles tropicales et les maladies infectieuses, dont la lèpre, ou les maladies génétiques comme la drépanocytose. La prévalence des infections sexuellement transmissibles est de plus particulièrement grave : l'épidémie de virus de l'immunodéficience humaine (VIH) aux Antilles et en Guyane est comparable à ce que l'on constate dans certains pays parmi les plus pauvres, et il y a actuellement dix fois plus de nouveaux cas d'infection par le VIH que dans l'Hexagone.

Cette situation générale très défavorable s'explique par divers facteurs.

Le premier, c'est naturellement le contexte économique et social : précarité, chômage structurel, illettrisme, alcoolisme et autres addictions.

Le deuxième facteur est la grande souffrance des systèmes de santé. On parle souvent de déserts médicaux dans l'Hexagone mais il faut rappeler que la densité de médecins outre-mer est excessivement basse : en Guadeloupe ou à la Martinique, il y a proportionnellement 20 % de généralistes en moins que dans l'Hexagone, et même 50 % de moins en Guyane. La situation est identique pour les autres professions médicales et certaines spécialités sont même absentes de plusieurs territoires. Par exemple, à Mayotte, il n'y a ni cardiologue ni cancérologue, et il n'y a qu'un diabétologue alors même que 10 % de la population sont diabétiques. L'offre de soins est ainsi excessivement concentrée sur les hôpitaux, qui sont en sous-capacité et dont les services d'urgences sont saturés. Et lorsque des aléas surviennent, qu'il s'agisse de catastrophes climatiques comme les ouragans qui ont ravagé Saint-Martin et Saint Barthélemy l'an dernier, ou d'accidents comme l'incendie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre en novembre dernier, la situation devient tout simplement intenable. Intenable pour les populations bien sûr, mais aussi pour les professionnels de santé, dont les conditions de travail, en temps normal tendues, deviennent inacceptables.

Enfin, il faut ajouter que dans beaucoup de régions ultramarines la géographie constitue aussi un facteur de déséquilibres graves dans l'offre de soins, très inégalement répartie. Il y a dans nos outre-mer des zones difficiles d'accès ou isolées. L'Ouest guyanais, par exemple, ou les îles du Sud en Guadeloupe sont de ce fait dépourvus de l'offre de soins nécessaire.

Tous ces aspects sont connus depuis longtemps.

Déjà en 2014, la Cour des comptes avait analysé ce contexte général et ses causes. Les difficultés persistantes des systèmes de santé résulteraient notamment des carences du système de prévention, que ce soit au niveau général ou au niveau de la protection maternelle et infantile (PMI) ou de la santé scolaire et universitaire. À Mayotte, par exemple, il n'y a aujourd'hui que trois médecins pour 100 000 jeunes scolarisés. La situation est telle que la PMI est défaillante et que la réserve médicale doit être mobilisée pour procéder aux campagnes de vaccination générale.

Les différents documents stratégiques adoptés par les gouvernements successifs ont depuis lors réaffirmé le rôle central de la prévention et l'ont remise au rang de priorité de santé publique. Il faut s'en féliciter.

Les efforts que font les ARS locales sont à saluer, compte tenu du contexte budgétaire que l'on connaît. Leurs stratégies régionales sont en grande partie centrées sur le renforcement de la prévention et une part importante des aides du Fonds d'intervention régional qui leur sont attribuées leur est consacrée. Une ARS comme celle de Mayotte alloue même jusqu'à 68 % de son budget à la prévention.

Cela étant, quatre ans après l'avis de la Cour des comptes, les choses n'ont pas véritablement évolué. Les rapports récents de plusieurs institutions comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ou le Conseil national du sida (CNS), concluent que la situation reste critique dans nombre de domaines.

Il ressort ainsi de l'ensemble des auditions auxquelles j'ai procédé, notamment de celles des responsables des ARS des outre-mer et des acteurs de terrain, que les moyens ne sont pas suffisants, compte tenu de l'immensité des besoins.

Les documents de politique transversale outre-mer publiés hier montrent que les crédits du programme 204 fléchés vers les outre-mer perdent 1,6 million d'euros en autorisations d'engagement, après une baisse de 3,5 millions l'année dernière. Derrière l'affichage, la réalité des chiffres est donc cruelle.

Dans toutes les régions, il y a une pénurie de moyens, notamment humains, qui est considérable. Je l'ai évoquée s'agissant du personnel sanitaire dans ses différentes composantes. Cela rend dans certains cas extrêmement difficile pour une ARS de mener la politique de prévention qu'elle a définie.

Cette situation pose la question de l'attractivité des territoires et des moyens que l'on consacre pour recruter et fidéliser des personnels de santé qui interviendront dans le secteur de la prévention.

Dans le même ordre d'idées, se pose la question de la densité et de la qualité du tissu associatif : les ARS sont unanimes à souligner le rôle irremplaçable que jouent les acteurs associatifs en matière de prévention. Ils sont les seuls à pouvoir aller sur le terrain au contact des populations cibles, à diffuser des messages, à mener des actions adaptées aux réalités sociales et culturelles de chaque région. Les associations ont besoin d'être fortement soutenues, d'être professionnalisés et structurées. Or, souvent, elles sont encore loin de pouvoir répondre aux besoins.

S'agissant des moyens propres des ARS, les ressources financières mériteraient d'être renforcées car certains postes ne peuvent être dotés suffisamment pour faire face aux besoins, tout particulièrement pour faire monter les compétences des acteurs de terrain.

Tout cela pour vous dire, mes chers collègues, que certaines des mesures que le Gouvernement prend depuis deux ans ont un effet dévastateur direct sur l'action des acteurs associatifs et plus généralement en matière de prévention.

Je prendrai deux exemples pour illustrer cet aspect sur lequel je tiens tout particulièrement à appeler votre attention.

Le premier problème renvoie à la suppression des contrats aidés : la politique menée par le Gouvernement est un véritable coup de poignard pour la prévention. Comme vous le savez, 12 500 employeurs associatifs ont de ce fait disparu au niveau national en 2017. S'agissant des outre-mer, les informations que j'ai pu recueillir confirment la perte de compétences qui en a résulté pour les associations qui interviennent dans le champ sanitaire et social. Cela a un effet absolument dramatique sur le terrain. Des intervenants dans la formation desquels on avait investi, qui étaient compétents et qui avaient noué des liens de confiance avec des populations fragilisées, marginalisées, souvent difficiles à approcher, ont été perdus. En outre, les contrats aidés permettaient aux associations de recruter des personnels pour assurer les fonctions support indispensables, très chronophages pour les petites structures.

Nous voyons donc que d'un côté, le Gouvernement promeut la prévention, et que de l'autre, il fragilise le soutien au tissu associatif.

Madame la ministre, pourriez-vous m'indiquer les moyens que vous entendez mettre en oeuvre pour consolider le tissu associatif dans les outre-mer et soutenir la prévention ? Le Livre bleu proposait la création d'un fonds de prévention outre-mer : pourriez-vous me préciser quand et comment il sera activé ?

Le second problème grave sur lequel je souhaite vous alerter concerne le revenu de solidarité active (RSA). L'article 27 du projet de loi de finances prévoit une recentralisation du dispositif en Guyane. Cette disposition n'est pas contestable, puisqu'elle répond à un engagement présidentiel pris en accord avec les collectivités. Toutefois, comme à chaque fois, le diable se cache dans le détail et, à y regarder de près, les modalités de cette recentralisation sont porteuses d'une aggravation des problématiques de santé publique sur le territoire guyanais.

En effet, cette réforme s'accompagne de l'allongement de cinq à quinze ans de la durée de résidence préalable ininterrompue pour les étrangers non ressortissants d'un pays de l'Union européenne. Or, tous les acteurs savent que cette exigence est extrêmement difficile à satisfaire et qu'il y a toujours des ruptures entre deux titres de séjour. Cette disposition ne peut donc que conduire à l'exclusion des étrangers du dispositif du RSA en Guyane et, par conséquent, à une aggravation de la précarité des migrants, ce qui aura pour effet de les amener à basculer dans des pratiques à risque, d'addiction ou de prostitution, et à accroître la contamination par le VIH.

La prévention n'est jamais la priorité des personnes précarisées, elle l'est encore moins dans un territoire aussi difficile que la Guyane, où les acteurs de prévention rencontrent les plus grandes difficultés d'accès aux zones les plus reculées. L'adoption de l'article 27 du PLF est donc en totale contradiction avec l'approche préventive et ne répond nullement à l'urgence de la situation.

Madame la ministre, je vous ai déjà posé la question mais faute de réponse, permettez-moi de vous demander à nouveau si ces risques ont été pris en compte dans la réforme du dispositif du RSA en Guyane.

Mon dernier point portera sur la loi de juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire dans les outre-mer. Elle impose que la teneur en sucre des denrées distribuées sur les territoires ultramarins soit identique à celle des produits commercialisés dans l'Hexagone. Selon les informations que j'ai pu obtenir, la mise en oeuvre de ces dispositions s'avère particulièrement lente. Il me semble indispensable et urgent que le Gouvernement veille à la stricte application de la loi et renforce les contrôles sur place. Cela ne pourra qu'être extrêmement positif pour l'amélioration de l'état de santé des populations d'outre-mer, au même titre que les mesures de prévention. Je vous demande donc, madame la ministre, d'être extrêmement vigilante sur ce point.

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