Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 16h25
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Mesdames et messieurs, je vous remercie pour l'attention avec laquelle vous avez examiné ce budget, et je me félicite de constater que nombre d'entre vous souhaitent voir la prévention occuper une place centrale dans notre politique de santé – sur ce point, je vais pouvoir vous rassurer pleinement.

Je vais répondre de façon thématique aux questions qui m'ont été posées, en commençant par celles que m'ont adressées Mme la rapporteure et M. Nilor sur notre politique de santé outre-mer. Comme vous le savez certainement, nous travaillons main dans la main avec Annick Girardin, la ministre des outre-mer, et avons été très attentifs à ce que le Livre bleu des outre-mer comporte un volet santé. En effet, l'accès à la santé d'une part, les déterminants de santé d'autre part, posent aujourd'hui de nombreux problèmes outre-mer, ce qui justifie que nous fassions de cette question une priorité. Cela constitue également le premier axe de notre Stratégie nationale de santé, avec un plan « Priorité prévention » qui décline, pour l'outre-mer, des mesures particulières en matière de prévention – de même, le Plan d'accès aux soins prévoit des mesures spécifiques pour les outre-mer.

Force est de constater que les indicateurs de santé sont plus dégradés dans les outre-mer qu'en métropole, ce qui nécessite des actions particulières, notamment en matière de prévention. La Stratégie nationale de santé fixe quatorze objectifs particuliers aux outre-mer. Pour l'ensemble des collectivités, il est demandé d'améliorer l'état de santé des mères et des enfants et de réduire l'incidence des maladies chroniques – notamment du diabète et ses complications. Parallèlement, il est prévu des mesures spécifiques à certains territoires : ainsi, certaines mesures visent à réduire la contamination des personnes par le chlordécone qui imprègne les sols de la Guadeloupe et de la Martinique, tandis qu'à Mayotte, nous mettons en place un dispositif de couverture vaccinale, concernant notamment les enfants.

Le plan Priorité prévention prévoit également une action visant à une bonne organisation du suivi péri- et postnatal via les PMI et les dispensaires, afin de prévenir les décès maternels et infantiles. Des mesures ont été mises en place à titre expérimental pour améliorer la vaccination contre le papillomavirus (HPV) dans les outre-mer, où la prévalence de ce virus est particulièrement élevée – de même, l'incidence des cancers du col de l'utérus et la mortalité liée à cette cause y sont trois fois plus élevées que dans l'Hexagone. Nous avons prévu l'adaptation à la situation locale et aux cultures ultramarines des outils nationaux de prévention, que ce soit en matière de prévention des infections sexuellement transmissibles, notamment du VIH, ou en matière de grossesse précoce – auprès des jeunes filles de douze à vingt-cinq ans.

Pour appuyer ces actions de prévention, nous disposons de deux supports financiers principaux : d'une part, le programme 204 de la mission « Santé », pour un montant de 44 millions d'euros en 2017 – ces crédits ont aussi permis de répondre ponctuellement à des urgences sanitaires –, d'autre part, le levier du fonds d'intervention régional (FIR) pour un montant global de 47,3 millions d'euros en 2017 et 49,8 millions d'euros budgétés en 2018. Je précise que la part du FIR dédiée à la prévention est de 23 % en outre-mer, contre seulement 15 % dans l'Hexagone, ce qui montre bien que les ARS mettent beaucoup de détermination à accompagner les territoires en termes de prévention. Ces montants, déjà conséquents, continuent d'augmenter, et pourraient à l'avenir se trouver abondés par le produit de la hausse de la cotisation de sécurité sociale sur le rhum, en application d'une mesure adoptée dans le cadre du PLFSS et qui pourrait rapporter environ 25 millions d'euros au terme de la montée en charge de la convergence des taxes sur le rhum ; cela passera par le fonds de lutte contre le tabac – qui vise désormais toutes les addictions. Le PLFSS pour 2019 prévoit également que les crédits du fonds de prévention des addictions dédiés aux outre-mer fassent l'objet d'un suivi particulier.

On ne peut pas dire que la loi du 3 juin 2013 sur la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer n'est pas appliquée : elle l'est, en tout cas pour l'essentiel, j'en veux pour preuve ses deux volets relatifs au sucre. Le premier volet, qui prévoit l'obligation de ne pas rajouter de sucre aux produits fabriqués dans l'Hexagone et importés dans les départements d'outre-mer (DOM), est très bien appliqué. Les choses sont un peu plus compliquées pour le second volet, qui concerne les produits locaux fabriqués en outre-mer – il s'agit de yaourts, de boissons, de glaces et de pâtisseries –, dont la teneur en sucre doit être équivalente à celle des produits de la même famille existant dans l'Hexagone : or, il n'existe pas toujours d'équivalent à ces produits, ce qui rend difficile une application stricte de la loi et nous oblige à demander sans cesse aux fabricants d'outre-mer de veiller à ce que leurs produits présentent une teneur en sucre modérée – en tout état de cause, la loi a constitué un signal très fort en ce sens.

Un certain nombre de mesures spécifiques ont été prises pour l'amélioration de l'accès aux soins. Ainsi, à partir de 2018, nous avons prévu, dans le cadre du Plan d'accès aux soins, 100 postes d'assistants spécialistes à temps partagé, dédiés aux outre-mer dans le cadre du volet ultramarin du plan « Priorité prévention ». Compte tenu de la démographie médicale du département de Mayotte, il a été mis en place une indemnité particulière d'exercice allouée aux personnels médicaux – le texte en cours de finalisation prévoit de ramener la durée d'engagement pour bénéficier de cette prime de quatre à deux ans, pour inciter les professionnels à aller exercer à Mayotte. Enfin, nous avons noué des partenariats entre les centres hospitaliers ultramarins et les CHU de métropole afin de permettre les échanges de bonnes pratiques et de professionnels. C'est le modèle de la convention qui a été signée entre le centre hospitalier de Cayenne et l'Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) – je précise qu'il existe un volet « télémédecine », dédié notamment au renforcement de l'offre spécialisée.

Je suis d'accord pour considérer que les associations jouent un rôle très important en matière de prévention dans les DOM. Beaucoup est fait dans ce domaine, notamment dans le cadre du volet « santé sexuelle », avec notamment le déploiement d'un volet spécifique pour l'outre-mer par le planning familial. Je veux souligner qu'aucune suppression d'emploi n'est prévue en 2018 ni en 2019 dans les ARS d'outre-mer. Au contraire, nous avons prévu dix emplois supplémentaires pour préfigurer l'ARS de Mayotte et cinq emplois supplémentaires pour mettre en place un centre national de ressources en appui aux ARS d'outre-mer, notamment pour des actions spécifiques – qui pourraient s'inscrire dans le champ de la prévention.

Jean-Louis Touraine et Ericka Bareigts m'ont interrogée sur les crédits dédiés à la partie « santé et environnement ». En vue de l'adoption en 2019 du quatrième plan national santé environnement (PNSE4), nous travaillons en moment à l'élaboration de ce plan avec l'ensemble des parties prenantes, notamment ce comité de pilotage national qu'est le groupe Santé environnement, présidé par Mme Élisabeth Toutut-Picard, mais aussi l'INSERM, l'ANSES et Santé publique France. Bien évidemment, ce plan sera accompagné de produits.

D'autre part, nous avons développé un certain nombre de plan spécifiques, notamment le plan « Écophyto 2 », relatif aux pesticides et paru en avril 2018, qui traduit la volonté de tous les ministres concernés d'élaborer un plan d'action visant à rendre l'agriculture moins dépendante à tous les produits phytosanitaires, à mieux connaître les impacts de leur utilisation sur la santé et à mieux protéger la population. Le ministère de la transition écologique et mon ministère portent ensemble une stratégie nationale pour les perturbateurs endocriniens. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de l'économie sont également impliqués dans cette stratégie, qui comporte un volet « recherche » financé par le ministère de la recherche, un volet de valorisation, un volet de surveillance, un volet d'expertise sur les substances, un volet de réglementation et un volet de substitution des perturbateurs endocriniens. Des actions sont également prévues en faveur de la formation des professionnels de l'agriculture et de l'information vis-à-vis du public des professionnels de santé. Tous ces plans sont très bien structurés et financés.

Nous avons évidemment besoin d'opérateurs pour porter ces politiques publiques au niveau national et local, notamment pour ce qui est de l'expertise qui vient en appui à la décision. La responsabilité de cette expertise revient à nos agences sanitaires, en particulier à l'ANSES et à Santé publique France, avec lesquelles nous coopérons de façon très étroite. Pour les années qui viennent, nous leur avons demandé de bien répartir leurs missions, qui vont de la surveillance du territoire à l'évaluation des risques sanitaires d'origine environnementale, mais aussi de mieux coopérer de se coordonner. Une convention de collaboration a été conclue entre l'ANSES et l'ANSP, et une lettre a été cosignée par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) le 11 juin 2018, afin de demander aux deux agences d'établir un document de coopération et de coordination de leurs actions, qui servira de fil conducteur pour la constitution d'une plaquette d'information à destination des ARS, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et des collectivités territoriales.

Il existe également un volet « radioprotection », destiné à l'IRSN et comportant un programme de travail et une convention-cadre signée entre la DGS et l'IRSN dans le domaine de la surveillance radiologique du territoire, des eaux de consommation, de l'exposition au radon et de la radiologie en santé. Au niveau local, les ARS interviennent dans le cadre des plans régionaux de santé (PRS). Par ailleurs, outre le volet environnement des PRS, les cellules d'intervention en région (CIRE), qui dépendent de Santé publique France, ont pour rôle de prolonger en région l'action de surveillance et d'expertise de l'agence de santé publique. Enfin, la Haute Autorité de santé (HAS) a été mandatée pour travailler à l'élaboration de documents d'information à l'usage des professionnels de santé, visant notamment à les aider à mieux informer le grand public sur les sites et les sols pollués, sur la pollution de l'air et sur l'exposition aux perturbateurs endocriniens.

Enfin, dans le domaine « santé environnement », nous souhaitons renforcer les dispositifs de surveillance : c'est un axe prioritaire du contrat d'objectifs et de performance (COP) signé avec Santé publique France et l'ANSES pour la période 2018-2022, qui va permettre le maintien d'un niveau d'intervention élevé de ces deux agences dans le champ de la surveillance sanitaire. Nous pensons renforcer l'activité des registres, grâce à une surveillance effectuée via des canaux numériques et des canaux de remontée d'information mutualisés – un nouveau dispositif rendu possible par la modernisation des outils de surveillance et de veille sanitaire, qui nous permet d'être encore plus réactifs.

On déplore souvent le retard dans la prise en compte de certains risques sanitaires en évoquant des cas anciens, comme l'a fait Jean-Louis Touraine en parlant du Distilbène – une affaire qui date des années 1960. Or, nous avons beaucoup progressé et disposons désormais d'un réseau de surveillance fiable et très performant, notamment en matière de surveillance des risques alimentaires, avec les centres nationaux de référence des bactéries et des champignons. Fin 2017, c'est ce qui a permis à Santé publique France de lancer l'alerte sur la salmonelle dans les laits infantiles : en 24 heures, les renseignements donnés par les centres de référence nous ont permis de remonter jusqu'à l'origine de la contamination des nouveau-nés, en l'occurrence une usine Lactalis, et de prévenir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le ministère de l'agriculture et le ministère de l'économie. J'insiste sur le fait que très peu de pays auraient été capables de faire la même chose en si peu de temps : nous ne devons donc pas juger trop sévèrement notre capacité à repérer des signaux sanitaires.

Pour ce qui est de la recherche en santé environnement, il nous faut mobiliser tous les organismes de recherche. Au-delà du CNRS, de l'INSERM, de l'ANSES, nous avons besoin de toutes les alliances, que ce soit en sciences humaines et sociales – avec l'alliance Athéna – ou en sciences de l'environnement – avec l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi). Au sujet du chlordécone en Guadeloupe et à la Martinique, nous avons organisé un colloque scientifique réunissant les trois alliances de recherche, mais aussi l'ensemble des présidents et des directeurs des organismes d'expertise que sont l'INCa, l'ANSES et Santé publique France, qui sont intervenus auprès de la population pour mieux l'informer. Nous avons évidemment l'intention de promouvoir ce type de colloques, car nous avons besoin d'expertises croisées pour améliorer notre connaissance sur les risques environnementaux.

M. Door m'a interrogée sur la baisse de 9 millions d'euros de crédits du pilotage de la politique de santé publique. En fait, cette baisse porte exclusivement sur les crédits liés aux actions de contentieux et, du fait d'un report d'environ 30 millions d'euros des crédits de 2018 sur 2019, nous aurons plutôt un accroissement des crédits destinés au pilotage – il n'y a donc aucune inquiétude à avoir sur ce point.

M. Christophe, M. Touraine et M. Door m'ont également questionnée sur l'AME. Comme je l'ai dit, la prévision annuelle des dépenses sur ce point est complexe. L'évolution de la population concernée dépend évidemment des flux migratoires, mais aussi du statut des personnes, puisque les réfugiés et les demandeurs d'asile dont la demande est en cours d'instruction bénéficient de la protection universelle maladie (PUMA). Le montant des dépenses au titre de 2017 a été légèrement dépassé – de 37 millions d'euros. Pour 2018, nous anticipons un besoin de crédits complémentaires de l'ordre de 22 millions d'euros pour l'AME de droit commun, sur un total en loi de finances initiale de 2018 de 840 millions d'euros. Il ne s'agit pas d'une sous-budgétisation à proprement parler, puisque cela ne représente qu'un écart de moins de 2,5 % de la dépense budgétée sur une population très difficile à évaluer.

En 2019, le montant des crédits pour l'AME de droit commun sera porté à 893 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 6,3 % prenant en compte une hypothèse d'évolution des effectifs de 4,6 %. Cela dit, je tiens à rappeler que nous sommes très attentifs aux conditions de délivrance, et que nous sommes en train de cadrer le dispositif en centralisant les demandes sur trois caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), à savoir Paris, Marseille et Bobigny. L'augmentation des taux de contrôle nous permettra d'avoir une meilleure lisibilité sur les publics concernés et nous sommes, comme vous, convaincus que la régulation de ces dépenses passe par une meilleure efficience de la gestion, mais aussi par un renforcement des contrôles.

Ces trois caisses centralisatrices instruiront tous les dossiers d'AME de la métropole pour réaliser des économies de gestion. Nous passerons à 12 % de dossiers doublement contrôlés par les agences comptables en 2020, au lieu de 10 % aujourd'hui, la durée de leur instruction passera à vingt jours, contre vingt-cinq aujourd'hui, et nous améliorerons le pilotage de la dépense grâce à des données plus fournies sur le type de demande. Aujourd'hui, demandeurs et bénéficiaires de l'AME sont, je tiens à le rappeler, contrôlés au même titre que les assurés par la CNAMTS, voire plus : ils sont contrôlés à chaque étape de l'instruction et de la remise du titre. Plus de 10 % des dossiers font l'objet d'une double instruction chaque année par les services de l'agent comptable et le ministère des affaires sociales travaille aujourd'hui avec le ministère de l'intérieur pour permettre aux CPAM d'accéder à la base de données des visas pour éviter les fraudes à l'AME liées à la dissimulation de visas. Un travail en cours permettra donc d'améliorer encore les dispositifs en 2020. Enfin, pour répondre à certaines inquiétudes qui s'expriment régulièrement, je rappelle que l'AME ne couvre évidemment pas du tout le même panier de soins que celui des assurés sociaux. Sont seuls concernés les soins considérés comme essentiels, non les médicaments aujourd'hui remboursés à 15 %, les cures thermales, les actes, examens et médicaments nécessaires à l'assistance médicale à la procréation, les médicaments princeps substituables par des génériques. Un grand nombre de dispositions visent donc à encadrer la dépense. Le panier de soins de l'AME est réduit par rapport à celui de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). L'AME ne couvre pas les dépenses allant au-delà du tarif de base de remboursement de la sécurité sociale pour les prothèses dentaires, les lunettes, les prothèses auditives. Le reste à charge est donc important sur ces postes de dépenses qui sont considérés comme moins essentiels. On ne peut donc pas dire qu'un Français bénéficiant de la CMU-C serait moins bien traité qu'un bénéficiaire de l'AME. Quant à faire entrer l'AME dans le droit commun de la sécurité sociale, possibilité évoquée par deux d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, je reste pour ma part attachée à une séparation entre ce qui relève de la solidarité nationale et donc de l'impôt, comme le minimum vieillesse ou l'allocation adulte handicapé, et ce qui relève du risque assurantiel, encore majoritairement payé par nos cotisations. Je ne souhaite donc pas une fusion des dispositifs.

La prévention institutionnelle, c'est celle qui est financée et organisée par des fonds et des programmes de prévention nationaux ou départementaux. En 2017, les montants concernés augmentaient de 4 % par rapport à 2016, pour atteindre 5,9 milliards d'euros. Dans le champ des soins de ville, des soins de l'hôpital, des médicaments et dispositifs médicaux qui relèvent de la prévention, ce qu'on appelle la prévention non institutionnelle représentait 9,1 milliards d'euros en 2016 – ce sont des dépenses de l'assurance maladie. Le total est donc de 15 milliards d'euros. Ces données figurent à l'annexe 7 du PLFSS.

Il existe effectivement non pas un fonds unique de financement de la prévention, mais un grand nombre de supports différents : le FNPEIS, géré par la CNAMTS, le fonds de lutte contre le tabac, les crédits du programme 204, le FIR, la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) gérée par la CNAMTS, mais également les budgets des collectivités territoriales, qu'il est très difficile, pour moi, de « faire remonter », ainsi que des budgets d'autres ministères, que nous essaierons de flécher dans le plan « Priorité prévention ». Nous essayons de consolider progressivement tout ce qui relève de la prévention.

Nous sommes quand même en train de changer de paradigme du point de vue de l'exercice de la médecine. Jusqu'à présent, la prévention était, en gros, l'oeuvre des agences, avec de grandes campagnes, tandis que les soins curatifs étaient financés par l'assurance maladie. Les acteurs étaient complètement différents, les professionnels de santé, les personnels soignants étant très peu impliqués dans la prévention. Je souhaite réintégrer complètement la prévention dans le champ des professionnels de santé. Un message de prévention ne peut pas être mieux compris que quand il est délivré par un médecin, par une sage-femme, par un professionnel ; il est alors mille fois mieux entendu. Lorsque je présidais l'Institut national du cancer, j'ai fait des campagnes de prévention sur les dépistages du cancer, de grandes campagnes grand public qui coûtaient des millions d'euros. Ces campagnes n'incitaient à faire une mammographie ou un dépistage du cancer colorectal que dans 20 % à 30 % des cas lorsque le message émanait du ministère de la santé. Lorsque le même message est délivré par un médecin généraliste à son patient, il est entendu dans plus de 80 % des cas. Il faut donc arrêter de s'arc-bouter sur ces budgets institutionnels de la prévention.

Dans le cadre du plan « Ma santé 2022 », j'ai décidé de diversifier la façon dont nous finançons la médecine et de progresser vers un financement des hôpitaux et de la médecine de ville au forfait – notamment pour la prise en charge des pathologies chroniques. Je veux ainsi intégrer dans cette forfaitisation tous les actes et toutes les missions de prévention, notamment la prévention secondaire et l'activité physique pour les pathologies chroniques. Elles se développeront bien plus si elles sont intégrées d'emblée dans le forfait de prise en charge par des professionnels de santé que si elles restent un message du ministère ou de Santé publique France. J'entends la demande d'un accroissement et d'une meilleure lisibilité des budgets dédiés à la prévention ; d'ailleurs, tous augmentent. Cependant, ma stratégie repose sur le fait que la prévention ne peut plus être séparée du soin et qu'elle sera totalement intégrée dans la façon dont nous allons financer la médecine. C'est un élément important pour appréhender mon action.

Prenons, par exemple, le service sanitaire. Voilà une action de prévention qui ne fait l'objet d'aucun financement d'agence, et pourtant ce sera redoutablement efficace. Nous avons travaillé pendant un an, et un rapport a été fait à la fois par des représentants d'étudiants, des doyens de faculté de médecine et des professionnels de santé sur ce que devait être le service sanitaire. Ce sont 47 000 étudiants de six professions de santé différentes – pharmaciens, sages-femmes, médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et chirurgiens-dentistes – qui auront l'obligation, au cours de leur cursus, de consacrer trois mois à l'éducation à la santé et à la prévention. Ils suivront alors un programme d'appropriation des outils d'éducation à la santé avec des professionnels de la santé publique. La prévention et l'éducation à la santé seront l'objet d'un enseignement dans le cadre de leur cursus. Ensuite, ils iront dans les territoires. Des accords-cadres entre les recteurs d'académie et les directeurs d'agences régionales de santé sont mis en place pour qu'ils identifient des lieux, notamment dans les collèges, les lycées ou les écoles, pour que ces jeunes, pendant quelques jours ou quelques semaines, fassent avec les classes de l'éducation à la santé. Les expérimentations menées dans différentes facultés montrent que cette prévention par les pairs, ces messages de prévention délivrés par des jeunes à d'autres jeunes sont incroyablement bien compris et transmis. À l'issue de leur déploiement sur le territoire, ces jeunes étudiants en santé feront un rapport pour que nous puissions améliorer, l'année suivante, les outils, le déploiement dans les lieux de stage, etc. En plus, le déploiement de ces étudiants sera obligatoirement interdisciplinaire – ce ne seront pas des médecins avec des médecins mais des médecins avec des sages-femmes, avec des étudiants en dentaire, etc. Les écoles et les doyens y travaillent, sous l'égide à la fois du ministère de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation et de mon ministère. Ce pilotage par les deux ministères est extrêmement attentif, et les doyens et tous les directeurs d'école – d'infirmières, de masseurs kinésithérapeutes… – sont complètement impliqués. Nous verrons évidemment ce qu'il en est au terme de cette première année, qui commence, mais il est prévu que d'autres lieux que les collèges et les lycées puissent être retenus : en entreprise, dans les EHPAD, partout où l'on estime nécessaire de renforcer l'éducation à la santé.

Cela me paraît un outil formidable pour que les jeunes étudiants en santé s'approprient les discours de prévention. C'est en cela que c'est un changement de paradigme profond que je souhaite dans la façon dont on enseigne leur métier aux professionnels de santé. Je pense que ces jeunes garderont ancrés en eux ces messages de prévention dans leur exercice professionnel auprès de leur patientèle, et qu'ils seront évidemment des « ambassadeurs santé » auprès de tous ces publics.

Je vous rassure : les crédits prévention du programme 204 ne diminuent pas. Il peut y avoir, à la marge, des redistributions entre actions d'une année à l'autre. Globalement, les crédits restent stables ou, telle la dotation à l'ANSP, augmentent. Les crédits de ce programme dédié à la prévention passent de 87,8 millions d'euros à 89,1 millions d'euros.

Et, puisque Mme Dubié m'a interrogé sur les crédits dédiés à la démocratie sanitaire, il n'y a pas non plus de baisse des subventions aux associations au titre du programme 204 en 2019. Les moyens de la démocratie sanitaire sont même confortés grâce au Fonds national pour la démocratie sanitaire, au bénéfice de France Assos Santé, qui représente les usagers et les associations de malades.

Je souhaite un changement de paradigme en matière de démocratie sanitaire aussi. Notre vision de la démocratie en santé est purement liée à la représentation, avec des associations qui siègent dans les conseils de surveillance des hôpitaux ou au ministère. Cela ne passe que par les représentants de patients ou d'usagers. Avec le plan « Ma santé 2022 », nous franchissons un cap, à la suite du Québec, du Canada ou d'autres pays, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas. Nous souhaitons que la démocratie sanitaire existe dans le quotidien de la régulation de la médecine. C'est la raison pour laquelle le financement au forfait, au parcours de soins, que nous allons mettre en place comportera des indicateurs de satisfaction des patients, des indicateurs « d'expérience patient ». Cela existe dans d'autres pays. Pour ma part, je veux une démocratie sanitaire du quotidien qui irrigue en permanence notre exercice de la médecine, qui permette aux professionnels et aux établissements de s'améliorer. Cela va évidemment bien au-delà de la démocratie sanitaire représentative.

M. Hammouche m'a interrogé sur la Dépakine. Notre priorité, c'est évidemment l'indemnisation des victimes. C'est l'urgence. Nous avons décidé d'accélérer autant que faire se peut les indemnisations. Elles commenceront donc dès la fin de l'année avec la détermination des conditions d'imputation de responsabilité, évidemment nécessaires. Le recours contre Sanofi ne peut, en tout état de cause, intervenir que dans un deuxième temps. À ce jour, 1 087 demandes ont été déposées auprès de l'ONIAM. Des crédits d'un montant de 77 millions d'euros sont inscrits au PLF2019. Ils seront suffisants, mais je tiens à rappeler, comme je l'ai fait lors de l'examen du PLFSS, que j'ai demandé à mes services d'être proactifs dans le repérage des femmes enceintes ayant été traités par la Dépakine afin que nous soyons certains que toutes peuvent bénéficier d'une indemnisation. Nous allons retourner sur la base de données de l'assurance maladie à partir de 2011 pour retrouver les femmes exposées à la Dépakine et contacter leur médecin traitant pour voir si les enfants ont besoin d'un suivi particulier ou si ces femmes et ces familles ont besoin d'une indemnisation en tant que victimes de la Dépakine. Vous le voyez, nous sommes extrêmement vigilants, afin que tout le monde soit pris en compte.

J'en viens aux EHPAD, dont il fut largement question dans le cadre de l'examen du PLFSS. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) médico-social progresse de 2,6 %, ce qui tient évidemment compte de l'accélération – par rapport à ce qui était initialement prévu dans le plan de tarification des EHPAD – de la convergence tarifaire. Dès 2019, 125 millions d'euros seront dégagés pour les soins dans les EHPAD, à quoi il faut rajouter tous les postes d'infirmières de nuit, tout ce que nous faisons pour avoir des lits d'hébergement temporaire, pour les sorties d'hospitalisation, et les 30 millions d'euros de crédits votés en faveur de la prévention de la perte d'autonomie dans les EHPAD. Un observatoire national pour la qualité de vie au travail des professionnels de santé a été mis en place au mois de juin dernier, présidé par le professeur Philippe Colombat, et une mission sur la bientraitance a été confiée M. Denis Piveteau, qui doit me rendre un rapport au mois de janvier prochain. Il y a aussi tous ces crédits qui nous serviront à améliorer la qualité des prises en charge en EHPAD au cours de deux prochaines années, et j'ai demandé aux ARS de neutraliser l'effet de la convergence tarifaire pour qu'aucun EHPAD ne voie son budget diminuer. Nous avons ouvert une grande consultation sur la perte d'autonomie et le grand âge. Elle aboutira à un projet de loi à la fin de l'année 2019, qui traitera précisément de toutes ces questions. Le Gouvernement a donc pleinement intégré la nécessité d'une vraie réflexion sociétale dans un champ qui n'a probablement pas bénéficié d'un accompagnement suffisant au cours des dernières années. Je n'évoque pas toutes les mesures que nous prenons en ce qui concerne le changement de mode de tarification pour les soins à domicile – une mission est en cours au ministère –, d'autant que nous avons déjà abordé tout cela dans le cadre de l'examen du PLFSS. En tout cas, dès 2019, un projet de loi pourra viser à changer les modes de tarification l'accompagnement et surtout notre modèle de société.

Je ne peux, monsieur Perrut, accepter que l'on parle d'attentisme des pouvoirs publics en matière d'oncopédiatrie ! J'ai fait des cancers des enfants l'axe prioritaire du plan « Cancer 2014-2019 », que j'ai moi-même rédigé. Les montants alloués à la recherche en cancérologie pédiatrique que vous évoquez, souvent évoqués par les associations, correspondent en fait aux chiffres européens. Les 3 % auxquels vous faites référence ne correspondent pas du tout à notre réalité : en France, 10 % des crédits de la recherche sont consacrés aux cancers des enfants !

Aujourd'hui, quatre enfants sur cinq guérissent. La recherche doit améliorer les conditions de vie et de traitement de ces enfants. Nous devons travailler à des désescalades thérapeutiques, à la réduction du risque de séquelles, nous devons améliorer la connaissance des cancers pédiatriques – nous en avons déjà un registre, tenu par l'INSERM, qui prend en compte tous les enfants, de zéro à quinze ans, atteints de cancers, et nous permet de disposer d'informations sur la grossesse des mères, sur les risques environnementaux. Tout cela est assez bien structuré.

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