Intervention de Émilie Chalas

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 21h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Chalas, rapporteure pour avis :

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous le savez, l'année 2018 est une année charnière. Depuis le mois de janvier, plusieurs cycles de concertation se sont ouverts avec l'ensemble des organisations syndicales et les représentants des employeurs des trois versants de la fonction publique. De nombreux sujets essentiels ont été abordés, qu'il s'agisse de la gestion des ressources humaines et du développement de la contractualisation, de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, du renforcement du dialogue social, ou encore des politiques de rémunération des agents publics. Parallèlement, la démarche « Action publique 2022 », enclenchée à la fin de l'année dernière, a été l'occasion d'engager une réflexion légitime et nécessaire sur l'avenir de notre fonction publique.

Ces chantiers poursuivent une ambition claire : transformer en profondeur la fonction publique, non pas pour renier ses fondements, mais bien pour réussir la modernisation qui sera la garantie sine qua non de son succès. C'est, bien sûr, le sens des réflexions qui entourent la préparation du futur projet de loi que le Parlement examinera l'année prochaine. Chacun de nous est attaché au modèle de la fonction publique tel qu'il s'est construit au fil des décennies. Si ce modèle a permis de construire un État solide, dont le rôle et la légitimité ne doivent pas être remis en cause, nous savons aujourd'hui que la fonction publique doit aussi s'adapter aux impératifs d'ouverture, de mobilité et de diversité qui s'imposent à notre société, ainsi qu'aux exigences d'efficacité croissante auxquelles elle doit répondre. C'est dans cette perspective résolument tournée vers l'avenir que j'ai souhaité orienter les travaux que j'ai eu l'honneur de conduire en tant que rapporteure pour avis du programme « Fonction publique » à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.

Comme ce fut le cas l'année précédente, mon avis budgétaire comporte une analyse des crédits du programme ainsi qu'une partie thématique, consacrée cette année au thème transversal, mais décisif, du management dans la fonction publique. J'ai également souhaité réaliser un suivi des douze propositions que j'avais formulées à l'occasion de l'avis budgétaire pour 2018, ce qui a été l'occasion de constater que, si certaines sont pour l'instant restées lettre morte, ce que je regrette, la plupart ont été mises en oeuvre ou sont en voie de l'être.

Pour ce qui est de la partie budgétaire, je ne reviendrai pas en détail sur l'évolution des crédits au sein du programme « Fonction publique » : c'est un exercice que la commission des Finances accomplit avec la rigueur et la précision qui la caractérise. Néanmoins, je souhaite mettre en lumière un sujet que j'estime particulièrement important, car il se situe au coeur de nos préoccupations, à savoir l'apprentissage. Le projet de loi de finances prévoit en effet de redéployer les crédits dévolus au financement de l'apprentissage dans la fonction publique, soit environ 30 millions d'euros, vers l'ensemble des programmes pilotés par chaque ministère afin de simplifier la gestion financière du recours aux apprentis. Si cette explication est évidemment recevable, il me semble cependant nécessaire de s'assurer que l'enveloppe financière globale affectée à l'apprentissage en 2019 ne diminuera pas : nous devons en effet atteindre l'objectif fixé par le Président de la République de 10 000 apprentis recrutés chaque année dans la fonction publique. À l'issue des multiples auditions que j'ai menées dans le cadre de l'élaboration de cet avis budgétaire, toutes les personnes que j'ai interrogées, qu'elles travaillent dans la fonction publique territoriale ou de l'État, soutiennent le développement de l'apprentissage. C'est une chance pour les employeurs publics d'attirer de jeunes talents, quelles que soient leurs études, leur parcours ou le métier qu'ils souhaitent exercer. C'est aussi, pour ces jeunes, une véritable chance de s'insérer dans le monde du travail et de développer des compétences et des qualités dont ils ont vocation à faire profiter le service public. À ce titre, je propose dans mon rapport de permettre aux employeurs publics de titulariser les apprentis dans un corps ou un cadre d'emplois de la fonction publique à l'issue de leur contrat d'apprentissage. Cette mesure contribuera à diversifier les recrutements au sein de la fonction publique en bénéficiant de l'expérience professionnelle acquise par ces jeunes qui auront donné pleinement satisfaction à leur employeur.

En ce qui concerne le budget de l'ÉNA, je ne veux pas rentrer dans les polémiques médiatiques stériles qui ont pu prospérer au cours de ces dernières semaines : la formation de la haute fonction publique est un enjeu d'excellence, et il est particulièrement regrettable d'en faire une source de controverse, visant uniquement à alimenter la défiance à l'encontre de nos institutions. Néanmoins, nous ne devons pas esquiver le débat sur la gestion budgétaire de cette école du service public, et c'est dans ce souci de transparence que j'approuve les orientations de réforme de l'ÉNA qui se concrétiseront à partir de l'année prochaine, et aboutiront à raccourcir la scolarité suivie par les élèves dans une perspective plus opérationnelle et à renforcer la nécessaire trajectoire de retour à l'équilibre budgétaire de l'ÉNA à court et moyen terme.

Pour être exhaustive sur l'analyse budgétaire, je précise que j'approuve les crédits du programme « Fonction publique » et que, contrairement à l'année dernière, je n'ai pas déposé d'amendements à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances. J'espère avoir l'occasion de développer certains sujets que je considère comme importants lors de l'examen au Parlement, dans quelques mois, du projet de loi de réforme de la fonction publique.

J'en viens maintenant au thème du management, auquel j'ai choisi de consacrer mon rapport cette année. Comme je l'ai précisé il y a quelques instants, la question managériale soulève de vastes questions qui correspondent aux enjeux essentiels de la transformation de l'action publique – les trois versants de la fonction publique étant, bien sûr, concernés. Je profite de cette occasion pour saluer la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec l'ensemble des administrations et organisations associatives, notamment territoriales, qui ont montré à quel point le processus de modernisation de la fonction publique s'appuie avant tout sur les femmes et les hommes de terrain, que ce soit dans les services déconcentrés, dans les collectivités ou à l'hôpital. Cependant, je suis également convaincue de la nécessité d'une impulsion par le haut, qui implique un pilotage transversal de l'action publique. C'est notamment la mission de la direction générale de l'administration de la fonction publique, qui assure désormais ce rôle indispensable de direction des ressources humaines (DRH) de l'État, comme le prévoit explicitement le décret du 22 décembre 2016.

Le management, c'est la capacité à articuler de façon efficace des techniques de gestion, d'organisation et d'animation. Si c'est une question globale qui touche l'ensemble des sujets relatifs à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique et qui ont été abordés lors des concertations que vous avez menées, Monsieur le secrétaire d'État, ce sont également des savoirs et des savoir-faire qui s'enseignent et s'apprennent au quotidien. Manager ne s'improvise pas, quel que soit le niveau hiérarchique. Comme vous le savez, mes chers collègues, de nombreux agents de catégories B ou C au sein de la fonction publique territoriale exercent des fonctions de chef d'équipe, plus que ne le font nombre d'agents de catégorie A travaillant dans la fonction publique de l'État. Le management n'est donc pas réservé à une élite et à ce que l'on appelle souvent péjorativement la « technocratie », c'est aussi un enjeu du quotidien dans nos services publics de proximité. Il me semble par conséquent indispensable de réfléchir de façon précise et concrète aux outils de gestion dont peuvent se saisir les agents exerçant des responsabilités d'encadrement à un niveau supérieur, intermédiaire ou de proximité dans le domaine administratif ou technique. Dans mon rapport, j'ai ainsi souhaité mettre l'accent sur la nécessité d'adapter l'ensemble des formations aux attentes et besoins professionnels des employeurs et des agents. Je déplore notamment l'existence de fortes disparités d'accès à la formation professionnelle entre, d'une part les agents de catégories B et C, et à d'autre part ceux de la catégorie A, alors même que les agents de la catégorie C représentent les trois quarts des effectifs de la fonction publique territoriale et sont potentiellement les plus exposés à un risque d'inaptitude professionnelle. La montée en puissance du compte personnel d'activité (CPA), étendu à tous les agents publics depuis 2017, devrait permettre de remédier à cette situation.

Je salue le travail qu'accomplissent actuellement nos collègues parlementaires, le député Jacques Savatier et le sénateur Arnaud de Belenet, que le Premier ministre a chargés d'une mission sur la formation et la gestion des carrières des agents des collectivités territoriales. Par ailleurs, j'évoque le sujet, à mes yeux essentiel, de la mobilité au sein de la fonction publique. Aujourd'hui, nous ne devons plus réfléchir à une organisation en vase clos, où chaque versant serait isolé des autres et dans laquelle les réflexes corporatistes portent préjudice à la cohésion d'ensemble. La mobilité des agents entre les versants est une source d'enrichissement mutuel, et mon rapport contient à ce sujet une préconisation relevant des préoccupations liées à la formation : je propose de développer la pratique du tutorat intercollectivité et inter-versant en autorisant la mise à disposition, pour des missions définies et une durée limitée, des agents publics contractuels qui souhaitent exercer des fonctions de formateur à l'extérieur de leur collectivité ou de leur administration.

L'impératif de mobilité concerne également le secteur privé, même si l'ouverture aux contractuels doit évidemment être encadrée. Ce sera notamment notre rôle de législateur, à l'occasion du projet de loi, de déterminer le cadre dans lequel ces évolutions nécessaires pourront avoir lieu. La rénovation globale de la formation des agents publics, qui s'est déjà enclenchée au niveau de la formation initiale des IRA et de l'ÉNA avec la réforme de la scolarité, s'intègre donc dans une réforme plus large du cadre de gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique. C'est dans ce mouvement que j'estime aujourd'hui indispensable qu'il convient de diffuser une véritable culture managériale au sein de la fonction publique. Je le répète, manager une équipe ne va pas de soi : c'est un ensemble de techniques, de méthodes, de connaissances et de savoir-faire qui s'apprend, que ce soit lors de la formation initiale ou dans le cadre de la formation professionnelle tout au long de la vie.

L'accompagnement managérial des agents publics a beaucoup progressé au cours de ces dernières années sous l'impulsion de la DGAFP, mais aussi du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres de gestion départementaux, situés au plus près des collectivités. C'est aussi l'un des objectifs du plan de transformation de la santé publique, présenté le mois dernier, que de permettre de soutenir le développement de pratiques managériales adaptées aux multiples enjeux auxquels l'hôpital public est confronté. Je souhaite que cette dynamique se renforce et, parmi plusieurs propositions, je préconise notamment de rendre obligatoire le suivi d'une formation au management pour tout agent public prenant pour la première fois des fonctions d'encadrement, quel que soit son grade, son statut ou sa fonction. Enfin, je présente dans mon rapport un ensemble d'exemples qui témoignent de la mobilisation de toute la fonction publique pour stimuler l'innovation managériale. Qu'il s'agisse du Fonds d'innovation RH, opérationnel depuis 2017, de l'ouverture de l'École de l'innovation managériale, que vous avez inaugurée le mois dernier à Toulouse, monsieur le secrétaire d'État, ou du développement de structures souples d'échange et de partage d'expériences entre les agents publics, la fonction publique présente ainsi de nombreuses et belles illustrations de sa créativité.

Pour conclure mon intervention, je souhaite aborder trois sujets complémentaires, dont certains ont déjà eté évoqués l'année dernière, ainsi que dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d'État. Premièrement, je réitère cette année la proposition que j'avais déjà formulée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, relative à l'exonération de jour de carence pour les femmes enceintes. Vous le savez, l'enjeu de l'égalité femmes-hommes me tient particulièrement à coeur, et cette mesure dont le coût budgétaire serait résiduel me semble à la fois juste et nécessaire. J'aimerais donc connaître l'état d'avancement de vos réflexions sur ce sujet.

Deuxièmement, je souhaite évoquer la question de la précarité dans la fonction publique territoriale. La précarité médicale d'abord, car 30 % des agents n'ont pas de complémentaire santé aujourd'hui : comment inciter les employeurs publics, y compris l'État, à contribuer efficacement à ce que l'ensemble des agents publics puissent être couverts ? La précarité financière ensuite, car la titularisation à hauteur de 50 % dans la fonction publique territoriale crée des travailleurs pauvres dans le secteur public, et cette situation se cumule à d'autres inégalités. Les agents concernés sont principalement des femmes non qualifiées, travaillant dans des services périscolaires de restauration ou de ménage. Je propose dans mon rapport d'établir un plancher de 75 % pour l'ouverture de la titularisation dans la fonction publique territoriale : qu'en pensez-vous ?

Troisièmement, la question du volume légal d'heures travaillées – 1 607 heures annuelles au sein de la fonction publique de l'État – doit faire l'objet de discussions quant à son application concrète au sein de la fonction publique territoriale. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question ?

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