Intervention de Richard Lioger

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Lioger, Grands organismes de recherche :

Merci, mes chers collègues, pour vos questions et pour l'intérêt que vous portez à ce domaine essentiel pour l'avenir de la France.

Monsieur Di Filippo, vous avez constaté l'année dernière que le budget de la recherche avait augmenté. Il en sera de même cette année. Je peux vous assurer que nous allons rattraper peu à peu notre retard, notamment par rapport à l'Allemagne, et atteindre l'objectif qui est de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche. Mais chaque chose en son temps. Nous devons être patients. Nous partons d'une situation assez difficile. Par ailleurs, il convient d'y aller progressivement eu égard aux contraintes qui pèsent sur le budget de la France, même si, tout comme vous, nous souhaitons que les chercheurs aient davantage de moyens financiers.

Vous avez parlé de l'application de la recherche fondamentale et de ses outils, donc des SATT et des IRT. D'une certaine façon, j'ai déjà évoqué cette question. Mais j'ajoute que j'ai pu constater, en tant qu'universitaire, puisque j'étais président d'université dans les années 2003-2004, que le travail entre les universités, les entreprises et les organismes de recherche était un peu compliqué sur le terrain : vulgairement, on « se tirait la bourre » ! Aujourd'hui, tout le monde a compris qu'il fallait vraiment travailler ensemble et mettre en place des unités mixtes de recherche – d'où l'importante question du financement de l'environnement des projets posée par les préciputs. Il me semble que l'on est en train de rapprocher progressivement recherche fondamentale et recherche appliquée, tout en sachant que l'une ne va pas sans l'autre.

Vous vous êtes par ailleurs interrogé sur les PIA et sur notre rapport à l'étranger. Nous le savons tous, la science est par nature un processus collaboratif au niveau international. Les chercheurs travaillent dans certains domaines, dans des laboratoires, mais la plupart de leurs collaborations se font avec les États-Unis, quelquefois avec la Chine, la Russie, ou avec des laboratoires qui travaillent dans le même domaine.

Faut-il développer cette collaboration ? Aujourd'hui, le CNRS n'a qu'une unité mixte de recherche internationale (UMR) en France – que je connais bien, puisqu'elle est située à Metz. De fait, il est difficile de développer les UMR, grâce auxquelles la recherche avec les laboratoires étrangers peut se faire de manière beaucoup plus efficace, notamment en termes de transfert de technologies vers la recherche appliquée. Cette UMR, qui est liée au Georgia Institute of Technology, également appelé Georgia Tech, travaille sur les lasers et l'optoélectronique, et fournit ainsi des applications concrètes en Lorraine et en Franche-Comté – puisqu'elle est mixte avec la Franche-Comté – pour l'industrie.

Il va donc falloir développer ce modèle, malgré les difficultés. Cela m'amène à répondre à la question sur la valorisation de cette recherche. Les SATT présentent un grand intérêt dans la mesure où, comme les IRT, mais plus encore, elles sont très localisées. Si l'on arrive à ce « mix » idéal entre une UMR dans une université, des organismes de recherche et une SATT qui travaillera avec un environnement industriel, on aura toutes les garanties pour réussir. J'ajoute que les SATT nous ont dit, et je crois qu'il faut aller dans leur sens, qu'elles jugent nécessaire de garder la propriété intellectuelle des brevets qui sont déposés par les organismes de recherche, ou en tout cas au sein de cet environnement tout à fait fondamental et fructueux.

Ce système, avec plusieurs étages, est un peu complexe. Mais je vous rappelle qu'il faut rapprocher deux mondes qui s'ignoraient largement il y a vingt ou trente ans : le monde de l'industrie, qui faisait sa propre recherche dans son coin, et le monde universitaire, qui ne voulait faire que de la recherche fondamentale. Les choses ont peut-être du mal à se mettre en place, mais tous les ingrédients sont là pour nous permettre d'y travailler.

M. Bolo n'a pas proprement posé de question, mais il a eu raison de souligner que le CEA était un puissant vecteur de dépôt de brevets ; j'ajoute que son département « CEA Tech » a également un rôle essentiel. Je l'ai dit tout à l'heure, c'est un outil de rapprochement, dans un contexte local, avec les universités.

La question de notre collègue André Villiers portait sur la fusion de l'INRA et de l'IRSTEA, que j'avais par ailleurs évoquée, et qui devrait coûter 8 millions d'euros.

Disons déjà que la fusion a été très bien préparée, que les deux directeurs ont associé les deux équipes de recherche, en les invitant à se regrouper en fonction des territoires et des domaines de recherche. Ainsi, il n'y a eu aucune disparition de laboratoires de recherche qui ait été imposée, ni d'un côté, ni de l'autre – notamment du côté de l'IRSTEA qui est de plus petite taille que l'INRA.

L'IRSTEA, qui travaille beaucoup sur les problématiques liées à l'eau, pourrait notamment se rapprocher des collectivités territoriales pour faire de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, par exemple en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) ou dans d'autres domaines essentiels pour les collectivités, afin de trouver des financements qui lui permettraient de développer ses laboratoires.

On a tendance à demander à l'INSERM de travailler sur de nombreux sujets, comme Ébola – le précédent Président de la République avait fait des annonces très fortes sur ce plan. Ces demandes, très importantes pour l'avenir de la santé au plan mondial, sont adressées au directeur de l'INSERM, mais celui-ci a un peu de mal à voir où sont les crédits correspondants : il reste à trouver de l'argent et il y aura donc un étalement dans le temps. L'INSERM cherche notamment à obtenir des financements dans le cadre de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

Je crois que l'on est revenu de l'idée très ambitieuse selon laquelle les SATT pourraient arriver à un autofinancement au bout de quatre ou cinq ans. J'ai pu constater dans le cadre de mes auditions que ce n'est sans doute pas possible. On est en train de chercher d'autres solutions de financement, y compris par des crédits publics. Les SATT jouent en effet un rôle très important, notamment pour la conservation des brevets.

La question des CIFRE posée par Mme Melchior est centrale. Ces bourses, qui lient très fortement l'industrie et les laboratoires de recherche, connaissent un plafonnement un peu problématique. J'ai interrogé les organismes de recherche et la Conférence des présidents d'université (CPU) : le premier facteur de blocage est la faible visibilité du dispositif dans les territoires. Il me semble qu'il faudrait vraiment faire un effort en la matière. Les entreprises qui utilisent les CIFRE se trouvent très majoritairement en Île-de-France, ce qui traduit un vrai problème. En outre, ce sont très souvent des entreprises de grande taille, qui sont habituées au dispositif : on devrait peut-être le faire « percoler » davantage en faisant plus de publicité, en étant plus proactif. C'est sans doute au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation qu'il appartiendrait de lancer un plan de communication. On doit faire en sorte que les petites et moyennes entreprises (PME) puissent utiliser, de manière effective, ce dispositif qui est essentiel dans le domaine de la recherche appliquée, elle-même indispensable pour le développement des PME.

En ce qui concerne la place de la recherche française au plan international, on constate – et cela ne vous étonnera pas – une montée en puissance extraordinaire de la Chine. Elle a mobilisé des fonds souverains pour développer des capacités dans ses laboratoires, et elle suit des stratégies très fortes, notamment dans le domaine du numérique. La Chine réalise des efforts colossaux, comme les États-Unis continuent à le faire aussi. Il y a une forte augmentation du nombre de publications en Chine, en Inde, en Corée du Sud et en Iran.

Cela doit nous conforter dans l'idée que la France ne peut pas rester complètement isolée : il faut miser sur la recherche européenne et internationale afin de concurrencer la montée en puissance des pays dits « émergents » – ils ont largement émergé, en fait, et ils continuent à investir massivement. L'accroissement des efforts de recherche reste le meilleur moyen de résister à cette tendance de fond. J'ai rappelé tout à l'heure, en réponse à M. Di Filippo, que l'Allemagne consacre 3 % de son PIB à la recherche : il faut que la France arrive à faire beaucoup plus qu'aujourd'hui. J'espère que nous arriverons à avoir un budget croissant d'année en année.

Par ailleurs, tout se tient : les efforts de regroupement des universités comptent également. Celles de Strasbourg et de Lorraine remontent ainsi très fortement dans les classements internationaux depuis leur rapprochement, notamment dans celui de Shanghai : elles ont une visibilité bien supérieure. De plus, il faudrait peut-être faire en sorte que les chercheurs ne signent pas leurs papiers au nom du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou de l'INRA, par exemple, mais au nom de l'université qui les héberge : il y a, là aussi, un travail à effectuer sur le plan de la visibilité, étant entendu que le travail de fond est en train de se faire grâce à la concentration des moyens des universités et des organismes de recherche – c'est une source d'efficacité, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer.

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