Intervention de Bénédicte Taurine

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBénédicte Taurine, rapporteure pour avis :

La France a connu une désindustrialisation considérable ces vingt dernières années. Le constat est connu : le poids de l'industrie dans le produit intérieur brut en France est passé de 16,5 % en 2000 à 12,6 % en 2016, soit une proportion faible en comparaison de ce qu'elle est chez nos voisins européens tels que l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne.

Après un rebond en 2017, la situation des entreprises industrielles redevient inquiétante. Certes, la production continue de progresser, mais à un rythme très ralenti. Les usines françaises n'arrivent pas à regagner des parts de marché. Beaucoup d'emplois sont détruits. En 2017, le secteur avait recréé des emplois pour la première fois depuis 2000. Or, depuis, la tendance s'est inversée. D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 1 000 emplois industriels nets ont été détruits au premier trimestre 2018. Les jugements des industriels sur leurs effectifs laissent anticiper que l'emploi dans l'industrie continuera de diminuer au cours des trimestres à venir, portant à 6 000 l'ensemble des pertes d'emploi dans l'industrie en 2018. Cette désindustrialisation entraîne de vraies catastrophes sociales et économiques. L'industrie joue, en effet, un rôle important dans l'économie française. Le budget de l'industrie se doit donc d'être à la hauteur de l'urgence.

Or, force est justement de constater la faiblesse de ce budget au sein du PLF pour 2019. Peu élevées – 144 millions d'euros –, les dépenses d'intervention de la mission « Économie » sont même en baisse de 1 % par rapport à 2018, voire de 2,75 % compte tenu de l'inflation hors tabac et de l'accroissement de la population.

Sont notamment supprimées les aides pilotées « en central » c'est-à-dire celles qui soutenaient, principalement sous forme d'appels à projets, les initiatives des filières professionnelles, notamment en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) ayant à faire face à des enjeux de compétitivité. Cette suppression est d'autant plus regrettable que ces aides étaient très précieuses. En 2018, elles ont, par exemple, servi à accompagner des sous-traitants de la filière diesel dans leur mutation vers des technologies alternatives.

Les crédits ciblés sur l'animation et la gouvernance des pôles de compétitivité sont stables à 14 millions d'euros. L'année 2019 marquera le début de la quatrième phase des pôles de compétitivité. Les modalités d'intervention financière de l'État évolueront à partir de 2020 ; le soutien au fonctionnement et à la gouvernance des pôles comprendra une part variable, en fonction des résultats individuels de chaque pôle dans les années précédant la quatrième phase, au regard des objectifs fixés pour celle-ci. Je m'interroge sur la pratique consistant à évaluer les résultats au regard d'objectifs fixés postérieurement. Les critères de performance pris en compte seront en effet les résultats aux appels à projets de recherche et développement nationaux et européens. Je crains que cela ne défavorise les pôles de petite taille, très utiles à l'écosystème industriel local voire national, mais insuffisamment grands pour répondre aux appels à projets européens.

Le PLF supprime également la dotation accordée à l'Agence France Entrepreneur (AFE), dans le contexte du transfert des missions de l'AFE à BPIfrance. Je m'interroge sur la manière dont BPIfrance pourra absorber cette activité, sachant que ses financements relevant de la mission « Économie » et de la mission « Recherche et enseignement supérieur » sont en baisse dans le PLF pour 2019.

Les crédits consacrés à la normalisation sont en forte baisse, alors même que celle-ci est un outil au service de la compétitivité et de la croissance des entreprises et traduit l'engagement de ces dernières à satisfaire un niveau de qualité et sécurité reconnu et approuvé.

Les crédits consacrés aux centres techniques industriels (CTI) et aux comités professionnels de développement économique (CPDE), d'un montant de 8,95 millions d'euros en 2019, sont en baisse de près de 10 % par rapport à 2018. Cette baisse est d'autant plus regrettable que ces centres exercent des missions de développement économique et technique précieuses au service des entreprises d'une filière.

Les dépenses fiscales sur impôts d'État de la mission « Économie », par contre, sont trop élevées : elles sont évaluées, en 2019, à 28 milliards d'euros. À titre d'exemple, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), entré en vigueur en 2013, est très coûteux pour les finances publiques. Les documents budgétaires ne précisent d'ailleurs pas le coût cumulé, en 2019, du CICE et du nouvel allégement de charges : d'après certaines estimations, il pourrait atteindre près de 40 milliards d'euros. Selon le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (REXECODE), la transformation du CICE en allégements de charges fera perdre 1,2 milliard d'euros à l'industrie. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), elle aura un impact négatif sur les créations d'emplois en 2019 et 2020.

Au terme de mon analyse, j'émets donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » pour ce qui concerne l'industrie.

J'ai souhaité consacrer la partie thématique de cet avis budgétaire à une question qui peut paraître relativement ciblée mais qui n'en est pas moins cruciale : celle de notre sécurité d'approvisionnement en métaux critiques.

Notre consommation de métaux critiques augmente d'année en année. Les métaux critiques sont ceux qui sont particulièrement importants pour notre économie et sur lesquels pèse un risque d'approvisionnement. Ils entrent dans la composition de produits de haute technologie, en premier lieu dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Ils sont en effet souvent nécessaires à la miniaturisation des équipements. Or, notre consommation de ces métaux a augmenté de façon considérable ces dernières années, poussée par les évolutions technologiques, démographiques et de niveau de vie. Trop peu de citoyens ont malheureusement conscience que de nombreux objets qu'ils utilisent, notamment les smartphones, en contiennent en quantité non négligeable. Nos besoins croissent également avec la transition énergétique, car ces métaux sont nécessaires aux batteries des véhicules électriques et hybrides, aux panneaux solaires et aux éoliennes.

Un début de prise de conscience apparaît, en France, au sein de l'Union européenne et dans les grands pays développés, quant à la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers, comme ce fut le cas, dans les années 1970, des approvisionnements énergétiques. La France est aujourd'hui fortement dépendante d'autres pays, et en particulier de la Chine, pour son approvisionnement primaire en métaux critiques.

Avant de se pencher sur les politiques à mettre en oeuvre, il est plus que nécessaire de réaliser un inventaire de nos besoins en ressources stratégiques, notamment en métaux critiques, dans les années à venir. Cette évaluation ne doit pas uniquement se baser sur les besoins actuels des industriels mais sur l'identification des besoins de la société dans son ensemble.

Plusieurs solutions s'offrent à nous : la recherche de matériaux alternatifs, le recyclage de métaux présents dans nos déchets, la réouverture voire l'ouverture de nouvelles mines. Aucune n'est malheureusement suffisante ni totalement satisfaisante.

La substitution, même si des substituts aux métaux critiques peuvent être trouvés pour des usages donnés, est loin d'être toujours possible. Les travaux de recherche gagneraient néanmoins à être poursuivis sur ce point.

Le recyclage de produits contenant des métaux est donc la solution à encourager en priorité. Elle permettrait de réduire notre consommation de métaux primaires et d'assurer une partie de notre sécurité d'approvisionnement. Il n'y a toutefois pas, en France, d'industriel du recyclage qui soit de taille comparable à celle des grandes entreprises étrangères comme Umicore, entreprise belge, Aurubis, entreprise allemande, ou Boliden, entreprise suédoise. Il faut donc encourager la structuration d'une filière industrielle française reposant sur des procédés de recyclage plus directs – en termes de nombre d'étapes – et moins lourds en termes de réactifs utilisés et de matériels nécessaires. La difficulté de faire émerger une véritable filière industrielle tient moins à la recherche-développement, qui est de bon niveau en France, qu'à l'absence de passerelle entre le monde de la recherche et l'industrialisation des procédés identifiés. Ce pourrait être le rôle du nouveau programme que je propose de créer, par voie d'amendement, au sein de la mission « Économie ».

Selon la direction générale des entreprises (DGE), que j'ai auditionnée, il faudrait une vingtaine de millions d'euros par an pour aider les PME du secteur du recyclage des métaux à passer de la phase de recherche-développement à la phase d'industrialisation. Cela doit devenir une priorité du comité stratégique de filière « Mines et métallurgie » au sein du Conseil national de l'industrie. D'autres mesures pourront être envisagées, à terme, lorsqu'aura progressé notre capacité à mesurer la teneur en métal critique des produits mis sur le marché. Plusieurs acteurs que j'ai rencontrés se sont prononcés pour une modulation plus importante de l'éco-contribution afin d'inciter les industriels à moins utiliser de métaux critiques ou à incorporer des métaux recyclés. Il est donc nécessaire de soutenir nos filières du recyclage.

Néanmoins, les ressources recyclables contenues dans nos déchets ne seront pas suffisantes pour répondre aux besoins actuels des pays industrialisés, surtout si nous n'arrivons pas à diminuer notre consommation. Si – et seulement si – l'évaluation de nos besoins fait apparaître la nécessité de recourir de nouveau à l'extraction, alors pourra être envisagée l'ouverture de mines. Toute réouverture ou ouverture de mine devra être passée au crible de nombreux critères économiques, environnementaux et sociétaux, dont certains figurent dans mon rapport. Les conséquences néfastes de l'activité minière dans le monde sont, en effet, nombreuses, tant sur les écosystèmes et l'environnement que sur les sociétés humaines et la vie quotidienne des populations.

On a souligné qu'en France, la remise en état et la dépollution des sites qui ont été exploités n'ont pas été réalisées. France Libertés rappelle que l'effondrement d'un barrage au Brésil, en 2015, et les coulées de boue toxique qui s'en sont suivies ont fait au moins 15 morts et 45 disparus. Cet exemple montre que la stratégie des multinationales est de faire le maximum de profit, sans réellement prendre en compte le risque de catastrophes potentielles. Personne ne se soucie des déchets qui sont produits et ne sont pas retraités, de sorte qu'ils s'accumulent. Par conséquent, je le redis, la réouverture de sites, si elle est envisagée, doit être mise en balance avec les inconvénients qui seront liés à ces réouvertures.

Enfin, je souhaite mettre l'accent sur l'importance de l'écoconception. Elle est nécessaire, à la fois pour réduire la quantité de métaux utilisée et pour faciliter le recyclage de ces métaux. Des pièces aisément démontables facilitent, par exemple, le recyclage ultérieur des produits.

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