Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mardi 6 novembre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Administration générale et territoriale de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la présente discussion porte sur plusieurs missions budgétaires distinctes, qu'il ne me sera pas possible d'aborder en détail, si ce n'est pour constater et déplorer une fois de plus la logique austéritaire qui est à l'oeuvre, au détriment de l'intérêt général. Je consacrerai ma brève intervention à la mission « Immigration, asile et intégration », en commençant, pour la clarté et la sincérité de nos débats, par évacuer un certain nombre de contre-vérités flagrantes et dangereuses qui truffent votre projet de budget.

Dans l'annexe au projet de loi de finances relative à cette mission, vous parlez de « pression migratoire exceptionnellement élevée ». Voilà bien une fake news ! C'est d'ailleurs l'INSEE – Institut national de la statistique et des études économiques – qui le dit : la proportion de personnes immigrées dans la population française est à peu près la même depuis le début des années 2000, à savoir 0,3 %, et la plus grande part – 37 % – est constituée par des Européens et des Européennes. En revanche, il y a eu une augmentation des demandes d'asile et, face à ces personnes demandant une protection que la France est censée leur garantir, le compte n'y est toujours pas.

Dans la même annexe, vous avez recours à un grand classique : « Compte tenu de la conjoncture économique et de ses conséquences en termes d'emploi, l'immigration professionnelle doit être régulée. » Encore une fake news ! Les travaux d'économistes spécialistes des migrations tels qu'Anthony Edo, d'une part, ou Hippolyte d'Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, d'autre part, montrent que les personnes migrantes en général et celles qui demandent l'asile en particulier constituent non pas un poids pour l'économie du pays, mais plutôt un facteur de dynamisme.

À travers ces deux exemples, nous voyons que vos politiques, dont les conséquences humaines et sociales sont désastreuses, sont fondées sur des mensonges que vous inventez ou que vous relayez et légitimez. Nous l'avions déjà constaté lors des débats sur l'odieuse loi relative à l'asile et à l'immigration que votre majorité a votée il y a quelques mois. Dans ces conditions, votre projet de budget ne peut être qu'irrémédiablement vicié.

Si nous apprécions positivement l'augmentation de plus de 40 % des moyens alloués au programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », nous déplorons, en revanche, la progression, plus substantielle encore – plus de 60 % – , des crédits de l'action 03 du programme 303 « Immigration et asile ». En effet, la quasi-totalité de ces moyens supplémentaires sera consacrée à une augmentation de 30 % de la capacité des centres de rétention administrative – 37 millions d'euros en plus pour 450 places de plus. Cela permettra aussi, il est vrai, le doublement de la prise en charge sanitaire des personnes placées en centre de rétention administrative, ce qui est tout de même la moindre des choses.

Vous faites ainsi, clairement, le choix de l'enfermement, redoublant l'indignité et l'inefficacité de votre politique. L'indignité, car vous privilégiez la construction de centres de rétention administrative où vous pourrez désormais enfermer des familles, y compris des enfants et des bébés, jusqu'à quatre-vingt-dix jours. L'inefficacité, car vous prétendez évaluer votre politique à l'aune du « nombre de retours forcés exécutés », alors même qu'il est largement démontré que l'enfermement ne constitue pas un élément déterminant pour accroître l'effectivité des éloignements.

Les six grandes associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative ont dénoncé une fois de plus, en juillet dernier, dans leur huitième rapport commun sur le sujet : « la continuité d'une politique de rétention dont les abus déjà signalés au cours des dernières années se sont encore amplifiés. Malgré ces dérives, aucune remise en question du bien-fondé d'une pratique dont les coûts économiques et humains sont largement disproportionnés au regard des résultats obtenus ne se profile. »

Ces associations ont, en outre, exhorté les pouvoirs publics à « repenser fondamentalement l'usage actuel de la rétention. Banalisée et détournée, la rétention est trop souvent inutile et déshumanisante à l'égard d'un public qui se trouve, de surcroît, de plus en plus criminalisé par sa situation administrative. Les associations signataires de ce rapport commun appellent ainsi l'attention du Gouvernement, comme des parlementaires, sur l'urgence d'un changement de cap, plus que jamais nécessaire. »

Ce changement de cap, nous le proposons, avec les moyens qui l'accompagnent. Il est fondé sur une conception humaniste et réaliste, qui bat en brèche la vision mesquine et xénophobe que l'on donne depuis trop longtemps des personnes migrantes. Celles-ci sont mises en situation irrégulière par le parcours d'obstacles administratifs constamment placés sur leur chemin. Ce ne sont ni des délinquants ou délinquantes ni des terroristes en puissance, mais des étudiants, des parents, des travailleurs et travailleuses, qui nettoient des bureaux, des chambres ou des rues, prennent soin des enfants ou des aînés, enrichissent notre culture de leurs créations, construisent des routes ou des bâtiments, découvrent de nouveaux horizons du savoir et de la connaissance. Ce sont les petites mains et les grands cerveaux qui participent à la communauté nationale. Ils et elles n'ont rien à faire en centre de rétention. Ils et elles doivent être, au contraire, régularisés.

Votre entêtement budgétaire traduit l'impasse de la politique que vous menez en France comme en Europe. Ici, vous budgétisez la construction de centres de rétention et alimentez la lepénisation des esprits. Là-bas, vous financez toujours plus Frontex et vous vous alignez, de fait, sur la vision xénophobe de la bande à Kurz, Orban et Salvini. Vous vous comportez ainsi comme des pantins désarticulés dont la bouche prononcerait des serments d'humanité pendant que la main signerait l'arrêt de mort de milliers de personnes en Libye ou en Méditerranée. Parce que nous défendons une tout autre politique, nous nous opposons résolument à la vôtre. Nous ne voterons donc pas ces budgets.

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