Intervention de Hubert Julien-Laferrière

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis :

Il faut revenir sur la distinction entre l'APD et la mission APD. L'aide publique au développement représente 10 milliards d'euros, la mission APD représente 3,1 milliards d'euros. S'ajoutent un milliard de financements innovants, la coopération décentralisée, et le reste de la politique transversale. L'OCDE détermine quels pays sont dits « en développement ». Quand des transferts financiers sont effectués vers ces pays, cela est comptabilisé. Quand Israël est sorti des pays en développement, cela a fait baisser la politique américaine d'aide au développement… Quand on comptabilise tout ça, il faut faire très attention. Aujourd'hui, la Chine est encore un pays en développement, même si elle est dans la dernière tranche. Le jour où cela sera modifié, nos dépenses d'écolage pour les étudiants chinois ne seront plus comptabilisées et notre aide au développement baissera. On voit qu'il n'y a pas assez de lisibilité ; dans le document de politique transversale, on a un milliard d'euros d'écolage qui sont comptabilisés en APD. Nous devons être vigilants sur la trajectoire : les cinq à six milliards supplémentaires d'ici 2022 doivent être dans la mission APD. Il ne faut pas uniquement respecter la trajectoire de 0,55 % du PIB, mais également bien regarder où se fait l'augmentation.

Concernant le continuum sécurité-développement, les dépenses militaires ne sont pas comptabilisées, mais il faut rappeler que pour faire de l'aide au développement, on a besoin de sécurité, de stabilité, de bonne gouvernance. Il faut que les citoyens des pays en développement aient confiance en leur gouvernement. Ainsi, il ne faut pas comptabiliser les dépenses militaires, mais quand un pays comme la France fait beaucoup pour maintenir la sécurité dans le Sahel, les autres pays qui en font moins militairement peuvent générer plus d'aide au développement.

Concernant la budgétisation, on ne peut pas à la fois dire que la budgétisation c'est moins de sécurité des financements, et dire qu'il faut plus de pilotage. Entre les PLF 2018 et 2019, il y a eu un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Au moins jusqu'en 2022, les financements sont sécurisés, car il y a une trajectoire. La budgétisation au profit de la mission Aide Publique au Développement signifie plus de pilotage politique de notre aide. Quand on budgétise 270 millions d'euros, comptablement on n'est plus à 50 pour cent de Taxes sur les Transactions Financières (TTF) affectées au développement. Il faudra un jour rééquilibrer cela si nous voulons que les crédits de paiement correspondent aux autorisations d'engagement.

La question des décaissements et de l'aide détournée, c'est la question de l'effectivité de notre APD sur le terrain. Auparavant, nous refusions de donner directement aux gouvernements locaux pour privilégier le pilotage, par peur des détournements. Depuis une dizaine d'années, surtout à l'Union européenne, on a décidé de faire de l'aide budgétaire destinée aux gouvernants. En réalité, il faut être pragmatique : on fait évidemment plus d'aide budgétaire quand la gouvernance est bonne, et plus d'aide aux projets quand la gouvernance est moins efficace ou corrompue. Aujourd'hui l'aide aux projets s'efforce d'inclure au maximum la gouvernance locale et les acteurs locaux, pour répondre aux objectifs de la Déclaration de Paris de 2005. Cette dernière favorise notamment l'alignement sur les priorités des pays bénéficiaires, afin qu'ils s'approprient l'aide au développement.

Sur le débat « bilatéral-multilatéral », je soutiens l'idée du CICID selon laquelle l'augmentation doit bénéficier aux deux tiers au bilatéral et un tiers au multilatéral. Le multilatéral n'est pas mauvais. Il se trouve que le bilatéral a souffert d'une perte de 40 pour cent de crédits budgétaires depuis 2010, car le bilatéral a fait office de variable d'ajustement. Nous devons retrouver notre capacité bilatérale, mais l'APD n'est pas que de la diplomatie d'influence : le multilatéral marche aussi, parfois mieux. Par exemple, le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est très efficace ; la France en est le deuxième contributeur. Il en va de même pour le fonds mondial pour l'éducation, qui est composé de bilatéral et de multilatéral. Il faut bien sûr rappeler que dans le contexte international actuel, il est bon que la France soutienne des politiques multilatérales.

Sur le développement et la coopération décentralisée, je donne la priorité dans le rapport à cet enjeu urbain. Il faut associer davantage les collectivités locales ; l'Agence française de développement est une des rares dans les pays développés à faire ce que l'on appelle du « non souverain », c'est-à-dire financer les collectivités locales des pays en développement. La coopération décentralisée française a longtemps été vue par l'État d'un oeil méfiant, mais aujourd'hui elle jouit d'un véritable partenariat. Il faut aller loin : la politique d'aide au développement a besoin des collectivités françaises. C'est d'ailleurs pour cela que l'AFD a des conventions avec des grandes villes françaises pour agir de manière plus efficace dans les villes des pays en développement. Par exemple, quand l'AFD veut agir pour l'assainissement à Ouagadougou, il vaut mieux qu'elle travaille avec le grand Lyon qui depuis vingt ans fait de la coopération décentralisée dans ce domaine, et qui connaît bien ses acteurs. Pour les co-financements, il existe la FICOL (financement des collectivités locales) dans le domaine des services urbains. On a d'ailleurs un problème lié à l'encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Si ces dernières touchent de la FICOL, cela augmente leurs dépenses de fonctionnement, ce qui ne passe plus dans l'encadrement. Il faut travailler là-dessus avec le ministère du Budget.

Il est vrai qu'il y a des priorités. Mais cela donne l'impression que le reste n'est pas prioritaire. Bien sûr que l'agriculture, l'alimentation, l'autosuffisance, la question de savoir comment nous allons nourrir des villes qui s'accroissent, du soutien à l'agriculture périurbaine et rurale, la lutte contre l'exode rural et le soutien à la paysannerie sont des éléments essentiels, qui appartiennent au deuxième bloc de priorité dans le CICID.

Je voudrais aussi souligner quelque chose d'important, toujours dans cette thématique urbaine, c'est le soutien aux villes secondaires. Il y a un mouvement général d'attrait vers l'urbain, contre lequel on ne peut pas aller, sans que tout le monde ne doive aller dans les grandes villes. Le soutien aux villes secondaire est très important pour éviter que ne se développent d'immenses bidonvilles informels à la périphérie des grandes agglomérations africaines et du monde en développement.

Bien sûr, l'évaluation est un chantier devant nous. Bien sûr, la transition démographique, qui est en retard en Afrique est un enjeu, qui demande des politiques d'éducation. Ce n'est pas à nous de dicter les politiques démographiques. Par contre, il faut donner la priorité à l'éducation et à l'égalité femmes-hommes dans l'éducation. C'est une réponse, certes à long terme, mais une réponse efficace. Je crois avoir couvert l'essentiel du champ des questions et interventions qui m'ont été présentées.

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