Intervention de Hélène Vainqueur-Christophe

Séance en hémicycle du jeudi 8 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Santé ; solidarité insertion et égalité des chances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Santé », dont nous examinons aujourd'hui les crédits, comporte deux programmes : le programme 183, qui concerne l'aide médicale d'État, et le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui m'intéresse tout particulièrement. J'ai choisi de centrer mon analyse sur la question de la prévention dans les outre-mer.

Bien évidemment, cette analyse ne sera pas exhaustive, étant donné le caractère interministériel de la prévention et la complexité des problématiques ultramarines. Je tenais toutefois à vous alerter sur la situation sanitaire outre-mer, sur l'application de la politique nationale de prévention chez nous et, surtout, sur les conséquences souvent sous-estimées des décisions prises aveuglément ici à Paris, en totale déconnexion avec les réalités du terrain.

Mes chers collègues, je vous parle de territoires où l'espérance de vie est inférieure de plusieurs années à celle constatée dans l'Hexagone, où le tiers des décès survient avant soixante-cinq ans et où les taux de mortalité maternelle et infantile sont bien plus élevés qu'en métropole ; je vous parle de territoires où les maladies chroniques sont de véritables problèmes de santé publique, de même que les maladies tropicales et les maladies infectieuses, notamment les infections sexuellement transmissibles, au premier rang desquelles l'épidémie de VIH – virus de l'immunodéficience humaine – , qui est aux Antilles et en Guyane d'une gravité comparable à ce qui est observé dans les pays d'Afrique subsaharienne.

Cette situation générale très inquiétante s'explique par divers facteurs.

Le premier facteur, c'est le contexte économique et social : précarité, chômage structurel, illettrisme et forte prégnance de tous les types d'addictions. Je l'ai déjà dit en commission.

Le second facteur, c'est la grande souffrance des systèmes de santé, avec une densité de médecins excessivement faible et des spécialités médicales absentes de plusieurs territoires. Il en résulte que partout outre-mer, l'offre de soins est excessivement centrée sur les hôpitaux, qui sont en sous-capacité et dont les services d'urgences sont saturés. On observe aussi des déséquilibres graves dans l'offre de soins, qui est très inégalement répartie sur les territoires ; c'est particulièrement vrai dans les archipels et dans les territoires très étendus ou difficilement accessibles, comme l'Ouest guyanais.

J'ajoute, mais Mme la ministre le sait, que cette situation difficile pour le réseau de soins peut à tout moment basculer. Les aléas – comme les ouragans de l'an dernier, qui ont ravagé Saint Martin et Saint Barthélemy, ou l'incendie du CHU de la Guadeloupe – en sont la preuve. Une situation difficile devient ainsi très rapidement insupportable, tant pour les personnels des établissements que pour les malades. Tous ces aspects sont connus depuis longtemps. La Cour des comptes elle-même avait dénoncé, en 2014, les carences du système de prévention outre-mer.

S'il faut se féliciter que les différents documents stratégiques adoptés par les gouvernements successifs aient remis la prévention au rang de priorité de santé publique, force est de constater que les choses n'ont pas véritablement évolué sur le terrain malgré les efforts des ARS, qui fondent en grande partie leurs stratégies sur un renforcement de ces actions et y consacrent une part importante des fonds d'intervention régionale qui leur sont alloués.

La situation reste en effet critique dans nombre de domaines, car les moyens, eu égard à l'immensité des besoins, ne sont pas suffisants, tous les acteurs rencontrés et auditionnés en témoignent. Ainsi, il est crucial de renforcer les moyens financiers des ARS, car certains postes apparaissent insuffisamment dotés au regard des besoins, si bien que certaines d'entre elles éprouvent de grandes difficultés à mener la politique de prévention qu'elles ont définie.

Malheureusement, certaines mesures prises par le Gouvernement depuis deux ans ont un effet dévastateur et direct sur les actions associatives, et plus généralement en matière de prévention. La première décision gouvernementale néfaste a été la suppression des contrats aidés, je n'y reviens pas. Toutes les remontées du terrain le confirment, cette décision fut un véritable coup de poignard pour la prévention. Des intervenants, pour la formation desquels nous avions investi, avaient acquis des compétences et noué des liens de confiance avec des populations fragilisées, marginalisées, qu'il est souvent difficile d'approcher. Ces compétences ont été perdues, et cette perte a des conséquences dramatiques sur le terrain. D'un côté, le Gouvernement promeut la prévention ; de l'autre, donc, il fragilise le soutien au tissu associatif.

Deuxième décision gouvernementale qui m'inquiète : l'article 27 du PLF, que nous venons de voter – vous en avez parlé tout à l'heure, madame la ministre. Cet article prévoit la recentralisation du dispositif du RSA en Guyane et à Mayotte. Si cette décision n'est évidemment pas contestable, puisqu'elle répond à un engagement présidentiel pris en accord avec les collectivités, elle est, selon moi, de nature à aggraver des problématiques de santé publique sur le territoire guyanais.

En effet, l'allongement de cinq à quinze ans de la durée de résidence préalable ininterrompue ouvrant droit, pour les étrangers non ressortissants d'un pays de l'Union européenne, à la perception du RSA, est une exigence extrêmement difficile à satisfaire, pour ne pas dire impossible. Elle ne pourra conduire, en Guyane, qu'à l'exclusion des étrangers du dispositif du RSA, et partant à une aggravation de la précarité des étrangers, lesquels pourraient ainsi basculer dans des pratiques à risques – toxicologie ou prostitution – et, ce faisant, accroître le risque de contamination.

C'est pourquoi je vous demande, madame la ministre, si votre ministère a bien pris la mesure de ces risques dans la réforme du RSA en Guyane. S'il ne l'a pas fait, nous risquons d'en voir les conséquences, en termes de santé publique, d'ici à quelques années.

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