Intervention de Brahim Hammouche

Séance en hémicycle du jeudi 8 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Santé ; solidarité insertion et égalité des chances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrahim Hammouche, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2019, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmentent considérablement, atteignant 21,11 milliards d'euros, soit plus 7,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2018. Je ne puis que m'en féliciter, d'autant que cette augmentation tient principalement à celle de l'AAH, à la création d'un second bonus pour les bénéficiaires de la prime d'activité – qui sera revalorisée de 30 euros dès le 1er avril 2019, le montant de la revalorisation atteignant 80 euros au niveau du SMIC en 2021 – et à la mise en oeuvre de la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté.

Au-delà du strict examen des crédits dévolus à la mission, j'ai choisi cette année de m'intéresser, dans le cadre de la partie thématique de mon rapport, à un sujet transversal et primordial pour notre vivre ensemble : la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance. Je suis en effet convaincu que la responsabilité de l'État, dans le domaine de la solidarité, de l'insertion et de l'égalité des chances, n'est pas seulement organisationnelle et budgétaire : elle exige aussi le développement d'une véritable culture de l'attention aux autres. La maltraitance n'est pas seulement physique : elle est aussi psychique, sociale, économique et institutionnelle. Il s'agit d'un phénomène complexe, dont il arrive que les auteurs eux-mêmes ne soient pas conscients. C'est pourquoi il est nécessaire de bien l'appréhender pour le combattre.

Je tiens, à cet égard, à saluer l'installation, en début d'année, de la commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance. En 2002, le Conseil de l'Europe a publié un rapport qui apporte un nouvel éclairage à la définition de la maltraitance. Celle-ci est définie comme « tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l'intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être général d'une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l'exploiter ».

J'ajouterai qu'il ne faut pas oublier la dimension psychique de la maltraitance, car ce qui la signe, c'est bien l'abus de pouvoir. À la différence de la violence, la maltraitance suppose que soient réunis trois éléments : une dissymétrie dans la relation, une dépendance entendue comme un lien entre l'auteur et la victime et l'existence d'un abus de pouvoir. La relation entre la victime d'une maltraitance et son auteur est au centre de cette définition. Cette relation a différents visages : il peut s'agir d'un lien de parenté, d'une relation entre un client et un professionnel, d'une relation de voisinage, d'une relation entre aidant et aidé, d'une relation entre une personne vulnérable et un professionnel de santé ou de soins, ou d'une relation entre professionnels, entre collègues ou avec la hiérarchie.

Je souhaite aussi aborder la dimension institutionnelle de la maltraitance, qui ne me semble pas toujours suffisamment prise en compte. Le Défenseur des droits m'a indiqué être saisi d'une grande diversité de cas de maltraitance institutionnelle exercée sur des personnes dépendantes. La plupart des saisines sont liées au non-respect des droits : droits des malades ou droits fondamentaux de l'être humain, comme le droit au respect et à la dignité ou le droit d'aller et venir, notamment en EHPAD – établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Je tiens enfin à souligner que la promotion de la bientraitance ne relève pas d'abord d'une dimension quantitative, budgétaire : elle passe avant tout par la prise de conscience, par le plus grand nombre, de ce qu'il convient d'appeler la qualité de la relation. Il ne s'agit pas tant d'inventer une politique de la bientraitance ou de prétendre réapprendre aux soignants et aux aidants la bienveillance – alors qu'ils sont déjà épuisés, voire enferrés, psychiquement et physiquement – que de comprendre, d'un point de vue systémique, comment les modes de gouvernance produisent la maltraitance. Il s'agit d'établir des balises de sauvetage, d'apporter du sens, en posant à chaque instant la question humaine, depuis la conception jusqu'à l'évaluation des politiques publiques, et en impliquant à chaque étape professionnels, usagers et citoyens, pour une véritable approche humaniste ; c'est-à-dire pour mettre l'homme – sa dignité et ses libertés fondamentales – au centre de nos pratiques. Il s'agit, en d'autres termes, de centrer nos approches sur la personne.

La promotion de la bientraitance suppose enfin un changement de regard culturel, massif et général. C'est une question complexe, qui nécessite un changement de paradigme. Il nous faut redéfinir les lignes, les repères, faire tout un travail d'ouverture pour construire autre chose ensemble : c'est là un enjeu sociétal, mais aussi éthique ; je dirais même que c'est un enjeu d'émancipation humaine et d'épanouissement relationnel.

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