Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du vendredi 9 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Bonjour !

« Quand je me suis rendu à l'entrepôt de Lidl, il y avait déjà les pompiers. Le vigile est venu vers moi, en pleurs, et on n'a pas eu besoin de se parler, on s'est compris. Mon frère s'est pendu dans la chambre froide, avec des cadenas. » Il y a un an maintenant, jour pour jour, que j'ai rencontré Nicolas Sansonetti, frère de Yannick. J'accompagnais un copain de foot, David, ancien directeur du Lidl de Longueau, chez une avocate. C'est avec elle, avec eux, que nous avons imaginé une « loi Lidl », une loi sur les troubles psychiques liés au travail, ou, en plus commun, en moins médical, sur le burn-out ; une loi qui sanctionne, qui pénalise les employeurs qui font de l'usure mentale une stratégie managériale. Une loi, alors que ce mal paraît endémique – on relève des centaines de milliers de cas chaque année.

J'ai présenté mon rapport dans cet hémicycle en février dernier, et j'ai beaucoup regretté votre absence, madame la ministre. Pourquoi ? Parce que vous êtes engagée, personnellement, sur ce thème. Parce que, encore DRH de Danone, vous avez rendu un rapport au Premier ministre intitulé « Bien-être et efficacité au travail ». Parce que votre première proposition se lisait ainsi : « L'implication de la direction générale et de son conseil d'administration est indispensable. ». Parce que, du coup, j'avais une question : que faire si la direction ne s'implique pas ? Que faire si, au contraire, elle s'oppose à la moindre mesure ? Que faire si, comme chez Lidl, mais aussi à La Poste, à la Caisse d'épargne, chez Coriolis Télécom, mais aussi dans les hôpitaux, dans la police, dans des EHPAD, les entreprises fonctionnent comme un « broyeur silencieux » ? Lorsqu'elles préfèrent les profits à la vie ? Cette question, je vous la pose donc aujourd'hui, madame Pénicaud.

À l'époque, on m'avait apporté une réponse : « Le rapport Lecoq » ! C'était un festival dans cet hémicycle. J'avais l'impression d'assister à un concert de perroquets. Le ministre Christophe Castaner, qui siégeait sur votre banc, le chef d'orchestre donc, dévoilait la bonne nouvelle, je cite : « [Les ministres] ont décidé de lancer une réflexion globale sur la santé au travail. Cette mission, vous le savez, a été confiée à votre collègue Charlotte Lecocq ». Gabriel Attal lui emboîtait le pas : « notre collègue Charlotte Lecoq a été missionnée [… ] pour faire des propositions, non dans des années ni des mois, mais dans quelques semaines. » Caroline Janvier, députée du groupe de la République en Marche, avait puisé son inspiration à la même source : « La ministre du travail [… a] confié à notre collègue Charlotte Lecoq une mission de réflexion sur la santé au travail, dont les conclusions viendront éclairer le débat ». Guillaume Chiche brillait à son tour par son originalité : « notre collègue Charlotte Lecocq s'est vu confier [… ] une mission parlementaire sur la question de la santé au travail. » Et il se faisait plus précis sur le délai : « Elle rendra ses conclusions le 30 avril ». Les éléments de langage, tant qu'à faire, autant les partager, se les refiler, les recopier, les tartiner. Mais quelle publicité, tout de même ! Quel suspens ! Cela nous mettait en appétit. Le grand oeuvre allait bouleverser tous nos esprits. Je me sentais presque honteux, moi, avec ma petite proposition de loi, si étroite, si mesquine. Comment avais-je osé porter ce sujet, alors que « notre collègue Charlotte Lecoq » et le Gouvernement se chargeaient de tout pour nous ?

Je m'en voulais. Je me sentais comme un « sale démago ». Plein d'espérance, j'attendais donc le rapport Lecocq. Et nous l'avons attendu longtemps. Rien en avril, rien en mai, rien en juin, rien en juillet. À la fin de l'été, enfin, il paraissait. Mais avec quoi, dedans ? Le grand vide. En 174 pages, le « burn-out » n'est mentionné qu'une seule fois. Il fallait, préconisait notre collègue, « accompagner les entreprises », les « sensibiliser ». Mais surtout pas réglementer, et encore moins sanctionner. Dans la foulée, le Gouvernement a commandé une nouvelle « mission de réflexion ». Vous réfléchissez beaucoup. C'est beau. C'est noble. Pour supprimer l'impôt sur la fortune, pour plafonner les indemnités aux prud'hommes, pour en finir avec les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, là, vous avez pourtant nettement moins réfléchi. Vous avez tranché dans le vif. Direct. Très vite. Dès votre arrivée aux affaires.

On nous a annoncé, quand même, pour ce printemps un projet de loi sur la santé au travail. J'ai demandé un programme à l'Assemblée : ce document porte la mention « Confidentiel », mais je peux dire que je ne vois rien à l'agenda, si ce n'est la révision constitutionnelle, la programmation pluriannuelle de l'énergie, la bioéthique, les retraites, la réforme de la fiscalité locale, les mobilités ou l'audiovisuel public. Je ne vois pas la santé au travail, madame la ministre : pourriez-vous nous donner des précisions sur le calendrier ?

En attendant, en attendant toujours, qu'avons-nous concrètement, dès maintenant, dans votre budget ? Des suppressions de postes. Des suppressions de postes à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

En attendant, la vie continue pour David et Nicolas. Nicolas attend, attend, attend que l'instruction avance, après son dépôt de plainte pour homicide involontaire. Mon copain David, brisé par le boulot qu'il aimait, réclame une reconnaissance de sa maladie professionnelle. Et il attend, il attend, il attend.

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