Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure pour avis :

J'ai choisi de centrer mon rapport pour avis sur les moyens consacrés à la protection physique et psychique des sportifs et sportives.

Mais je reviens d'abord – comme la mobilisation des acteurs et actrices du monde sportif m'y incite – sur les moyens consacrés à cette mission qui recoupe les programmes « Sport » et « Jeunesse et vie associative » – ce dernier sera examiné dans un second temps – ainsi que, depuis 2018, le programme « Jeux olympiques et paralympiques 2024 ».

Le sport et le mouvement associatif sont, au même titre que la culture, des éléments indispensables à l'épanouissement des individus, et des éléments constitutifs des politiques éducatives et d'une vision humaniste de la société.

Pourtant, les crédits de cette mission ne dépassent pas le milliard d'euros. Plus inquiétant encore, les moyens consacrés au sport, vecteur d'émancipation, continuent de s'affaiblir. Après une diminution de 7 % des moyens du sport entre 2017 et 2018, le programme 219 perd 4,3 % en autorisations d'engagement et 8,1 % en crédits de paiement.

La promotion du sport pour le plus grand nombre est l'action la plus touchée, avec une baisse de 44,9 %. La hausse de 15 millions d'euros du plafond de la taxe sur les droits télévisés introduite par le Gouvernement par amendement est positive, mais loin du compte.

Ce budget constitue un véritable contresens politique. Cela ne vous vise pas, madame la ministre, ni le Gouvernement : cela fait des années que la France est engagée dans cette erreur. Elle va accueillir les Jeux olympiques et paralympiques, la coupe du monde de football féminin l'année prochaine, celle de rugby en 2023, et les Jeux de Tokyo ont lieu dans dix-huit mois. Pourtant, le budget des sports continue de s'affaiblir. Les responsables politiques se félicitent des victoires, mais ignorent ce qui est à la source de ces succès, les clubs, les bénévoles et les encadrants : pas un champion, pas une championne sans ce monde amateur.

Nous avons la chance que la population soit favorable aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, et on lui a promis qu'ils laisseraient en héritage de nouveaux équipements et trois millions de licenciés en plus. Mais cet héritage, c'est pendant les six ans qui viennent qu'il doit se construire : cela fait partie du mandat de la représentation nationale.

La pratique sportive, c'est le bien-être, le dépassement de soi et le respect des autres. On appelle à juste titre les clubs à s'ouvrir à des nouvelles pratiques et à de nouveaux publics. Mais pour ce faire, on ne peut s'en remettre au marché ; il faut s'appuyer sur les clubs et les accompagner en moyens humains et financiers.

Je propose donc, pour répondre à ces belles ambitions, une trajectoire budgétaire ambitieuse mais réaliste. J'appelle le Gouvernement à s'engager sur une montée en puissance pluriannuelle pour atteindre un milliard d'euros en 2024, soit la somme que l'État verse pour les Jeux : un euro pour les Jeux, un euro pour le développement du sport pour toutes et tous.

Au-delà du budget, j'aborde maintenant la construction des politiques publiques.

J'ai travaillé sur ce rapport dans le cadre du modèle sportif actuel, avec ses missions de service public partagées entre le mouvement sportif et le ministère. Mais mon travail n'est-il pas déjà caduc pour une part, incomplet pour une autre ?

En effet, il y a quelques jours, nous avons transféré les crédits du CNDS à la future Agence nationale du sport. Cette Agence, en charge à la fois du haut niveau et du développement des pratiques sportives, serait créée par voie réglementaire et associerait dans sa gouvernance le ministère, le CNOSF, les collectivités territoriales et le monde économique, avec un budget d'environ 350 millions d'euros.

Je ne porte pas de jugement aujourd'hui sur ce projet de nouvelle gouvernance. Nous serons en effet amenés à débattre de la nouvelle répartition des compétences entre le ministère et les autres composantes, notamment dans son rapport au mouvement sportif, en examinant les nécessaires changements législatifs qu'elle implique. Mais de quels outils disposera l'État pour porter et être garant d'une politique publique du sport, partout et pour tous ? Le rapport « Action publique 2022 » s'interroge d'ailleurs sur l'opportunité de maintenir un ministère des sports de plein exercice.

Le ministère a déjà perdu la gestion de ses personnels, qui sont intégrés au programme « Solidarité, insertion et égalité des chances ». L'annonce du transfert des conseillers techniques sportifs (CTS) est venue s'ajouter. Quels seront leurs statuts ? Je pense, pour ma part, qu'ils doivent demeurer celles et ceux qui garantissent la qualité de l'encadrement et la transmission des politiques publiques du sport au sein du mouvement sportif. Je propose donc de maintenir leur statut actuel et de réintégrer les personnels déconcentrés au sein du ministère des sports, dans une direction spécifique.

Le modèle sportif français, même s'il n'est pas parfait, a permis à la France d'être au sixième rang des nations sportives. Alors, moderniser la gouvernance, oui, mais avec beaucoup de précaution et, surtout, en maintenant le rôle premier de l'État, car le sport est un service public à part entière.

J'en viens à l'intégrité physique et psychique des sportives et sportifs. C'est à la suite des drames qui se sont déroulés sur les terrains ces derniers mois que j'ai voulu savoir et informer la représentation nationale sur le fonctionnement et les moyens du suivi médical des athlètes, pour déboucher sur des propositions opérationnelles permettant d'améliorer la protection des sportives et sportifs.

Pour les athlètes de haut niveau, le cadre légal, réformé en 2015, est celui de la surveillance médicale réglementaire (SMR). Les athlètes de haut niveau inscrits sur liste ministérielle, les sportifs espoirs et les sportifs de collectifs nationaux, au nombre de 14 000, sont soumis à un suivi approfondi, dont les modalités sont encadrées par le ministère des sports. Les athlètes de haut niveau doivent se soumettre à un examen médical réalisé par un médecin du sport comprenant un examen clinique, un bilan diététique, un bilan psychologique et de recherche indirecte d'un état de surentraînement. Les fédérations peuvent demander des examens complémentaires en fonction des caractéristiques des disciplines.

Ce système apparaît adapté. J'ai néanmoins constaté, lors des différentes auditions et à travers les chiffres transmis par le ministère, une grande disparité dans la réalisation du suivi médical selon les fédérations, avec des taux de réalisation beaucoup trop faibles, allant de 21 % à 100 % des athlètes selon les fédérations. Cet état des lieux pose deux questions : celle des moyens de contrôle du ministère sur le caractère réel et complet des suivis médicaux réglementaires et celle des moyens des médecins fédéraux. Pour certaines disciplines, les moyens alloués au titre de la SMR ont beaucoup diminué : ainsi, entre 2014 et 2018, les crédits destinés à l'athlétisme sont passés de 166 000 à 110 900 euros, ceux destinés au judo de 148 000 à 60 800 euros, ceux destinés à la gymnastique de 64 400 à 32 600 euros. La fluctuation des effectifs n'explique que très partiellement cette baisse. C'est donc bien que l'État, ces dernières années, s'est désengagé. Enfin, si certaines fédérations prévoient des sanctions, en cas de non-respect des obligations relatives à la SMR, il conviendrait de construire un régime de sanctions proportionnelles et graduelles plus opérationnelles et de les systématiser.

Deux autres grands enjeux sont apparus lors des auditions. Le premier concerne la place des médecins fédéraux au sein des fédérations et les moyens qui leur sont donnés pour réaliser leur mission d'accompagnement. Si les fédérations bien dotées financièrement n'ont pas de problème pour mailler le territoire, les fédérations plus modestes ne disposent généralement que d'un médecin fédéral, le plus souvent à temps très partiel. Je propose donc de donner rapidement à ces fédérations la possibilité de recruter au moins un médecin fédéral à temps plein. J'insiste sur le fait que ses missions ne se confondent pas avec celles des médecins des équipes de France ou celles des médecins prescripteurs.

D'autre part, la France ne s'est pas dotée des outils suffisants pour mener de larges études épidémiologiques sur la pratique sportive. La collecte des données est trop lacunaire et permet difficilement d'évaluer les risques dans toutes les disciplines. Malgré la grande qualité de son travail, l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES) n'a pas la taille critique pour multiplier ses recherches, et ne reçoit que 200 000 euros par an. Une réflexion doit s'ouvrir pour permettre une collecte massive des données et leur exploitation scientifique, au sein de l'IRMES ou au sein d'une nouvelle structure. C'est une demande récurrente des médecins fédéraux et des fédérations ; identifier les pratiques à risque permettrait d'améliorer la prévention des blessures.

S'ajoutent, comme le souligne M. Alain Calmat, président de la commission médicale du CNOSF, les dangers d'une spécialisation précoce dans la pratique, ce qui pose la question du suivi médical des jeunes licenciés. Je propose donc que l'on se penche sur les conséquences qu'a eues le passage d'un certificat médical obligatoire annuel à un certificat trisannuel. Le docteur Calmat nous a aussi alertés sur la gestion de l'arrêt de carrière des athlètes de haut niveau, qui peut entraîner des pathologies psychiques et des addictions. Le suivi de la fin de la carrière des sportifs est encore à améliorer.

Il faudra également augmenter, d'ici à 2024, les crédits de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), pour lui permettre de multiplier les contrôles des pratiques non encadrées. Enfin, la situation du laboratoire de Châtenay-Malabry doit être clarifiée au plus vite : il convient d'acter définitivement son déménagement à Orsay, ce qui lui permettra de s'appuyer sur l'université Paris-Sud et de pérenniser son action, alors qu'au niveau mondial, le nombre de laboratoires d'analyse et de détection du dopage se réduit.

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