Intervention de Agnès Thill

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 18h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Thill, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission Enseignement scolaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de profiter de l'occasion qui m'est donnée de féliciter notre ancien collègue. Cher Gabriel, je suis heureuse de te voir de ce côté de la table !

Le budget de l'éducation nationale est le premier budget de l'État. Pour 2019, ce seront 52 milliards d'euros, hors contribution aux pensions des fonctionnaires, qui seront consacrés à l'enseignement scolaire primaire et secondaire. Je ne m'attarderai pas sur la description des crédits de la mission, que le M. le ministre a mieux exposés que je ne ferais. Je soulignerai simplement quelques grands axes et poserai quelques questions avant de passer à la présentation du thème que j'ai choisi d'étudier dans mon rapport : les écoles dans les territoires ruraux.

Le Gouvernement poursuit son ambition de redressement de l'école primaire et s'en donne les moyens. Je m'en félicite, car c'est dans ces premières années de scolarité que beaucoup se jouent pour la réussite des élèves. Le dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et REP+ sera achevé en 2019 et les retours des enseignants et des inspecteurs sur cette mesure, comme les évaluations, sont d'ores et déjà très positifs de la part des enseignants et des inspecteurs.

Mille huit cents emplois, en équivalent temps plein (ETP), sont créés dans l'enseignement primaire. Pouvez-vous nous préciser, Monsieur le ministre, combien de ces emplois seront consacrés au dédoublement des classes de CP et CE1 en réseaux d'éducation prioritaire, et à quoi seront consacrés les autres postes ?

Ce budget met réellement des moyens au service de son ambition, mais il établit aussi des choix et une priorisation. L'Éducation nationale est le premier employeur de l'État et ce projet de loi de finances prévoit que 2 650 emplois seront supprimés dans le secondaire – soit seulement 0,2 % des emplois de la mission, ce qui reste très modéré. La mesure est compensée par l'augmentation de 65 millions d'euros des crédits consacrés aux heures supplémentaires. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que tous les emplois supprimés seront compensés par les heures supplémentaires ?

Parallèlement, la mise en place progressive de la prime de 3 000 euros en REP et la relance du protocole sur les PPCR représentent un effort de plus de 200 millions d'euros consacrés en 2019 aux salaires des enseignants, effort appelé à s'amplifier les années suivantes.

Le nouveau baccalauréat concerne les élèves qui sont, cette année, entrés en seconde. À la rentrée 2019, ce sont les enseignements de la classe de première qui seront réformés. Pouvez-vous nous indiquer quelles seront les conséquences de cette réorganisation sur les emplois d'enseignant ?

Enfin, je souhaite souligner l'effort particulièrement soutenu réalisé pour l'accueil des enfants en situation de handicap à l'école. Le nombre d'enfants à accompagner est en augmentation constante, ce qui prouve que le besoin est réel, mais le projet de budget pour 2019 prévoit le financement de 60 000 accompagnants, dont 43 000 AESH. Ces chiffres ne doivent pas occulter la dimension avant tout humaine de cet accueil qui repose non seulement sur les accompagnants dédiés, mais aussi sur l'ensemble de la communauté éducative.

J'en viens maintenant au thème que j'ai choisi de traiter dans mon rapport, à savoir l'école dans les territoires ruraux. Je dois bien avouer que j'ai commencé à travailler ce sujet avec des certitudes, pour ne pas dire des préjugés, et que je termine ce travail avec des avis bien plus nuancés.

L'école rurale est souvent présentée dans les médias sous l'angle des fermetures de classes mal vécues par les habitants et les élus. Pourtant, la réalité est plus complexe et bien moins sombre que l'on veut bien nous le présenter parfois. Certaines écoles rurales peuvent même être très attractives !

L'espace rural est avant tout très varié et difficile à définir. Il n'existe pas un modèle type d'école rurale. L'offre scolaire dépend beaucoup des choix qui ont été opérés par les communes. Certains départements ont privilégié le maintien de petites écoles avec des classes uniques ou peu de classes. C'est le cas dans le Cantal ou la Creuse, par exemple. Ce sont souvent des territoires de moyenne et haute montagne dans lesquels les distances sont longues à parcourir. D'autres départements, comme la Haute-Saône, ont développé des pôles scolaires ruraux, dans lesquels l'offre périscolaire et les équipements sportifs et culturels alentour sont très développés ; ce sont des départements qui ont choisi de restructurer leur carte scolaire, anticipant la baisse démographique.

Les études disponibles montrent que le niveau scolaire en zone rurale n'est pas moins bon qu'ailleurs. Néanmoins, nous manquons de données récentes sur ce sujet et il serait intéressant que les évaluations que vous avez mises en place, monsieur le ministre, permettent d'actualiser les connaissances sur les écoles rurales et sur les classes uniques ou multi-niveaux.

Il serait trop long de vous présenter l'ensemble de mon rapport, mais les auditions et déplacements que j'ai effectués dans certaines de ces écoles m'ont appris qu'il y a des réalisations très positives dans des configurations variées et qu'il serait regrettable de vouloir imposer un modèle unique.

Je considère toutefois qu'il faut encourager les regroupements. Pour avoir moi-même enseigné dans une classe unique, je connais la solitude du maître qui ne peut compter sur l'aide d'aucun collègue, que ce soit pour poser des questions, demander un service ou toute autre raison. Il subit également la coupure sociale, ne voyant venir à lui que le car lui amenant et emportant les enfants. Les regroupements permettent de rompre l'isolement, d'augmenter les décharges du directeur et de mutualiser les efforts des communes pour l'accueil périscolaire et les équipements.

Dans certains endroits isolés, notamment en montagne, il n'existe pas d'autre solution que de maintenir une classe unique, car la fermeture entraînerait des temps de transport trop longs pour les enfants. J'ai visité de formidables classes à quatre niveaux dans de petits villages de l'Oise. Cela suppose de réunir les meilleures conditions possibles : un soutien financier de la commune, des outils numériques adaptés et une connexion à internet fiable et, surtout, une formation de l'enseignant à l'enseignement en multi-niveaux, qui requiert des méthodes et des qualités particulières.

Ensuite, pour sortir du drame annuel de la carte scolaire et des annonces de fermetures de classes à quelques mois de la rentrée, les collectivités et l'Éducation nationale doivent se parler et élaborer ensemble des stratégies pluriannuelles. C'est l'objectif des conventions ruralité. Il s'agit de contrats pluriannuels, conclus en principe pour trois ans, prévoyant l'évolution de l'organisation scolaire du premier degré et les moyens afférents. L'État s'engage à maintenir des postes et à en consacrer spécifiquement aux zones rurales, et les élus s'engagent dans un projet de restructuration du paysage scolaire. Souvent, l'Association des maires de France (AMF) est signataire. Les conventions ruralité ne sont pas une solution miracle mais, lorsqu'elles ont été élaborées avec bonne volonté de part et d'autre, elles ont permis une amélioration de l'offre scolaire et un apaisement des tensions. Le rapport de Bruno Studer et Maxime Minot sur la rentrée scolaire aux Antilles avait suggéré que les critères soient adaptés afin que les départements d'outre-mer puissent aussi signer des conventions ruralité ; il est vrai que certaines écoles de ces îles connaissent un enclavement similaire à celui rencontré en zone de montagne.

Les petites écoles de zones de moyenne et haute montagne pour lesquelles les possibilités de regroupements trouvent leurs limites dans la durée des déplacements doivent faire l'objet d'une attention particulière.

J'ai déjà évoqué la nécessité de former les enseignants. Des travaux de recherche récents montrent que les classes multi-niveaux offrent des possibilités très intéressantes en matière de pédagogie, en s'appuyant sur l'autonomie et l'entraide des élèves. Mais cela nécessite un investissement important de l'enseignant et une formation solide. Il conviendrait donc de prendre en compte cette dimension du travail des professeurs des écoles dans leur parcours de formation.

Les toutes petites écoles pourraient aussi être rapprochées des collèges, soit sous forme de réseau, soit physiquement sur un même site. En effet, dans les zones en décroissance démographique, certains collèges n'ont que très peu d'élèves. Cela offrirait des possibilités d'échange pour les enseignants et de mutualisation des moyens administratifs, comme le suggérait déjà la mission flash sur les directeurs d'école.

Enfin, certains territoires ruraux connaissent des problèmes sociaux comparables à ceux de territoires urbains en termes de chômage, de précarité et de pauvreté. Ils rencontrent, en outre, des problèmes qui leur sont propres : isolement, immobilité, sentiment d'assignation à résidence. Or la plupart des réseaux d'éducation prioritaire se trouvent en zone urbaine. Sur les 1 097 collèges concernés, 9 seulement sont situés en zone rurale. Je pense que les familles des zones rurales, isolées ou pauvres, pourraient bénéficier d'un meilleur suivi social. Les conseillères pédagogiques que j'ai rencontrées dans mes déplacements ont évoqué à plusieurs reprises le sujet de la parentalité comme une problématique majeure dans certains territoires ruraux, qui sont moins bien suivis et dotés en services sociaux.

En conclusion, la ruralité est loin d'être abandonnée par l'éducation nationale, qui y consacre beaucoup de moyens. L'État et les collectivités doivent travailler ensemble pour offrir des écoles attractives aux élèves ruraux, ce qui ne veut pas dire un modèle unique.

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