Intervention de Jean-Louis Masson

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Masson :

Madame la ministre, il y a un an, vous nous avez annoncé votre volonté de réformer et de moderniser la justice de notre pays. Après la phase de concertation des chantiers de la justice, la chancellerie a élaboré sous votre autorité les textes que vous nous présentez aujourd'hui.

Je ferai quelques observations. Le budget de la justice va progresser de 1,6 milliard d'euros d'ici à 2022, passant de 6,7 à 8,3 milliards d'euros. Ces moyens supplémentaires, inscrits dans le projet de loi de programmation de la justice, permettront notamment la création de 6 500 emplois, la construction de 7 000 nouvelles places de prison et de vingt centres éducatifs fermés. Nous en prenons acte. Mais, les sénateurs vous l'ont dit, nous considérons que cet effort n'est pas à la hauteur des enjeux. Nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 1er du projet de loi ordinaire.

Concernant les réformes et l'organisation de la justice, le projet de loi prévoit la fusion administrative des tribunaux d'instance et de grande instance. Vous n'avez cessé de répéter que cette fusion n'entraînerait pas la fermeture de tribunaux. Mais alors, pourquoi une telle réforme ? Nous avons deux craintes : celle de voir les petits contentieux passer à la trappe, noyés au sein des nouveaux tribunaux, et celle que cette fusion ne soit qu'une étape avant la suppression de tout ou partie des trois cents tribunaux de proximité…

Le parquet national antiterroriste ne figure pas dans les projets de loi. Cependant vous avez annoncé que vous alliez corriger ce que nous considérions comme un manque.

S'agissant de la médiation préalable, notre groupe s'étonne d'une forme de privatisation de la justice. En effet, des sociétés privées interviendront au stade de la médiation. Nous ne sommes pas sûrs que les justiciables les plus fragiles soient équitablement défendus dans ces conditions : de toute évidence, les sociétés privées ne sont pas la justice…

L'article 4 du projet de loi ordinaire étend le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire : contentieux techniques, baux ruraux, contentieux d'expropriation, contentieux douaniers. Cette obligation n'est-elle pas d'ores et déjà une mauvaise conséquence de la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance ?

S'agissant des divorces, l'article 2 du projet de loi prévoit la suppression de l'audience de conciliation dans le cadre de la procédure de divorce contentieux. Ne pensez-vous pas que cela risque de favoriser une logique d'affrontement entre les parties et entraînera en conséquence une augmentation du nombre de procédures pour faute ?

L'article 3 du projet de loi prévoit la numérisation complète de la procédure, de la plainte jusqu'au jugement. La saisine se fera en ligne ; ce sera la fin de l'accès du justiciable à son juge. Comment une décision de justice rendue numériquement, et donc déshumanisée, peut-elle être parfaitement équitable ? Dans le cas particulier des crimes et délits commis contre les personnes, comment peut-on envisager le dépôt d'une plainte sans audition immédiate des auteurs présumés et des témoins ?

Nous sommes plutôt favorables à toutes les dispositions allégeant le travail des enquêteurs. Nous nous interrogeons néanmoins sur l'intervention du juge des libertés et de la détention, à qui l'on confie toujours plus de responsabilités, sans lui affecter les moyens nécessaires pour réaliser sa mission. Bien souvent, par manque de temps, ce juge valide les réquisitions du parquet, ou les plagie, sans même développer sa propre motivation…

L'article 42 du projet de loi prévoit l'expérimentation de tribunaux criminels composés de cinq magistrats professionnels dans certains départements, compétents pour juger des crimes passibles de quinze à vingt ans de réclusion. C'est un camouflet à l'égard d'un des plus beaux acquis de la Révolution française ! En réalité, quelles sont vos motivations ? Vous voulez faire des économies et gérer plus rapidement ces dossiers. En cours d'assises, les jurés ne connaissent pas le dossier : l'audience est donc essentielle et on ne se contente pas des éléments de l'instruction. C'est vrai, cela prend du temps, mais ce temps est nécessaire !

Vous plaidez pour des peines plus adaptées et mieux exécutées. Dans le cadre des alternatives aux poursuites, l'article 43 du projet de loi permet d'interdire à des délinquants de fréquenter certains lieux pendant un délai pouvant aller jusqu'à six mois. Il permet aussi d'appliquer des amendes forfaitaires au délit de vente d'alcool à des mineurs et d'usage de stupéfiants. Le texte récrit l'échelle des peines, pour éviter les courtes peines d'emprisonnement : si la sanction est inférieure à un mois, ces dernières sont interdites. Entre un et six mois, la peine est en principe exécutée sous bracelet électronique, dans un centre de semi-liberté ou de placement extérieur.

Jusqu'alors, un condamné pouvait bénéficier d'un aménagement de peine et éviter l'incarcération lorsqu'il écopait d'une peine inférieure ou égale à deux ans de prison ferme. Désormais, seules les peines inférieures ou égales à un an permettront d'obtenir cet aménagement. Le travail d'intérêt général sera développé : il pourra être exécuté dans le cadre d'aménagements de peine ou comme obligation d'un sursis probatoire. La libération sous contrainte aux deux-tiers de la peine sera systématisée pour les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans de prison, afin d'éviter les sorties sèches.

Nous souhaitons formuler quelques remarques. Le périmètre d'application de l'amende forfaitaire pourrait être étendu à d'autres délits.

Il appartient à la juridiction de jugement de décider ou non de l'aménagement de peine : elle doit pouvoir librement choisir entre l'exécution immédiate de la peine prononcée, l'aménagement, le mandat d'arrêt différé ou un renvoi devant le juge de l'application des peines afin de préciser les modalités d'un éventuel aménagement. En outre, la détention à domicile sous surveillance électronique doit être écartée, en raison des risques de confusion avec le placement sous surveillance électronique. Enfin, l'automaticité de la libération sous contrainte aux deux-tiers de la peine est inopportune.

L'indépendance des juges n'est pas abordée par le projet de loi organique. Nous le regrettons : il faut rétablir le lien de confiance entre les Français et leur justice. Ce principe est souvent examiné sous le prisme de l'indépendance vis-à-vis de l'exécutif mais, pour garantir l'indépendance des magistrats, ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu'il faudrait que les règles de non-éligibilité soient plus strictes, y compris lorsque les magistrats ont quitté leur corps – pendant cinq ans par exemple ? Il en est de même pour la non-appartenance à un parti politique, à un syndicat, voire à des associations philosophiques ou religieuses.

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