Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

Ce déplacement en Grèce nous a conduits à nous interroger sur le rôle de la Commission européenne et plus largement des agences européennes dans la gestion de la crise migratoire. Nous avons du mal à analyser quel a été le rôle de la DG Home dans la gestion de la crise migratoire en Grèce. C'est sur l'impulsion de la Commission européenne que le système des hotspots a été mis en place mais nous n'avons pu mesurer la manière dont la Commission européenne a pu coordonner l'action des différentes agences européennes qui ont pourtant joué un rôle clé dans le fonctionnement des hotspots et dans la surveillance des frontières de la Grèce. De même, nous n'avons pu analyser le partage de rôles entre la Commission européenne et le HCR ou encore avec l'organisation internationale des Migrations (OIM). Il ne faut pas oublier que durant la crise migratoire, la Grèce connaissait une situation financière dramatique qui l'a conduite à être sous une étroite surveillance des autorités européennes. Un service spécifique de la Commission européenne était même chargé d'inciter la Grèce à mener des réformes structurelles (le service d'appui à la réforme structurelle). Il peut sembler étonnant que certaines réformes dans l'organisation des conditions d'accueil ou dans la procédure d'asile aient été longues à mettre en place alors que la Grèce disposait d'un panel d'experts impressionnant pour l'accompagner dans sa gestion de la crise des réfugiés, mais il est vraisemblable que les experts aient eu du mal à comprendre les spécificités de la culture administrative grecque, rendant compliquée la coopération avec les services grecs opérationnels.

Le soutien financier de l'Union européenne pour aider la Grèce à faire face à la crise migratoire a été massif mais il semble que la Grèce ait eu du mal à utiliser ces crédits de manière optimale. La Commission européenne a financé l'octroi d'une aide humanitaire en faveur de personnes dans le besoin sur le territoire de l'Union européenne, au moyen de l'instrument d'aide d'urgence, déclenché pour la première fois en mars 2016. Jusqu'à présent, l'Union européenne a fourni à la Grèce une aide humanitaire qui s'élève à 605,3 millions d'euros au total par l'intermédiaire de cet instrument. L'aide humanitaire de la Commission vient compléter celle apportée par d'autres instruments financiers de l'Union européenne qui ont déjà fourni d'importantes ressources financières pour aider la Grèce, tels que le Fonds « Asile, migration et intégration », le Fonds pour la sécurité intérieure, le Fonds européen d'aide aux plus démunis et le programme Santé de l'Union européenne. Elle complète aussi les offres bénévoles d'assistance matérielle faites par les États participant au mécanisme de protection civile de l'Union européenne.

Il nous est difficile d'analyser les causes complexes qui expliquent que malgré des fonds disponibles, la Grèce ne soit pas en mesure de fournir des abris en nombre suffisant dans les hotspots et les camps de réfugiés. Plusieurs interlocuteurs ont évoqué la difficulté de respecter les règles strictes de recours aux appels d'offres, aux règles des marchés publics lorsqu'il y a urgence. De même, face à la difficulté de recruter des médecins sous conditions statutaires, pour apprécier si les demandeurs d'asile présentent des vulnérabilités particulières, il faudrait prévoir des possibilités de déroger à ces règles. Nous avons eu des témoignages nous expliquant que les rémunérations et les conditions de travail offertes aux médecins fonctionnaires étaient défavorables par rapport à celles offertes par les ONG, ce qui conduit à de nombreux postes vacants dans le secteur de la médecine publique. En conclusion sur cet aspect financier, il nous paraît très important que l'attribution de fonds européens soit accompagnée d'une évaluation de leur utilisation et de l'analyse des facteurs de blocage à leur utilisation dans des délais raisonnables. Sans cela, la tentation sera grande de faire à la place de l'État concerné, de grandes institutions comme le HCR continuant à se substituer aux services grecs pour organiser par exemple, le transport des réfugiés entre les îles et le continent. La Commission européenne doit veiller à tenir réellement en compte la situation spécifique de chaque État membre et ne pas chercher à imposer des solutions qui s'avèrent inadaptées au contexte local.

J'en viens maintenant à la position de la Grèce au sujet des négociations en cours sur la réforme européenne du droit d'Asile. La Grèce a bénéficié depuis 2015 de plusieurs types de soutien de la part de l'Union européenne, un très important soutien financier, une présence massive de professionnels des agences européennes, pour mémoire Frontex a envoyé au plus fort de la crise 600 personnes pour assurer la surveillance des frontières et pour apporter son concours à l'enregistrement dans les hotspots. Quant au Bureau européen d'appui pour l'asile, il a pu mobiliser près de 300 professionnels pour renforcer les équipes du service grec de l'Asile.

Il convient de souligner que la Grèce ne disposait d'aucune structure administrative conséquente pour instruire les demandes d'asile lorsque la crise migratoire de 2015 est intervenue et qu'elle doit faire face à des problèmes très complexes sans aucune culture administrative dans ce domaine. L'administration grecque dans son ensemble connaît de profonds changements mais la phase de transition est difficile : organisation parfois défaillante, formation insuffisante des personnels ou encore coupe importante dans le nombre d'agents. Ce contexte, s'il ne constitue en rien une excuse, est néanmoins un facteur explicatif de certaines difficultés dans le secteur de la prise en charge des migrants sur place. Malgré l'assistance importante dont elle bénéficie, la Grèce a très mal vécu cette situation car elle a considéré qu'elle supportait seule avec l'Italie, le poids de la crise migratoire. Paradoxalement, elle a aussi mal accepté la présence massive de personnels travaillant pour la Commission européenne, car elle a ressenti certaines recommandations comme de véritables injonctions qui mettaient à mal la souveraineté de l'État grec. L'Union européenne doit donc veiller à travailler en concertation étroite avec les responsables grecs pour que les réformes proposées ne soient pas ressenties comme « dictées » par des impératifs technocratiques.

Le conseiller du ministre chargé de la politique migratoire que nous avons rencontré a insisté sur l'urgence de la réforme européenne du droit d'asile. Pour la Grèce le concept de solidarité n'est pas à la carte. Il figure explicitement à l'article 80 du traité sur le fonctionnement de l'Union. La solidarité ne peut être limitée à l'envoi d'experts nationaux et à des contributions financières. La Grèce, par soucis de compromis, avait appuyé en juin 2018, le texte préparé par la présidence Bulgare au sujet du projet de Règlement Dublin IV qui prévoyait un mécanisme de répartition des demandeurs d'asile uniquement en cas de grave crise migratoire. Elle est opposée à l'adoption échelonnée des différents textes constituant le « paquet asile », même si le renforcement des prérogatives du Bureau européen d'appui pour l'Asile, qui évoluerait vers une agence européenne de plein exercice, semble bien accepté. Il faut une approche plus intégrée de la politique d'asile et une liste européenne unique définissant la liste des pays d'origine considérés comme « sûrs ». La Grèce estime que les États membres doivent se mettre d'accord de manière urgente sur un mécanisme de solidarité pour parvenir à une répartition plus équitable des demandeurs d'asile même si ce mécanisme est transitoire, en l'attente de la réforme du Règlement de Dublin.

La Grèce plaide pour une procédure réellement harmonisée du droit d'asile. Elle considère que les divergences actuelles dans le taux d'attribution du statut de réfugié pour une même nationalité, comme pour les afghans, sont fortement préjudiciables. De même, elle estime que les critères pour octroyer l'asile font l'objet d'interprétations trop disparates selon les États membres. L'objet de la réforme européenne du droit d'asile est justement de parvenir à une procédure objective et un statut uniforme du demandeur d'asile dans tous les pays membres de l'Union européenne. Pour le Gouvernement Grec, si le Conseil européen s'en tient à la recherche d'un consensus entre tous les États membres, cette réforme ne sera jamais adoptée car certains États ont un intérêt à la bloquer. La Grèce est donc favorable à un vote à la majorité qualifiée. Cette position s'explique par le sentiment que le pays serait un maillon dans la chaîne mise en place depuis la Turquie pour maintenir autant que possible les migrants sur place et éviter qu'ils ne continuent leur route vers d'autres pays européens.

En conclusion, je dirai que la situation actuelle de la Grèce illustre tous les défis que l'Union européenne devra relever pour réussir sa réforme du droit d'asile et élaborer une stratégie commune pour organiser les flux migratoires. Les pays européens les plus exposés aux flux migratoires devront trouver un équilibre entre leur souveraineté nationale et les nouvelles prérogatives conférées à la future Agence européenne pour l'Asile qui sera la garante d'une véritable harmonisation du droit d'asile. Il en est de même pour la surveillance des frontières avec les nouvelles missions qui devraient être attribuées à Frontex. L'efficacité des différentes agences européennes dépend largement de la volonté des États membres de participer à leur fonctionnement. La Grèce illustre parfaitement ce problème : les experts nationaux envoyés au côté des professionnels du bureau européen de l'asile n'étaient pas assez qualifiés pour être immédiatement opérationnels et surtout leurs missions étaient trop brèves pour réaliser un travail de fond. Renforcer le rôle des Agences européennes telles que Frontex, Europol ou la future Agence européenne de l'Asile ne pourra pas se faire à court terme, en comptant sur les seuls effectifs propres à chaque Agence. Le concours des États membres pour l'appui logistique et la mise à disposition d'experts nationaux restera d'actualité et ce pourrait être, pour certains États, une manière de participer au futur mécanisme européen de solidarité.

La Grèce paraît assez réticente au sujet des dernières propositions de réforme formulées sous la présidence autrichienne comme celle de centres « contrôlés » – la Commission prend bien soin de ne pas les nommer centres « fermés » – dans certains États membres volontaires qui permettraient d'identifier les personnes secourues, avant d'en accueillir certaines et d'en renvoyer d'autres vers leurs pays d'origine. La Grèce a dit très clairement qu'elle ne souhaitait pas voir certains hotspots transformés en « Centres contrôlés » et elle estime que l'urgence est plutôt de revoir la manière dont les bateaux qui viennent au secours de réfugiés en Méditerranée doivent être orientés vers des ports « sûrs », les pays méditerranéens devant se mettre d'accord pour organiser une rotation des ports d'accueil. Cette position de la Grèce, pays qui a dû fournir un effort considérable alors qu'elle était elle-même en pleine crise financière, doit nous persuader de l'urgence à continuer à négocier sur le paquet Asile car il paraît très important de parvenir à des décisions avant les élections européennes.

La Grèce a aujourd'hui atteint ses limites dans sa capacité à faire face aux réfugiés qui sont sur son territoire. L'urgence pour ce pays est de gérer au mieux l'accueil, voire l'intégration de ceux qui ont demandé l'asile. Mais si demain, la Grèce devait affronter une nouvelle crise migratoire, elle serait totalement impuissante pour y faire face car l'Union européenne a tergiversé durant deux ans et a reculé devant des choix politiques importants. Le dernier Conseil européen d'octobre 2018 a montré l'attentisme des États membres alors qu'il serait urgent de trouver des solutions pérennes. La Commission européenne quant à elle, essaie de proposer des solutions allant vers plus d'intégration de la politique de surveillance des frontières et de la politique d'asile mais elle reste assez impuissante face à l'inertie des États membres.

Pardon d'avoir été un peu longs dans nos propos mais nous voulions vous faire partager notre inquiétude et témoigner d'une situation très difficile en Grèce. Toutes les personnes que nous avons rencontrées ont souligné l'urgence de trouver des solutions pérennes. Les autorités européennes doivent avoir la lucidité d'analyser toutes les conséquences de la Déclaration Union européenne-Turquie et éviter de reproduire avec d'autres pays du pourtour méditerranéen comme le Maroc, les erreurs commises avec la Turquie. Reporter sur des pays de transit, la responsabilité de contrôler les flux migratoires à destination de l'Europe comporte de multiples inconvénients qu'il faut bien évaluer avant d'engager de nouvelles étapes dans le volet externe de la politique migratoire de l'Union européenne.

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