Intervention de Hubert Wulfranc

Séance en hémicycle du lundi 12 novembre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Wulfranc :

Que fais-je, monsieur le ministre, en défendant cette motion de renvoi en commission au nom des députés communistes ? Ce PLFR, dites-vous, est la preuve que le budget est sincère et nous avons pu l'amender, la plupart de nos amendements, ajoutez-vous avec votre ironie coutumière, étant d'ailleurs hors sujet. Et s'ils le sont, c'est tout simplement parce que, à vous entendre, ce PLFR n'est pas un PLF bis. D'un PLF bis, je vous le dis au nom des députés communistes, les Français auraient pourtant bien besoin, monsieur le ministre !

Revenons en effet sur les motifs de la présente motion. Nous estimons, comme nombre de nos collègues, que l'examen de ce PLFR est une parodie de travail parlementaire. Chacun, sur nos bancs, l'a bien senti : il y a, dans notre enceinte, comme un vent d'humiliation du Parlement. De fait, la représentation nationale peut légitimement s'estimer méprisée quand on ne lui laisse que cinq jours – cinq jours ! – pour évaluer, examiner et, le cas échéant, amender le budget de la nation. C'est faire preuve de mépris à l'égard des droits les plus élémentaires des parlementaires, qui se trouvent ainsi dans l'incapacité d'exercer leur mandat, dans l'incapacité d'agir, tout simplement.

Ne dit-on pas que le Parlement contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques, aux termes mêmes des prérogatives qui lui sont accordées par l'article 24 de la Constitution ? L'article 44 de notre loi fondamentale, lui, garantit le droit d'amendement, tant en commission qu'en séance. Que s'est-il donc passé, en l'espèce ? Dans quelles conditions techniques, matérielles et humaines avons-nous été amenés à travailler, à agir conformément à nos droits constitutionnels ?

Le texte qui nous réunit aujourd'hui a été transmis aux parlementaires mercredi dernier en début d'après-midi. Il nous a été présenté quelques heures plus tard par M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, et a fait l'objet du calendrier d'examen suivant : examen en commission le vendredi matin, soit une journée et demie plus tard ; examen et adoption en séance publique aujourd'hui même ; le tout devant être conclu en cinq jours chrono, week-end compris évidemment ; cinq jours au cours desquels nous devions examiner, dans le même temps, la fin du projet de loi de finances pour 2019, notamment en commission les articles non rattachés, et en séance, les crédits alloués à des politiques publiques majeures, telles que la santé, la cohésion territoriale ou les relations de l'État avec les collectivités locales : ni plus, ni moins.

Comment nier, dans ces conditions, que les droits garantis par notre loi fondamentale ne sont pas bafoués ? Comment contrôler l'action du Gouvernement ? Comment évaluer les politiques publiques ? L'évaluation, chers collègues de la majorité, c'est pourtant votre mantra, votre leitmotiv. Comment, enfin, exercer notre droit d'amendement dans des conditions convenables ? En cinq jours, c'est tout bonnement impossible.

Pourquoi un tel empressement, monsieur le ministre, si le Gouvernement n'a rien à cacher ? Pourquoi escamoter nos institutions si vous assumez le contenu de votre budget rectificatif ? Quelle peut bien être la raison qui vous pousse à agir de la sorte, à faire fi des règles élémentaires qui garantissent le respect du travail parlementaire ? Le Gouvernement, nous semble-t-il, la joue « solo ». Dans ces conditions, autant supprimer la commission et, pourquoi pas, le Parlement ! Je vous le déclare solennellement : l'exécutif, en la circonstance, joue avec le feu, car il joue avec nos institutions.

C'est du jamais vu en vingt-cinq ans, rappelait fort justement Charles de Courson en commission. Avec de tels délais nous devrions « avoir le don d'ubiquité », observait de son côté notre collègue Pires Beaune. « Vous êtes [… ] en train de bafouer » le droit d'amendement et, ce faisant, « la Constitution et l'État de droit », déclarait enfin, à juste titre, Patrick Hetzel.

Voilà pourquoi tous les groupes d'opposition se sont levés pour quitter la réunion de présentation de ce budget rectificatif mercredi dernier. Et je suis sûr que beaucoup de collègues de la majorité ont douté, et doutent encore, du bien-fondé du calendrier gouvernemental. Que les choses soient dites avec force : quitter cette réunion, nous ne l'avons pas fait de gaieté de coeur, car nous sommes attachés au plein et entier exercice de notre mandat parlementaire, quel que soit le banc où nous siégeons dans cet hémicycle. Nous l'avons fait en responsabilité, pour tirer la sonnette d'alarme face à une dérive institutionnelle qui conduit peu à peu, doucement mais insidieusement, à la caporalisation de l'Assemblée nationale.

Vous mettez ici en musique le souhait du Président de la République, inscrit en creux dans le projet de réforme constitutionnelle, de mettre au pas toutes les institutions démocratiques de notre pays. En réalité, au regard de l'impérieuse nécessité de garantir la souveraineté du Parlement, le vote de cette motion de renvoi en commission doit aller bien au-delà des rangs de l'opposition. Quand la représentation nationale est ainsi traitée, quand le droit d'amendement est réduit, quand les conditions matérielles ne sont pas réunies pour évaluer la bonne exécution du budget de la nation, il est de l'honneur du Parlement de prendre toutes ses responsabilités.

Si l'on considère l'incapacité matérielle à avoir un vrai débat démocratique en commission des finances vendredi dernier, rarement, mes chers collègues, un renvoi en commission n'aura été aussi justifié. Mais disons les choses sans ambiguïté, pour bien lever les doutes et les craintes qui pourraient habiter certains de nos collègues au moment du vote : même si certains, dont nous ne sommes pas, peuvent le souhaiter, il n'est pas question, ici, de rejeter en bloc le budget rectificatif.

Par la présente motion, nous vous proposons que la commission des finances se saisisse de nouveau du texte, pour que les parlementaires puissent travailler sereinement sur son contenu et évaluer ses conséquences. Revenons un instant, en effet, sur l'examen de ce texte en commission : à peine une dizaine de députés y étaient présents, et la discussion fut bouclée en quarante-cinq minutes, montre en main ! C'est le signe que le travail n'a pas été réalisé comme il aurait dû l'être. La commission des finances ayant été escamotée, un nouvel examen s'impose. En adoptant cette motion, comme je vous y invite, la commission pourrait en effet se saisir du texte dans les plus brefs délais et définir un calendrier qui respecte l'équilibre institutionnel.

Venons-en à l'argumentation propre aux députés communistes. Le renvoi en commission est, selon nous, encore plus justifié par la nature du texte qui nous réunit aujourd'hui : ce n'est pas n'importe quel budget que l'on vient rectifier, mais le premier budget en année pleine de cette législature, la clé de voûte du projet présidentiel et gouvernemental, l'acte I du « président des riches » – comme nous l'avons qualifié – , avec son cortège de mesures à l'adresse des plus aisés et du secteur marchand, au mépris des urgences sociales et environnementales.

Car enfin, qu'est-ce que c'est, la loi de finances pour 2018 ? C'est la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune ; c'est l'instauration d'une fiscalité ultra-attractive pour les revenus du capital, désormais moins taxés que les revenus du travail ; c'est l'amorce d'une trajectoire de baisse sensible de l'impôt sur les sociétés, pour mettre notre pays au diapason de la funeste concurrence fiscale mondiale ; c'est enfin l'allégement de la taxe sur les transactions financières, de la fiscalité des actions gratuites et de la taxe sur les salaires pour attirer les fameux traders de la City que pourrait inquiéter le Brexit. Tout cela au moment où un travail de sape était entrepris vis-à-vis de notre droit du travail, afin de le mettre en conformité avec les desiderata du grand patronat comme avec les canons bruxellois d'une flexibilité et d'une précarité toujours plus poussées dans les relations sociales.

La loi de finances pour 2018, c'est aussi un remarquable jeu de bonneteau fiscal, totalement illisible sur le plan économique : un peu moins de taxe d'habitation par ici, bien davantage de CSG par là, et une hausse massive de la fiscalité sur les carburants, le tout saupoudré de baisse des cotisations sociales et accompagné de la réduction de l'aide personnalisée au logement et de la suppression des contrats aidés. En termes de lisibilité, pour les profanes de la science fiscale, on repassera !

En revanche, pour nos concitoyens, les effets concrets de cette politique se sont très rapidement fait sentir. En réalité, ils les observent partout, et vous le savez : dans le montant de leurs pensions, sur leur fiche de paie, à la pompe ou sur la case en bas à droite de leurs factures. Au mieux, ils ont bénéficié d'une infime hausse de pouvoir d'achat, dont ils ont déjà perdu le bénéfice à cause du regain de l'inflation ou dont ils le perdront sous une autre forme : par la détérioration des services publics, par l'aggravation des inégalités. Au pire, ils subissent une baisse inacceptable de leur niveau de vie – une situation qui s'accentuera encore en 2019 et en 2020 du fait de la désindexation de certaines prestations sociales par rapport à l'inflation.

Au bout du compte, les cartes ont été volontairement brouillées pour dissimuler un projet politique qui organise l'un des plus vastes transferts de richesses des plus démunis vers les plus aisés que l'on ait connus. À l'hypothétique ruissellement s'est ainsi substitué un phénomène d'évaporation des richesses qui signe une revanche inédite du capitalisme financier, à peine dix ans après la plus grande et la plus grave crise financière de l'ère moderne, en 2008.

L'étude récente de l'Institut des politiques publiques sur le pouvoir d'achat des Français nous incite à approfondir le travail parlementaire sur ce budget rectificatif. Le projet de loi de finances pour 2018 devait, selon vos promesses, redistribuer du pouvoir d'achat à l'ensemble de nos concitoyens. Or que nous révèle cette étude ? Elle corrobore mon propos préalable. Ainsi les 20 % les plus modestes connaîtront-ils une baisse de leur revenu disponible de près de 1 % en 2018 et 2019 quand les 0,1 % les plus riches du pays – entendons-nous bien : cela représente quelques milliers de ménages ultrariches – verront le leur progresser de 86 000 euros par an en moyenne – c'est pointé, c'est calculé ; cela représente environ 7 000 euros par mois. Les voilà, les assistés de la République : la bourgeoisie d'affaires, la bourgeoisie de la finance ! Nous ne cessons de le dénoncer.

Le peu d'analyse du budget rectificatif que nous auront permis ces délais d'examen insupportables montre que l'on n'y trouve, en réalité, pas grand-chose de rectifié, malgré l'accumulation d'études attestant l'inefficacité économique et sociale de votre premier budget. Voilà pourquoi la copie doit être revue en commission des finances.

L'exécutif se gargarise auprès de la Commission européenne et de ses partenaires européens de l'amélioration des indicateurs de déficit. Le fait de sortir de la procédure pour déficit excessif devait, selon le projet présidentiel, permettre à la France de retrouver sa capacité d'influence et sa crédibilité auprès des autres membres de l'Union européenne et, ainsi, d'obtenir des avancées concrètes en matière de gouvernance, de fiscalité et d'intégration économique. Dès lors – sans nier l'énergie dépensée par les ministres concernés – , l'énième report de la « taxe GAFA », la taxation des géants numériques défendue par votre ministère, monsieur le ministre, au niveau européen apparaît comme un nouveau camouflet dans le théâtre de la politique européenne.

Nous le disons et le répétons, le projet européen a été confisqué par les grands intérêts économiques et financiers. En témoignent ajournements, exemptions, mises en oeuvre différées ou partielles de tout projet ambitieux en matière économique, sociale, fiscale ou environnementale. L'Europe, qui place la sacro-sainte liberté de circulation des capitaux, vénérée par les libéraux, au-dessus du bien-être des populations, est plus que jamais prisonnière de l'austérité.

À quelle réaction des peuples peut bien s'attendre la Commission européenne quand elle valide sans sourciller un budget français qui octroie sans condition 40 milliards d'euros au secteur marchand en 2018 et 2019 – car c'est cela, le projet de loi de finances pour 2019 ! – et, en même temps, demande aux États de revoir leur copie dès qu'ils envisagent des mesures de progrès social tel que le relèvement du salaire minimum ou des pensions de retraite ? Tantôt complice des puissances d'argent, tantôt impitoyable avec celles et ceux qui connaissent des difficultés : la Commission européenne, mais aussi le Conseil, qui réunit les gouvernements européens, appliquent là une conception budgétaire à géométrie variable qui, disons-le clairement, n'est plus tenable. En jouant de la sorte avec le feu, en faisant ainsi la promotion d'un libéralisme autoritaire, c'est bien la pérennité du projet européen que l'on remet en cause ! C'est aussi à ce propos que des débats parlementaires sont indispensables.

Ainsi le déficit de notre pays est-il moindre que prévu. Mais à quel prix ? En détail, on constate que cette réduction est essentiellement le fruit de la cession de participations de l'État au capital d'entreprises. Notre pays a encore cédé 2,35 % du capital de Safran le mois dernier, pour un montant de 1,24 milliard d'euros. Cette opération financière conduit certes au recul des déficits. Elle fait surtout reculer l'État – l'État stratège, l'État investisseur, l'État acteur de l'économie. « Moins d'État », c'est « mieux d'État », selon vous. Pour nous, c'est l'opposé, comme l'ont montré nos propositions lors du débat parlementaire sur le projet de loi PACTE – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises.

J'aimerais m'attarder spécifiquement sur un aspect du projet de loi de finances rectificative qui nous paraît stupéfiant : l'annulation de 600 millions d'euros inscrits au compte d'affectation spéciale « Soutien à la transition énergétique ». Elle soulève bien des questions, et nous attendons des réponses précises,...

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