Intervention de Carole Mécary

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Carole Mécary, avocate aux barreaux de Paris et de Québec, ancien membre du Conseil de l'Ordre :

Monsieur le président, tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité à cette table ronde autour de la question de l'établissement du lien de filiation d'un enfant qui serait conçu par procréation médicalement assistée en France à partir du moment où la PMA, telle qu'elle existe aujourd'hui, serait ouverte aux couples de personnes de même sexe.

Nous connaissons l'hypocrisie du système actuel qui consiste à ce que des couples de femmes ou des femmes célibataires doivent se rendre dans l'un des quatorze pays qui ont ouvert la PMA aux couples de femmes ou dans l'un des vingt-six pays qui permettent aux femmes célibataires d'avoir accès à la PMA, revenir accoucher en France et engager ensuite un processus d'adoption.

Nous sommes en plein débat sur cette question de l'ouverture. Que nous disent les avis du Défenseur des droits, du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et du Conseil d'État ? Ils nous disent à la fois que ces techniques médicales existent depuis plus de cinquante ans en France, qu'elles sont utilisées dans un cadre légal, qu'elles sont réservées aux couples hétérosexuels infertiles.

Ces avis nous disent aussi qu'aucun obstacle éthique ne s'oppose à l'ouverture de la PMA à des couples de femmes ou à des femmes célibataires. Ce point est essentiel car pendant longtemps l'argument nous fut opposé.

Dernier élément non négligeable : le Conseil d'État a rappelé qu'il n'y a pas d'obstacles juridiques à une ouverture de la PMA.

Nous sommes soutenus par l'opinion publique. Se pose donc maintenant la question du choix et de la volonté politiques. Je pars du principe que cette volonté existe et que la PMA sera donc ouverte à tous les couples et aux femmes célibataires. Se pose alors la question de l'établissement du lien de filiation.

Le lien de filiation est toujours une construction juridique, toujours une construction sociale. Les règles de droit relatives à la filiation sont le fruit d'une élaboration du corps social à un moment donné, dans une société donnée. Au début du XIXe siècle, une femme qui n'était pas mariée avec le père donnait naissance à un enfant que l'on appelait un bâtard. La filiation à l'égard du géniteur de cet enfant marqué d'un opprobre ne pouvait absolument pas être établie car, de 1804 à 1910, la société admettait qu'un enfant n'ait pas légalement de père. Heureusement, les choses ont évolué et ce n'est plus possible aujourd'hui.

À partir de cet exemple, je veux démontrer que la question du lien de filiation n'est pas liée à la biologie ou à la génétique. La présomption de paternité en est un exemple, les règles relatives à l'adoption en sont un autre. Nous pouvons donc envisager des modes d'établissement du lien de filiation pour des couples de femmes qui ont recours à la PMA. Ce sont des constructions sociales qui deviendront des constructions juridiques, incluses dans notre code civil.

Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la question de l'établissement du lien de filiation pour une femme célibataire qui accouche ne se pose pas, puisque la filiation de l'enfant sera parfaitement établie à partir de la déclaration de naissance. La question se pose pour les couples de femmes.

Pour les couples de femmes, nous pouvons envisager au minimum quatre possibilités. Bien sûr, on peut en imaginer d'autres.

La première possibilité serait de s'en tenir au statu quo, à savoir la possibilité pour la conjointe de la mère d'adopter l'enfant de la mère. Une telle possibilité, validée par la Cour de cassation dans deux avis du 22 septembre 2014, est appliquée par la quasi-totalité des tribunaux de grande instance de France. Cette solution, cependant, n'est pas satisfaisante pour au moins deux raisons.

D'une part, la requête en adoption ne peut pas être déposée dès la naissance de l'enfant. Aussi, existe-t-il un laps de temps, plus ou moins important, entre la naissance de l'enfant et le moment où la requête est déposée. Au cours de ce laps de temps, l'enfant n'est pas légalement protégé, c'est-à-dire qu'une réelle difficulté se pose si sa mère légale vient à décéder.

D'autre part, il arrive qu'après la naissance de l'enfant, le couple se sépare avant même d'avoir introduit la procédure d'adoption, auquel cas la protection de l'enfant est liée au bon vouloir de la mère qui accepte ou n'accepte pas cette adoption, ou bien qui accepte ou n'accepte pas un partage de l'autorité parentale. Et si elle n'accepte aucune de ces deux solutions, il faut alors que la mère sociale – celle qui n'est pas la mère légale – introduise une procédure pour maintenir les liens entre l'enfant et elle-même, procédure qui n'aboutit pas à l'établissement d'un lien de filiation et qui ne protège donc pas complètement l'enfant. Je rappelle que le lien de filiation consiste en la transmission du nom, le partage de l'autorité parentale et la possibilité pour l'enfant d'hériter de celui auquel il est affilié. La solution du statu quo n'est donc pas une bonne solution, me semble-t-il. Dès lors, quelle nouvelle solution pouvons-nous envisager ?

Dans un premier temps, nous pourrions transposer ce qui se fait pour les couples hétérosexuels qui ont eu recours à une procréation médicalement assistée avec un tiers donneur. Il me semble important de rappeler dans le détail comment cela se passe. Ce couple donne son consentement devant un juge qui, aux termes de l'article 311-20 du code civil, dresse un procès-verbal, lequel est un recueil des consentements. Au cours de l'entretien, qui dure généralement une petite demi-heure, le magistrat rappelle que le recueil des consentements vaut engagement à l'établissement du lien de filiation, qui sera irrévocable. Le juge informe le couple hétérosexuel qu'aucun des membres du couple ne pourra contester le lien de filiation qui sera établi selon les règles du droit commun. Quelles sont-elles ? Si le couple est marié, la femme qui a accouché est inscrite comme mère sur l'acte de naissance et le mari de cette femme est le père par effet de la présomption de paternité. Le mari n'a rien à faire : c'est la présomption de paternité qui le rend père. Telle est la règle de droit commun pour les couples mariés.

Pour les couples non mariés, la mère qui accouche est inscrite sur l'acte de naissance comme étant la mère. Le père, c'est-à-dire le compagnon de la mère et non pas le conjoint, procédera à une reconnaissance de paternité. Et si jamais il ne l'a pas fait, la mère peut agir en déclaration judiciaire de paternité. En raison de la procréation médicalement assistée, cette paternité sera établie judiciairement. C'est obligatoire. C'est ainsi cela que cela se passe aujourd'hui pour les couples hétérosexuels.

Si l'on transpose ce système aux couples de femmes, le couple de femmes donnera son consentement devant un juge qui le recueillera ; il leur indiquera que le recueil des consentements vaut engagement irrévocable à l'établissement du lien de filiation vis-à-vis de l'enfant à naître. À ce stade, il conviendrait d'introduire une petite innovation législative, peu importante d'un point de vue technique et extrêmement simple : le procès-verbal établi par le juge de recueil des consentements, qui est un acte judiciaire, serait remis à l'officier d'état civil au moment de la déclaration de naissance.

En pratique, lorsque la femme accouche, la clinique ou l'hôpital établit un certificat d'accouchement qui est ensuite transféré à l'officier d'état civil, soit par la compagne de la mère, soit par les services de l'hôpital. Ce certificat conduit à l'établissement de l'acte de naissance, avec indication du nom de la mère. Y joindre le procès-verbal de recueil des consentements établi par le juge permettrait à l'officier d'état civil, si une disposition le précisait, d'établir un acte de naissance avec la mention de la femme qui a accouché et de celle qui s'est engagée à être la seconde mère, cet engagement étant certifié dans le procès-verbal de recueil des consentements.

Dès sa naissance, l'enfant serait juridiquement protégé par l'établissement de cet acte de naissance, dont je rappelle qu'il établit l'identité de l'enfant et son état civil. À ce point du débat, j'ai une petite divergence avec Laurence Brunet sur la question de la mention. Il existe deux types d'acte de naissance : l'extrait d'acte de naissance, qui peut circuler de façon relativement large, et la copie intégrale, qui porte un grand nombre de mentions, par exemple lorsqu'une personne a été légitimée par mariage – à l'époque où cela existait –, a changé de nom ou de prénom, est mariée, pacsée ou divorcée, ou a acquis la nationalité française – en cas d'adoption simple avec la mention de l'exequatur d'un jugement étranger.

La copie intégrale de l'acte de naissance, qui est réservée à la personne elle-même et qui est communiquée dans un nombre de cas très réduit, porte déjà la mention de diverses informations. Il ne me paraît pas gênant que l'acte de naissance de l'enfant indique qu'un procès-verbal de recueil des consentements de ses parents a été dressé par le juge à telle date. Cela me paraît cohérent, de surcroît, avec l'idée que l'anonymat des donneurs de gamètes devrait être levé. On ne peut pas à la fois vouloir la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes et ne rien inscrire sur l'acte de naissance. La mention dont il s'agit ne me paraît pas poser une difficulté majeure dans la mesure où il existe d'ores et déjà une grande diversité de mentions sur la copie intégrale de l'acte de naissance, y compris des mentions qui informent sur la façon dont les parents sont devenus parents. Ce n'est pas en soi quelque chose de honteux : ce qui compte, c'est d'avoir un acte de naissance mentionnant les deux parents.

Le système que je viens d'indiquer est le plus simple, mais on pourrait aller plus loin. Deux autres systèmes seraient possibles. On pourrait notamment envisager d'instaurer une présomption de parenté au lieu et place de la présomption de paternité. Aujourd'hui, pour les couples mariés, la présomption de paternité permet au mari de la mère de devenir père sans avoir rien à faire. Il est marié, il devient père légalement. Il est possible de « neutraliser » la terminologie « paternité » au bénéfice de celle de « parenté » qui renvoie aux règles relatives à la filiation et aux règles éducatives. Cela permettrait aux couples de femmes de bénéficier de cette présomption de parenté. Une telle mesure, assez simple à mettre en place, ne concernerait cependant que les couples mariés. Il conviendrait donc que le législateur introduise pour les couples non mariés une innovation que notre droit pourrait supporter sous la forme d'une reconnaissance de parenté pour la compagne, toujours sur la base du procès-verbal de recueil des consentements puisque ce dernier existe dans tous les systèmes. C'est une évidence : il faut bien, à un moment donné, recueillir le consentement des personnes qui s'engagent dans une PMA avec tiers donneur. On supprimerait donc la présomption de paternité au bénéfice d'une présomption de parenté qui permet d'inclure tout le monde. Utiliser le terme de « parenté » aboutirait à une forme d'universalisation de la terminologie.

Ce nouvel article 312 du code civil pourrait être rédigé ainsi : « L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour second parent le conjoint ou la conjointe de la mère. » Techniquement, c'est d'une grande simplicité. Je ne reviens pas sur la nécessité d'introduire parallèlement, pour les couples non mariés, une innovation qui permettrait une reconnaissance de parenté par le biais du procès-verbal de recueil des consentements. Nous aurions ainsi une sécurité juridique du début jusqu'à la fin, ce qui serait intéressant.

La dernière possibilité pour le législateur serait de procéder à une différence entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes. On garderait la présomption de paternité pour les couples hétérosexuels. Pour les couples de femmes mariés, on introduirait une présomption de co-maternité selon le même principe que la présomption de paternité. Dans la mesure où l'on est en présence de deux femmes, il s'agit d'une présomption de co-maternité. Tel est le choix qui a été fait par la Belgique et par le Québec. Pour prendre l'exemple du code civil belge, l'enfant né pendant le mariage ou dans les trois cents jours qui suivent la dissolution ou l'annulation du mariage a pour co-parente l'épouse. Les dispositions sur le mariage s'appliquent.

Les Québécois et les Britanniques ont procédé à l'identique. En parallèle, ces législations, qui nous montrent que c'est techniquement faisable, ont également introduit pour les couples non mariés une déclaration de co-maternité sur la base déclarative. Je ne connais pas le détail de la technique, je ne sais pas s'il y a un procès-verbal de recueil des consentements – on peut l'imaginer. En tout cas, le législateur le prévoit et cela fonctionne sans difficultés particulières.

En conclusion, ce qui compte, c'est que vous, législateur, mettiez en place un ou plusieurs mécanismes juridiques acceptables par notre société afin que l'établissement du lien de filiation de l'enfant puisse intervenir dès sa naissance, car c'est ce qui le protège sur le plan juridique. Il aura deux parents ayant exactement les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il pourra porter leur nom. Ses deux parents exerceront l'autorité parentale à son égard, il pourra hériter d'eux et, en définitive, le principal est que cette protection soit parfaitement établie.

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