Intervention de Geoffroy de Vries

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Geoffroy de Vries, avocat, secrétaire général de l'Institut Famille et République :

Je suis très honoré et très heureux d'être auditionné aujourd'hui, et ce en qualité de secrétaire général de l'Institut Famille et République, un think tank de juristes qui a vocation à faire des propositions en matière de droit familial et de droit des personnes.

Je souhaiterais me concentrer sur le projet d'extension de la PMA et évoquer avec vous deux questions fondamentales : d'une part, la causalité – le principe d'égalité qui justifierait la déréglementation ou la généralisation de la PMA ; d'autre part, les conséquences prévisibles – parce qu'il existe des obstacles éthiques, juridiques et politiques. Il suffit de lire avec une certaine attention les avis tant du CCNE que du Conseil d'État et de relire la synthèse des États généraux de la bioéthique pour se rendre compte qu'il n'y a pas véritablement de consensus sur ces sujets, quoi que l'on en dise.

La première question qui se pose est simple : peut-on justifier, au nom de l'égalité, l'accès à la PMA des couples de femmes et des femmes seules ? Autrement dit, la différence cause-t-elle une inégalité ? D'aucuns veulent voir une inégalité dans le critère thérapeutique qui réserve actuellement la PMA à un couple infertile, formé d'un homme et d'une femme, dès lors que cette infertilité a été médicalement diagnostiquée. Il s'agit là d'une conception erronée de l'égalité, et ce pour plusieurs raisons : tout d'abord, il n'y a pas de droit à la PMA pour les couples hétérosexuels. La PMA n'est accessible à un couple formé d'un homme et d'une femme que pour autant qu'il est infertile ou souhaite éviter une maladie grave à l'enfant. Un couple homme-femme fertile ne bénéficie pas d'une PMA, et pourtant il ne subit pas d'inégalité. Il n'y a pas de PMA possible pour un couple homme-femme âgé, et pourtant il ne subit pas d'inégalité.

Deuxième raison : l'égalité ne signifie pas qu'il faille traiter tout le monde de la même manière – ce qui, au contraire, serait très injuste – mais uniquement ceux qui sont dans la même situation ou qui sont dans une situation équivalente. Une femme seule, un couple de femmes, un couple âgé, ou encore un couple dont le mari est décédé, n'est pas dans une situation équivalente à un couple composé d'un homme et d'une femme en âge de procréer. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme. Le professeur Lucas a rappelé certaines décisions, notamment un arrêt tout récent du 28 septembre 2018 du Conseil d'État, qui rappelle que la différence de situation justifie la différence de traitement et que les couples de personnes de même sexe sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples formés d'un homme et d'une femme. Autrement dit, selon les instances juridiques françaises et européennes, l'argument de l'égalité ne peut pas justifier l'extension de la PMA.

Bien évidemment, l'orientation sexuelle des intéressés n'est pas concernée par cette question. Une femme seule n'est pas forcément homosexuelle et pourrait très bien vouloir avoir un enfant alors même qu'elle est hétérosexuelle. Par contre, s'il n'y a pas d'inégalité entre les couples, il y en aurait une aux dépens de l'enfant. En effet, remédier à cette prétendue inégalité imaginaire instaurerait une inégalité bien réelle entre les enfants qui auraient la possibilité de connaître leur père ou d'avoir un père et ceux qui en seraient privés de par la loi.

Ensuite, cette conception erronée de l'égalité conduira, qu'on le veuille ou non, à la gestation pour autrui (GPA). À partir du moment où l'on suppose une prétendue inégalité au regard de la procréation entre les couples de femmes et les couples homme-femme stériles pour justifier l'extension de la PMA, cette prétendue inégalité sera également invoquée au profit des couples d'hommes pour justifier la GPA demain.

S'agissant des conséquences de l'extension de la PMA, la première d'entre elles – de loin la plus importante – est la suppression du père et de la lignée paternelle. La question est simple : est-il important d'avoir un père ? D'aucuns veulent relativiser l'absence du père en invoquant notamment que l'amour comblerait cette absence, mais l'amour ne justifie pas tout. En particulier l'amour ne peut pas justifier de priver de père un enfant, d'autant qu'il n'arrivera jamais à remplacer cette absence de père, reconnue par la société comme une blessure, quelle que soit d'ailleurs l'origine de cette absence : un abandon, un décès, un divorce.

Dans son avis de juin 2017, le CCNE constatait que s'il a toujours existé des enfants ne connaissant pas leur père et des enfants élevés par un seul parent dans un couple homosexuel, il y a une différence entre faire face à une telle situation survenant dans le cadre de la vie privée sans avoir été planifiée ni organisée par la société, et l'instituer ab initio.

Par ailleurs, la parenté ne se réduit pas à une relation d'éducation : elle permet de se situer dans une généalogie, elle indique une origine qui peut être soit biologique – le cas de l'enfant biologique –, soit symbolique – le cas des enfants adoptés. L'importance du lien biologique dans la filiation est révélée par l'application de la notion de préjudice juridiquement réparable. La justice française a eu maintes fois affaire à de tels drames, nés du préjudice qui résulte de l'échange accidentel d'enfants à leur naissance – tout le monde se souvient du film La vie est un long fleuve tranquille – et surtout du préjudice liés aux erreurs d'attribution de gamètes et d'embryons dans le processus de PMA. Si le lien biologique est indifférent en matière de filiation, dès lors, pourquoi le couple en processus de PMA sans tiers donneur peut-il invoquer un préjudice au motif que l'enfant attendu est en fait issu des gamètes d'autrui ?

Qui peut nier que l'absence d'un père constitue un manque ? Qui peut nier qu'il est préférable d'avoir un père que de n'en avoir pas ? Qui peut prétendre que l'amour qui donnera vie à un enfant comblera cette absence de père ?

Enfin, la conception sans père serait également une violation des droits de l'enfant au regard de la Convention internationale des droits de l'enfant. Le professeur André Lucas l'a indiqué, je n'y reviens donc pas. J'ajouterai d'autres conséquences prévisibles qu'il me semble important d'évoquer. Elles figurent dans le rapport du Conseil d'État intitulé Révision de la loi bioéthique, quelles options pour demain ? de juillet 2018. Je citerai notamment les effets nocifs du projet parental qui serait uniquement fondé sur la volonté parce que la volonté, qu'on le veuille ou non, est versatile : je peux vouloir être parent aujourd'hui et décider de ne plus l'être demain. On peut donner son consentement, soi-disant sans possibilité de revenir en arrière, mais que se passe-t-il si le consentement a été vicié ?

La parenté fondée sur le projet parental aboutira à la multiparenté. Je peux citer des exemples au Canada d'enfants qui ont trois parents. Deux décisions, l'une émanant de la cour d'appel de l'Ontario, l'autre de la cour d'appel de l'Alberta, font état de cas d'enfants qui ont désormais trois parents. La loi de Californie et la loi de la Colombie-Britannique ont été modifiées pour prévoir elles aussi la multiparenté.

La PMA post mortem pose question. En raison de la pénurie de gamètes, on s'achemine vers une marchandisation du sperme et donc des éléments du corps humain. Si l'on vend son sperme, pourquoi ne pas vendre son oeil, son rein ou son bras si cela peut aider à réparer une personne blessée ?

Mesdames, messieurs, nous pouvons être fiers, aujourd'hui, en France, d'être dotés de règles bioéthiques qui préservent du marché le corps et la procréation. Quoi que l'on en dise, nous ne sommes pas à la traîne : nous sommes, au contraire, en avance en garantissant le respect des droits de tous, en particulier de l'enfant.

Cette révision de la loi de bioéthique, en particulier concernant la PMA, doit être à la hauteur de notre philosophie des droits de l'homme, en cherchant à faire valoir l'intérêt général plutôt que l'intérêt particulier, l'intérêt du plus faible, l'enfant, plutôt que celui du plus fort, l'adulte, et à faire valoir la raison plutôt que l'application d'une idéologie ou la réalisation de désir, quel qu'il soit. Je vous remercie.

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