Intervention de Laurence Brunet

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Laurence Brunet, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne :

Je suis sensible à votre propos selon lequel l'enfant ne doit pas être stigmatisé, ni aucune précision figurer à l'état civil. Lorsque l'on est adopté, quand on est légitimé, il est normal que l'état civil fasse état d'une forme d'historique. En revanche, s'agissant du mode de conception et des aspects corporels, moins l'on en sait, mieux l'on se porte.

Pour avoir beaucoup discuté de cette question avec des couples de même sexe ou hétérosexuels, je pense que les parents sont responsables et matures. Bien sûr, il faut lever le secret du mode de conception de l'enfant. Cela se passe entre les parents et les enfants. La société doit accompagner ce mouvement de transparence, mais une pression par la voie de l'état civil me semble aller trop loin. Peut-être suis-je influencée, comme je vous l'ai dit, par mes travaux actuels. J'ai lu les travaux produits en Grande-Bretagne où ces mêmes questions se sont posées en 2008 lorsqu'a été ouverte la procréation aux couples de même sexe. La possibilité de la levée de l'anonymat a été envisagée en 2004 et 2005. Le respect du droit à la vie privée des parents l'a finalement emporté.

Le législateur britannique a encouragé la levée du secret, écarté l'anonymat en permettant de manière graduelle et en accompagnant cette levée possible des origines par la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), mais il a décidé de ne pas inscrire ces informations sur les documents d'état civil. Je souligne que la Grande-Bretagne n'a pas d'actes d'état civil équivalents aux nôtres. Inscrire des informations serait trop attentatoire aux rapports liants parents et enfants.

La solution la meilleure, me semble-t-il, passerait par ce qu'on appelle la présomption de co-maternité ou la présomption de parenté. Il me semble essentiel de maintenir la cohérence du droit de la filiation faisant l'objet du titre VII du code civil. Le droit français de la filiation est parcouru par des tensions entre la filiation biologique et la filiation fondée sur la volonté. La reconnaissance est fondée sur la volonté. Mais le titre VII a toute sa cohérence parce que la filiation repose sur une vraisemblance d'engendrement. Cela ne se constate pas dans les modes extrajudiciaires d'établissement de la filiation, mais lorsqu'on se rend dans les prétoires en raison d'un contentieux, la preuve qui règne aujourd'hui est celle qui repose sur l'expertise biologique.

Ce droit s'est construit depuis 1804 en se fondant sur la volonté, mais, en cas de contestation, le soubassement le plus profond repose sur la biologie. Le droit est ainsi construit. Je ne sais s'il faut tout réformer, je n'irai pas jusque-là. Avec l'ordonnance de 2005, ce droit a accédé à un certain équilibre entre la paix sociale et l'importance de la biologie. Peut-être conviendra-t-il de procéder à des aménagements parce que la Cour européenne des droits de l'homme estime que les délais de prescription sont trop courts.

La solution la plus simple consisterait à reprendre les modes extrajudiciaires d'établissement de la filiation, c'est-à-dire la présomption de parenté, la co-maternité et la reconnaissance, à les ôter du titre VII pour ne pas abîmer sa cohérence et à créer un titre VII bis relatif à la procréation par don de gamètes, peut-être un jour par GPA ou par greffe d'utérus. Il faudra, en effet, anticiper.

Nous reprendrions des modes habituels qui n'apparaîtraient pas sur l'acte de naissance. Il ne faut cependant pas tout mélanger car la cohérence du droit est essentielle. Elle a déjà été mise à mal en 1994 quand on a introduit de force les articles 311-19 et 311-20 du code civil dans le titre VII. En relisant les débats parlementaires, les partisans militaient plutôt en faveur de leur insertion dans le titre relatif à l'adoption. On n'osait pas encore créer un titre VII bis, mais prévalait l'idée qu'il s'agissait d'un mode spécifique et qu'il fallait le distinguer, sans pour autant discriminer ou stigmatiser. L'idée a été débattue, même si elle a été écartée au nom d'une sorte de « ni vu ni connu », comme dirait Irène Théry.

Aujourd'hui, nous sommes en train de nous saisir de la question dans son entier, et il nous faut basculer ces articles dans un autre titre pour donner une cohérence à ces modes d'établissement de la filiation. Cela dit, je souhaite qu'ils restent assez traditionnels. Les modes extrajudiciaires d'établissement sont aujourd'hui adéquats, la plupart fondés sur l'acte de volonté. La présomption de paternité est une façon de donner par avance son consentement aux enfants qui naîtront du mariage. La place de la volonté est déjà présente. Il suffit de transposer. La spécificité du titre VII bis tiendrait dans le fait que la preuve biologique ne serait pas recevable. Les filiations seraient verrouillées comme cela figure aux articles 319 et 320 du code civil. Il s'agit de faire sortir ces deux articles du titre VII et de les insérer dans un titre VII bis, en l'aménageant pour que son contenu s'applique à tous les couples, les couples de femmes en particulier.

Cette façon de faire traduirait un changement symbolique très fort et serait facile à réaliser d'un point de vue juridique.

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