Intervention de Carole Mécary

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Carole Mécary, avocate aux barreaux de Paris et de Québec, ancien membre du Conseil de l'Ordre :

Je rappelle en préambule cette phrase de Françoise Héritier : « Rien de ce qui nous paraît naturel n'est naturel. » Cela pour dire que le législateur a tout pouvoir d'organiser l'établissement du lien de filiation dans le cadre d'une procréation médicalement assistée. Je rejoins Laurence Brunet sur la mise en place de ce titre VII bis concernant les procréations médicalement assistées.

Je formulerai maintenant quelques observations.

J'ai indiqué dans mon exposé les différentes modalités que j'ai envisagées, notamment les trois dernières visant à ne pas toucher au mode d'établissement de la filiation via la présomption de paternité grâce au procès-verbal de recueil des consentements qui serait utilisé à l'établissement de l'acte de naissance. Ce n'est qu'une des possibilités. La mise en place d'une présomption de parenté ou de co-maternité avec en parallèle une déclaration est parfaitement envisageable. Au législateur de choisir.

Ce n'est pas parce qu'il y a des différences que ce sont des discriminations. Ce n'est pas parce qu'il y a des femmes et des hommes qu'il y a une discrimination sur le plan juridique. Ce n'est pas parce que figurerait sur la copie intégrale de l'acte de naissance la mention d'un procès-verbal de recueil des consentements que l'enfant serait discriminé. Il s'agit de mettre en accord un élément de son histoire et un élément de son identité. Éventuellement, la discrimination résiderait dans le fait que l'enfant n'aurait pas connaissance de cette situation, que ses parents ne la lui auraient pas révélée. Pour le reste, ce n'est pas une différence discriminante pour l'enfant. Les jumelles Mennesson savent pertinemment qu'elles ont été conçues grâce à une mère porteuse. Elles savent que leur mère est Mme Mennesson et leur père M. Menesson, et qu'il a fallu une mère porteuse pour qu'elles viennent au monde – ce qu'elles n'ont pas demandé, ni aucun d'entre nous. Elles ne vivent pas la situation comme une discrimination, car elles en sont informées. Il ne faut pas considérer que toute différence entre des situations de fait soit une discrimination. L'analyse ne me paraît pas juste, du moins sur le plan juridique. Cela dit, il revient au législateur de trouver la meilleure solution, au regard des enjeux qui sont posés aujourd'hui.

Vous avez évoqué la gestation pour autrui (GPA) et la situation des enfants aujourd'hui conçus à l'étranger par gestation pour autrui. À l'étranger, un acte de naissance est établi au nom des parents d'intention : un couple hétérosexuel, un couple d'hommes, parfois une femme ou un homme célibataire. L'acte de naissance est établi conformément à la loi nationale du pays étranger, que ce soit le Portugal, qui a ouvert la gestation pour autrui, la Grèce, Israël, etc.

L'identité n'est pas un problème sur le plan juridique. Il n'y a pas non plus un problème d'établissement du lien de filiation, lequel est établi par l'acte de naissance étranger, normalement valable en France dès lors qu'il est traduit et apostillé.

Le problème réside dans le refus idéologique opposé par la Cour de cassation à une transcription totale de l'acte de naissance. La transcription n'est pas l'établissement du lien de filiation : elle permet à un enfant d'avoir un acte de naissance français. Si l'on peut vivre sans transcription, il n'en reste pas moins qu'il est très pratique d'avoir un acte de naissance français. La Cour de cassation, le 5 juillet 2017, a considéré que l'on ne pouvait le transcrire que partiellement. C'est une position incohérente parce qu'elle est politique. Je m'explique : la Cour de cassation a considéré que l'acte de naissance devait être retranscrit uniquement à l'égard du mari de la femme qui figure sur l'acte de naissance. Or, comment la présomption de paternité peut-elle jouer à l'égard d'un homme dont on sait que la femme n'a pas accouché ? C'est une première incohérence, mais l'on relève surtout la dimension politique de la position de la Cour de cassation, qui considère que la mère est toujours celle qui accouche. En droit, c'est faux. La mère n'est pas toujours celle qui accouche : elle peut être une mère adoptive qui n'a jamais accouché ; dans l'accouchement sous X, la femme qui a accouché peut ne jamais être la mère. Il y a là un problème de cohérence interne à la Cour de cassation.

La Cour de cassation reconnaît la transcription uniquement à l'égard du père supposé être le père biologique, alors que l'on n'a jamais demandé à un homme marié de fournir un test de paternité. Mais, surtout, elle explique qu'une transcription partielle protège mieux l'intérêt de l'enfant. Il serait pourtant très étrange que l'intérêt de l'enfant soit mieux protégé par une transcription partielle que par la transcription complète. C'est totalement incohérent.

Une transcription partielle protégerait censément la femme porteuse, qui n'est pas dans la cause et qui n'a rien demandé. Selon son droit national, elle a même renoncé à tout droit sur l'enfant, qu'elle ne considère pas comme étant son enfant. On comprend la motivation de la Cour de cassation qui formule textuellement que cela empêche le recours à la GPA à l'étranger. À cet égard, le rôle de la Cour de cassation est bien étrange. Au reste, elle sait très bien que sa position est bancale puisque, le 5 octobre dernier, elle a demandé un avis à la Cour européenne des droits de l'homme. Ce faisant, elle ne prend pas ses responsabilités. Comprenant que sa position est bancale, elle demande à la CEDH si elle doit reconnaître intégralement l'acte de naissance en fonction ou non d'un don de gamètes, ce qui ouvre une boîte de Pandore terrifiante. C'est la raison pour laquelle le législateur pourrait rappeler que la transcription de l'acte de naissance étranger doit être faite dès lors qu'est fourni un acte de naissance étranger valablement établi selon les formes du droit étranger. Cela réglerait la question et mettrait fin à seize ans de procédure judiciaire, car cela fait seize ans que cette histoire n'est pas réglée et que cela occupe le tribunal de grande instance de Nantes, la cour d'appel de Rennes, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme ! Sans compter que c'est contraire à l'intérêt de l'enfant…

Il conviendrait donc de régler cette question qui, au demeurant, est fort simple dans la mesure où il suffit d'accepter la transcription complète, tout en ne légalisant pas la GPA en France, où elle reste interdite.

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