Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Madame, vous souhaitez comme nous une réflexion apaisée et rationnelle, tolérante, et qui se fonde sur les faits les plus rigoureux, plus que sur des impressions, des croyances ou des passions.

Je souhaiterais, si vous me le permettait, rectifier un petit point. Certes vous avez rappelé certaines déclarations du Président de la République, mais la majorité de l'Assemblée nationale a été élue sur deux éléments qui figuraient dans notre programme commun. Je vous les cite : « Nous sommes favorables à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. […] Nous assurerons que les enfants nés de la GPA à l'étranger ait leur filiation reconnue à l'état civil selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. » La majorité des députés actuels s'est engagée en ce sens devant les électeurs. Ces points doivent être pris en considération ; je souhaiterais apporter cette rectification.

J'en viens à mes questions. Premièrement, êtes-vous pour ou contre la PMA pour les couples hétérosexuels ? Vous n'ignorez pas que dans un quart des cas, pour ces couples hétérosexuels, la PMA est pratiquée sans qu'une stérilité médicale soit établie, mais parce que ce couple hétérosexuel, n'ayant pas d'enfants, désire l'aide de la PMA. Plusieurs de ces couples ont d'ailleurs, secondairement, des enfants dans les conditions habituelles, après avoir eu un enfant par PMA, prouvant ainsi qu'ils n'étaient pas stériles. Qu'autoriseriez-vous si vous aviez à revenir sur l'ensemble de l'application de la PMA ?

Deuxièmement, souhaitez-vous « rejouer le match » du mariage pour tous, et remettre en question l'adoption par des couples homosexuels ? Souhaitez-vous remettre en question l'égalité d'accès à l'adoption, comme nous avons malheureusement pu le constater à certains endroits ? Tout cela fait désormais partie de la loi française, et elle doit être respectée. La quasi-totalité des pays qui ont adopté, avant ou après la France, le mariage pour tous ont simultanément adopté la PMA pour les couples de femmes. Le président Hollande, dans son dernier livre, indique regretter que cette disposition n'ait pas été adoptée en même temps, car elle parait naturelle : pourquoi refuser à un couple de femmes, qui est autorisé à se marier et à adopter des enfants, d'utiliser l'utérus de l'une de ses deux femmes pour faire cet enfant ? Cette logique paraît si naturelle et si évidente que l'on ne comprend pas pourquoi la disposition n'a pas été prise en même temps.

Toutes les questions que vous posez sont légitimes. Je n'ai aucun a priori envers quelque question que ce soit. Vous avez tout à fait le droit de vous demander si un enfant qui n'a pas de père ne va pas rencontrer des difficultés. Nous pouvons aller plus loin, et nous demander si le père, la référence paternelle, est indispensable au bon développement de l'enfant. Il est légitime de se poser de telles questions. En revanche, ne pas tenir compte des études scientifiques qui apportent des réponses, voilà qui est moins légitime. J'ai beaucoup de peine à entendre des critiques sur la valeur scientifique de ces études, qui ont été remarquablement menées à l'étranger, à Cambridge par Mme Susan Golombok, aux États-Unis et dans des pays d'Europe du Nord. La France réalise peu d'études, et je le regrette. Un engagement doit être pris pour y remédier. Je crains que nous ne soyons en présence d'un exemple typique de l'arrogance française, dénoncée par d'autres pays, qui nous fait reporter sur l'étranger la solution à des problèmes que nous ne pouvons nous-mêmes régler. Nous laissons des couples qui ne peuvent enfanter légalement en France rechercher des solutions à l'étranger. Nous devrions montrer de la reconnaissance à leur égard, pour cette capacité à résoudre les problèmes que nous ne sommes pas capables de régler. Dans le même temps nous les critiquons, et nous critiquons les études scientifiques qu'ils mènent dans les plus grandes conditions de rigueur. Ces études sont considérées comme les meilleures sur ces sujets ! Elles apportent des conclusions très simples : les enfants élevés par des couples de femmes homosexuelles, par une femme seule ou par des couples hétérosexuels à la suite d'une PMA, par désir d'enfant, ne présentent aucune différence entre eux en termes de développement affectif, intellectuel, d'orientation sexuelle future, etc. Là ne réside pas la difficulté. Beaucoup de choses peuvent entraver le développement de l'enfant, mais pas ce point.

Chacun de ces enfants a d'ailleurs de multiples référents masculins : oncles, cousins, grands-pères, etc. Personnellement, j'ai eu plusieurs référentes maternelles et plusieurs référents paternels. Je m'en porte plutôt bien, et j'estime que c'est une chance. Les hasards de la vie m'ont apporté ces référents multiples, et je n'y vois que des avantages. Il est très important, pour les enfants, de connaître une pluralité de personnes qui lui servent d'exemples. C'est ainsi que l'enfant se développe. Plus nous étudions l'intelligence artificielle, plus nous comprenons que c'est là que réside la capacité de l'enfant à se développer, c'est-à-dire son adaptabilité à des situations très diverses, infinies, bien plus variées que ce qu'un adulte peut assimiler. À cette adaptabilité s'ajoute la capacité à s'inspirer de plusieurs modèles adultes pour progresser.

Madame, êtes-vous d'accord pour reconnaître la fiabilité de ces études scientifiques, et pour séparer ce qui relève du savoir de ce qui relève de la croyance ? Nous avons le droit de croire que nous préférons tel mode de vie ou de famille, mais nous ne sommes pas autorisés à dire qu'il est scientifiquement prouvé que tel ou tel modèle est plus légitime que l'autre, et que ceux qui voit différemment la manière de « faire famille » ont tort.

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