Intervention de Guillaume Chiche

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Chiche :

Monsieur le président, mes chers collègues, je n'aurai pas de question à proprement parler à adresser à La Manif Pour Tous, mais je ferai une intervention pour exprimer mon désaccord, condamner les propos et actions menées par votre parti politique, qui est loin de représenter toutes les personnes qui s'interrogent sur la procréation et la filiation.

À ce titre, j'ai adressé un courrier à M. le président de la mission d'information ainsi qu'à M. le rapporteur, afin de m'opposer formellement à votre audition. L'enjeu de cette mission est d'éclairer la représentation nationale sur les enjeux de bioéthique dans un temps déterminé, raison pour laquelle toutes les personnes et les organisations qui souhaitent être auditionnées peuvent nous faire parvenir une contribution écrite. En l'occurrence, je crois que vous avez eu tout le loisir de vous exprimer, médiatiquement ou au travers d'un travail de lobbying intensif auprès des parlementaires, par la remise de documents.

Je crois que notre institution aujourd'hui ne s'honore pas en vous donnant la parole, et ce à plusieurs titres. Tout d'abord, parce que vous véhiculez des contre-vérités. À l'instar d'une publication sur votre site internet, le 21 octobre, il y a trois jours – vous avez réitéré vos propos ce matin, lors de votre allocution liminaire –, qui explique que l'extension de la PMA à toutes les femmes n'a jamais fait partie du programme d'Emmanuel Macron. Cependant, cette extension en fait bien partie, elle figure dans un grand nombre de documents, que je tiens à votre disposition. Il s'agit notamment d'une déclaration publique du 16 février 2017, une promesse de campagne réitérée depuis l'élection présidentielle par le Gouvernement et par la majorité parlementaire, alors en campagne pour les élections législatives, et ce même après notre élection.

Ensuite, parce que vous vous proclamez défenseurs de la famille, alors que vous menez un exercice d'attaques systématiques de familles que vous stigmatisez sans vergogne. Je pense aux familles monoparentales, aux familles homoparentales, presque à demi-mots aux familles recomposées. Par voie de conséquence, vous vous attaquez aux enfants de ces familles, qui n'ont besoin que d'un environnement propice à leur développement et à leur bien-être, au-delà du nombre, du genre, de l'orientation sexuelle des figures d'autorité parentale qui composent leur famille. C'est d'ailleurs une différence fondamentale entre votre parti politique et les associations familiales qui, dans leur grande majorité, protègent l'ensemble des familles et sont salies par vos propos.

Aussi, parce que vous êtes dans un exercice d'obscurantisme exacerbé qui consiste à décrédibiliser des travaux de recherche scientifique – vous l'avez fait encore ce matin. C'est notamment le cas pour les travaux menés par le professeur Golombok de l'université de Cambridge, menés sur plus de trente ans, qui mettent en évidence le fait que les enfants élevés dans des familles homoparentales ou monoparentales ne souffrent d'aucun écueil. Vous balayez ces travaux d'un revers de main, tantôt en prenant prétexte d'une déclaration du CCNE, tantôt en disant que la méthode utilisée n'a pas été scientifiquement validée et souffre de certains manques, sans pour autant expliquer ces manques ou citer des travaux scientifiques contradictoires.

Aussi, parce que vous n'avez pas hésité – et je parle bien de votre parti politique – à biaiser les travaux d'une autorité administrative indépendante, à savoir des États généraux de la bioéthique du CCNE, en organisant une sur-mobilisation militante, qui a été saluée par beaucoup, notamment des hommes d'Église, et regrettée par le président du CCNE, M. Delfraissy, que vous citez souvent. Elle a poussé certains acteurs associatifs à déserter les ateliers de réflexion sous les sifflets et les huées. Vous êtes même allés jusqu'à tenter de vous substituer au CCNE en produisant et en diffusant votre propre synthèse des travaux, comme pour jeter l'opprobre ou le doute sur cette autorité administrative indépendante.

Enfin – et c'est pour moi le plus tragique –, par votre attitude, vos propos et vos actions, vous véhiculez la haine crasse qu'est l'homophobie. Je vais prendre quelques exemples. Le 22 septembre dernier, M. Jean-Marie Andrès, à la tribune de la sixième université d'été de votre parti politique, a dit : « Le problème, c'est pas que les pédés… » La campagne d'affichage que vous avez initiée ou à laquelle vous avez participé en 2017 présentait les slogans suivants : « Après les légumes OGM, les enfants à un seul parent ? », ou « Agir pour le respect de nos animaux et des plantes, mais pas pour celui des enfants ? » Avec ces comparaisons, vous niez l'appartenance d'individus et d'enfants à l'espèce humaine. C'est absolument abject et inacceptable dans notre République.

Je ne sais pas, sincèrement, si vous comprenez l'impact de tels propos sur les enfants, les familles, quelle que soit leur composition, les femmes et hommes homosexuels, bisexuels, transsexuels, transgenres, etc. Ces personnes, comme vous et moi, doivent jouir des mêmes droits et des mêmes libertés.

Il existe un droit qui, aujourd'hui, n'est pas garanti dans l'accès à la PMA, au-delà du principe même de discrimination : c'est le droit à la sécurité. En 2012-2013, pendant les treize mois de mobilisation que vous avez initiés contre le mariage pour tous, les actes homophobes ont augmenté de 78 %. Je ne dis pas que vous, personnellement, avez commis des actes homophobes. Cependant, ayez bien conscience que l'on ne peut pas fonder son discours sur la discrimination sans être responsable des faits qui en découlent. Il faut assumer. Pour ma part, j'assume qu'il y ait aujourd'hui des manques, des discriminations, des violences inacceptables. Les assumer, c'est les combattre ; or, vous ne faites que les attiser en affichant un discours discriminant.

En prononçant ces mots, je pense très fort à Florian, agressé il y a six jours en raison d'une orientation sexuelle avérée ou supposée, à Guillaume, agressé il y a sept jours en raison d'une orientation sexuelle avérée ou supposée, à Arnaud, agressé il y a un mois alors qu'il se promenait dans la rue avec son compagnon, et à toutes les autres victimes que je n'ai pas citées. Oui, en France, aujourd'hui, il est toujours dangereux d'être homosexuel et de le montrer. En comparaison avec le mois de septembre 2017, les témoignages ou signalements d'actes homophobes ont augmenté de 37 % au mois de septembre 2018. C'est insupportable.

Je serai très clair avec vous, madame de La Rochère. L'objectif partagé d'avoir un débat apaisé, auquel vous ne contribuez nullement, se poursuit au bénéfice de ces victimes ou des potentielles victimes, et non pour le confort de votre représentation sociétale, qui se fonde exclusivement sur le patriarcat.

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