Intervention de Jean-Louis Mandel

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France :

Merci de m'avoir invité à cette audition.

Je n'aborderai pas les diagnostics prénatal et préimplantatoire proprement dits, mais ce qui se situe en amont, ainsi que certains aspects des tests génétiques. J'aborderai la possibilité technique et l'intérêt éventuel, voire démontré, selon moi, du dépistage de certaines maladies génétiques en population générale et pas uniquement auprès de familles dont un enfant est atteint d'une maladie. À cet égard, j'évoquerai le dépistage génétique préconceptionnel d'un certain nombre de maladies génétiques, non pas toutes, mais des maladies sévères et qui touchent des enfants, telles que la mucoviscidose, la drépanocytose, des maladies musculaires comme la myopathie de Duchenne ou encore l'amyotrophie spinale.

La possibilité d'accéder à un dépistage systématique est ouverte depuis quarante ans à des populations touchées fréquemment par certaines de ces maladies. Au début des années 1970, la maladie de Tay-Sachs frappait les populations juives ashkénazes et la bêta-thalassémie les populations des pays du pourtour méditerranéen : le sud de l'Italie, la Sardaigne, la Grèce, Chypre, etc.

Ces maladies se sont étendues progressivement. Par deux fois, un avis défavorable a été formulé par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) quant à la possibilité de proposer à tous les couples un dépistage du risque d'avoir des enfants atteints de mucoviscidose, hors histoire familiale d'un enfant déjà diagnostiqué. Comme je l'ai dit récemment à M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, à l'occasion de mon audition par les membres du Comité, cet avis négatif reposait sur des bases pseudoscientifiques, non justifiées, qui cachaient sans doute des préoccupations d'ordre moral que l'on peut comprendre, à condition que le rédacteur les affiche en tant que telles. En l'occurrence, elles ont été déguisées sous des aspects scientifiques. Le dernier avis du CCNE a évolué.

En ce qui concerne la mucoviscidose, le Collège américain de génétique et obstétrique et le Collège américain de génétique médicale, les deux grands collèges professionnels qui conduisent à définir ce que l'on pense être les bonnes pratiques médicales, ont indiqué en 2001 qu'il était de bonne pratique médicale d'informer toute femme enceinte ou ayant des projets de procréation de la possibilité de se faire tester afin de déterminer si elle est porteuse d'une mutation associée à la mucoviscidose, soit, dans notre pays, une personne sur vingt-cinq. Si elle en est porteuse, il lui est proposé de tester le conjoint pour déterminer le risque du couple d'avoir des enfants atteints de mucoviscidose.

Depuis 2008, le dépistage est proposé à tous les couples de manière systématique en Israël, où il est pris en charge par le ministère de la santé. En France, le dépistage est uniquement proposé dans le cas où un premier enfant est atteint. Les médecins sont alors en droit de conseiller le couple ou de faire du dépistage en cascade auprès des frères et des soeurs.

Des enquêtes ont été réalisées à Strasbourg auprès d'environ 1 200 étudiants, toutes facultés confondues, donc de jeunes adultes susceptibles d'avoir des projets de procréation. À 80 %, ils seraient intéressés par un dépistage préconceptionnel à but pédiatrique de maladies sévères pour lesquelles les possibilités de traitement restent encore très limitées. Pour les autres maladies pour lesquelles des traitements sont possibles mais dont les conséquences restent lourdes – l'hémophilie, par exemple –, l'intérêt diminue, mais demeure élevé.

Aux États-Unis, des expériences ont lieu auprès de centaines de milliers de personnes. En Israël, 65 000 personnes, dont une majorité fait des projets de procréation, se font tester tous les ans, les tests étant pris en charge par le ministère de la santé. En France, cela correspondrait à 500 000 personnes testées chaque année.

La structuration de la population israélienne est un peu particulière. On relève un même intérêt dans les villages druzes, dans les tribus bédouines, dans les villages et les villes arabes chrétiens ou musulmans. J'ai invité la personne qui a été responsable de ce programme pendant quinze ans. Elle explique que les responsables des programmes n'attendent pas que les populations se rendent au CHU. Des conseillers génétiques se rendent dans ces villages, dont ils sont parfois issus, afin de se faire mieux comprendre et être mieux acceptés. Or, en France, cela ne se fait pas.

La loi de bioéthique actuelle pose tant de barrières que tout le monde est convaincu que le dépistage n'est pas permis. Il n'est pas formellement interdit, mais personne n'ose le proposer.

J'en viens à un second aspect. Je suis en désaccord avec le professeur Arnold Munnich, qui est intervenu devant vous, sur la possibilité d'offrir un dépistage en population générale pour certaines maladies génétiques qui posent des problèmes à l'âge adulte. Dépister une personne qui porte la mutation permet de prédire un risque élevé de développer la maladie. Le dépistage est limité aux gènes actionnables et, si l'on détecte un fort risque pour une personne de développer la maladie, on peut la prévenir par une prise en charge médicale, un diagnostic très précoce ou même des conseils de vie.

Pour des raisons techniques, lorsque l'on réalise des tests génétiques pour établir un diagnostic, par exemple pour une déficience intellectuelle sévère chez un enfant, on analyse l'ensemble de la famille : les parents et l'enfant pour mieux diagnostiquer ce dernier. Pour plus d'efficacité, on teste l'ensemble des gènes. Imaginons un garçon de dix ans qui souffre d'une déficience intellectuelle sévère. L'examen génétique trouve ou ne trouve pas la cause de cette déficience. S'il est porteur d'une mutation du gène BRCA 1 qui prédispose au cancer du sein et de l'ovaire, il est peu concerné. Mais si le gène vient de sa mère, l'information recueillie concerne aussi sa mère. Il convient alors de déterminer si l'on informe la mère de ce que l'on nomme une « donnée incidente ». Des débats ont porté sur ce sujet. Aux États-Unis, le collège des généticiens médicaux a proposé d'en informer les femmes qui le demandent, pour les seuls gènes actionnables. En l'occurrence, les gènes BRCA 1 et BRCA 2 qui prédisposent au cancer du sein sont très actionnables.

À l'heure actuelle, en France, le test n'est réalisé que si l'histoire familiale révèle qu'au moins trois personnes sont atteintes dans la famille, dont une avant cinquante ans. Les dépistages en population générale ont montré que 50 % des femmes porteuses d'une mutation n'ont pas d'histoire familiale et ne bénéficient donc pas de la prise en charge précoce qui évite le cancer de l'ovaire et diminue le nombre de cancers du sein. Il est pourtant préférable de dépister un cancer de manière précoce plutôt que d'attendre qu'il soit métastasé !

Mme Mary-Claire King est l'une des grandes figures dans le domaine du cancer. Membre à titre étranger de l'Académie des sciences, elle milite activement pour que soit proposé à toute femme de plus de 30 ou 35 ans un test BRCA 1 et 2. Les études qu'elle a entreprises montrent que 50 % des femmes qui souffrent de telles mutations n'ont pas d'histoire familiale.

Dans son propos, le Pr Arnold Munnich a évoqué des problèmes éventuels. Il cite une étude de la Mayo Clinic qui semblait inquiétante. Sur la base de résultats de tests génétiques incertains – dans la mesure où l'on n'est pas toujours capable d'interpréter l'ensemble du génome –, des femmes américaines ont subi une mastectomie bilatérale. J'ai lu l'étude produite par la Mayo Clinic. Elle portait sur des femmes qui avaient déjà un cancer du sein et qui, de toute façon, auraient donc subi une mastectomie unilatérale. Le choix des femmes qui choisissaient de subir une mastectomie bilatérale se fondait uniquement sur des résultats génétiques incertains, mais était motivé par une histoire familiale très lourde qui les conduisait à refuser le risque de la reproduire. C'est un peu le cas d'Angelina Jolie.

La loi devrait nous autoriser à lancer des études pilotes pour évaluer l'acceptabilité. Aux États-Unis et en Israël, des études montrent que les femmes dépistées sont satisfaites d'être informées. Évidemment, elles préféreraient ne pas être porteuses de la mutation mais, dès lors qu'elles le sont, elles préfèrent le savoir avant qu'après. Par ailleurs, il a été montré que le dépistage en cascade permet d'étendre les soins à d'autres membres de la famille.

Tels sont les deux aspects qu'il conviendrait d'inscrire dans la loi pour engager ces dépistages très utiles et dont les dangers sont surévalués. Il suffit pour s'en convaincre de lire la littérature sur le sujet.

À ces deux points centraux, j'ajouterai quelques observations sur la nécessité de cadrer le métier et de créer un véritable statut de conseiller en génétique. Avec l'explosion de la génomique et des diagnostics génétiques, nous manquons de médecins formés pour suivre et conseiller les familles. Il ne s'agit pas de les conseiller au cours d'une unique consultation d'un quart d'heure mais de les suivre sur le long terme, ainsi que cela se fait dans d'autres pays.

Il convient donc de développer le métier de conseiller en génétique et de permettre aux conseillers d'élargir leur champ d'action. Par exemple, si l'on parle de dépistages préconceptionnels en population générale ou de gènes actionnables avec un effet intéressant pour les patients, le nombre de médecins spécialistes pour faire une consultation élaborée reste insuffisant. Aux Pays-Bas, des médecins généralistes et des conseillers en génétique ont été formés dans le cadre d'une étude pilote afin de prescrire des tests à des familles qui n'ont pas de maladies génétiques connues. Une fois la maladie génétique connue, un spécialiste est nécessaire pour effectuer l'étude clinique. Il me semble donc important d'ouvrir plus largement la possibilité de prescription si nous voulons servir l'ensemble de la population.

Sur le point qui vient, je suis très isolé. En France, la majorité de mes collègues, à quelques exceptions près, sont totalement opposés aux compagnies qui procèdent à des tests génétiques dits direct to consumer, sans prescription médicale. Réaliser un test génétique sans prescription médicale est passible d'une amende de 3 750 euros, sans doute pour marquer le danger que peut provoquer la lecture des résultats. Or, ce danger est nettement moins grand que ce qui est évoqué. Des millions d'Américains ont subi ces tests. Que je sache, ces tests n'ont pas été suivis de vagues de suicides ! En revanche, nous connaissons le cas de jeunes de dix-neuf ans qui achètent des bouteilles de vodka et qui, à la suite de binge drinking, tombent du balcon, ainsi que cela est arrivé récemment à Supélec, ou se noient. Cela arrive tout le temps. S'adonner à de telles pratiques est bien plus dangereux. Or, elles ne sont pas passibles d'une amende de 3 750 euros !

Très souvent, on me rétorque que personne n'a jamais payé cette amende. La plus grosse société américaine de tests génériques directs to consumer, la société 23andMe, respecte la loi française, puisque si l'on commande le test à partir d'un ordinateur français, on n'a pas accès à ses données de santé. Les experts comme le Pr Arnold Munnich sont très sévères sur les résultats de ces tests.

Préalablement à mon audition, je vous ai livré la liste des publications des revues scientifiques les plus prestigieuses – Nature, Nature Genetic… – sur 23andMe et la liste des universités qui collaborent avec 23andMe pour utiliser les données et faire de la recherche biomédicale sur les maladies communes. En haut de la liste, on trouve Stanford, la Harvard Medical School, suivis par le King's College de Londres, le Karolinska Institutet de Suède, l'université Erasmus des Pays Bas… Évidemment, aucune université française ne figure parmi les quarante-huit premières !

Avec l'interdiction ce type de test, on s'est coupé d'une activité industrielle dont je pense qu'elle n'est pas dangereuse ; si elle est bien faite, elle peut même se révéler intéressante à des degrés divers. J'ai moi-même appris deux informations intéressantes en y ayant recours. Ce n'est pas la panacée si l'on veut connaître son avenir médical, mais cela permet de développer une recherche très innovante sur la génétique des maladies communes.

Je pense que cette interdiction n'a pas de justification. Le danger n'existe pas. Des articles le montrent. Ils nous apprennent que des femmes ont su qu'elles étaient porteuses de mutation BRCA 1 parce qu'elles étaient clientes de 23andMe. Des études ont été réalisées pour mesurer l'effet sur ces femmes. Elles étaient heureuses d'avoir reçu cette information, avaient consulté des médecins pour savoir ce qu'il convenait de faire et avaient diffusé l'information à leur famille.

Hors des lois de bioéthique, mais toutefois en connexion, le plan « France Médecine génomique 2025 », qui a quelques difficultés à démarrer et qui a mis beaucoup de temps à se concrétiser si on le compare au plan anglais, sera confronté à la difficulté de trouver les personnes capables d'interpréter les résultats, du fait que le législateur a cédé au lobby des laboratoires de biologie médicale de ville. J'ai vu la manière dont ils ont opéré pour obtenir une loi très restrictive. Au départ, le projet interdisait même aux généticiens, en tout cas aux scientifiques titulaires d'un doctorat ès sciences, de faire des tests génétiques, y compris dans les CHU, ce qui était toléré jusqu'alors. En tant que directeur d'un laboratoire de diagnostic, la moitié de mes collaborateurs de haut niveau étaient docteurs ès sciences. Ils sont connus internationalement et ont toutes les compétences requises. Ceux qui disposaient d'une autorisation avant le vote de la loi de bioéthique la conservent. Mais les nouveaux n'ont plus le droit d'être responsables de tests génétiques. C'est une catastrophe.

Tous les laboratoires anglais de diagnostic génétique académique sont dirigés par des docteurs ès sciences. Or les médecins généticiens sont rares et préfèrent faire de la consultation plutôt que de l'analyse de données derrière un ordinateur. C'est un autre métier, qui peut être fait par des docteurs ès sciences. C'est désastreux pour la recherche en génétique. En outre, dans les CHU, en bactériologie ou en virologie, développer des tests de haut niveau fondés sur le séquençage et destinés à faire progresser les diagnostics nécessite des personnes dotées des compétences adéquates. Or, le diplôme de biologie médicale ne donne pas de telles compétences. Par ailleurs, à l'origine, le projet de loi interdisait aux généticiens de faire du diagnostic génétique. Le Parlement est revenu sur cette disposition, à la condition que les généticiens passent devant une commission d'agrément qui a mis trois ans avant de fonctionner. J'ai d'ailleurs soumis le cas de trois généticiens connus et extrêmement compétents, dont la candidature a été rejetée par cette commission au motif qu'ils avaient réalisé leur stage dans un laboratoire non agréé, en un mot pour des raisons qui ne tiennent pas la route ; de telles décisions montrent simplement que les biologistes de ville qui composent cette commission veulent limiter l'accès à ces techniques.

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